Etats adolescents

Exposition Teen City. Photographie de Dana Popa

De l’étude des codes et des référence aux jeunes ados roumaines victimes d’esclavage sexuel, les 19 démarches photographiques de l’exposition « Teen City. L’Aventure adolescente » au Musée de l’Elysée à  Lausanne tente de cerner les états de corps adolescents, jusqu’au 26 octobre.

L’adolescence s’étend dans le temps. Elle commence toujours plus tôt. On est parfois considéré comme préado dès le début de l’école primaire. Elle ne possède pas nécessairement une fin bien perceptible. Le premier passage professionnel dans la vie ? La majorité ?

On peut relever le paradoxe qui voit l’adolescent omniprésent dans notre société écranique, la pub, internet, tandis que le monde du travail, et partant, le possible à  l’âge adulte lui est toujours davantage fermé. « C’est un âge élastique, relève la commissaire de l’exposition, Nathalie Herschdorfer.

Nos sociétés occidentales le critiquent comme temps des crises difficiles à  traverser tout en s’y référant en permanence.» Aujourd’hui, la difficulté du passage vers l’âge d’homme est accentuée par le brouillage des repères de sens et de valeurs qui caractérise nos sociétés. Et cette primauté de l’indécis sur le probable empêche souvent de pouvoir se projeter dans un avenir prévisible.

Territoire
La notion de territoire spécifique est explorée par le photographe et plasticien suisse Nicolas Savary qui s’est centré sur les lycées lausannois. L’architecture de la transmission du savoir rejoint un cadre disciplinaire quasi carcéral.  Son travail est le point de départ de l’exposition, précise Nathalie Herschdorfer.

A ses yeux, l’architecture scolaire trahit un lieu d’emprisonnement et non d’épanouissement. Les adolescents qui traversent ces espaces et passent une longue partie de leur vie au sein de cette architecture n’ont aucune emprise sur elle et ne peuvent y laisser une marque de leur passage. Nicolas Savary a analysé ces bâtiments scolaires qui ont été construits sur le modèle d’une prison et aujourd’hui sur celui de la clinique psychiatrique. Loin du photoreportage et au coeur d’une démarche de mise en scène, Savary a aussi fait poser pour des portraits des adolescents au visage fermé mais qui bouillonne à  l’intérieur. Ils sont dans un lieu où ils voudraient exprimer quelque chose, mais ne le peuvent pas. Cette confrontation entre ces vues d’architecture vide et ces portraits de jeunes dont on perçoit le malaise corporel donne une image forte de ce que pourraient ressentir les ados dans l’univers scolaire très présent au fil de l’exposition. »

Il y a aussi Asleep de Nicolas Savary, une série photographique réalisée dans les jardins , est une série photographique réalisée dans les jardins du Bourget, sur les rives du lac Léman, à  Lausanne, en 2004 et 2005. Sur les images, on découvre ces figures humaines, en situation dans le paysage organisé du jardin. Cet espace naturel aménagé structure le regard et le pousse à  la contemplation. Les corps assoupis et étendus évoquent aussi, dans leur abandon mortifère, les morts de Pompéi.

La photographe roumaine Dana Popa s’est rendue en Moldavie et présente des portraits étranges d’adolescentes revenues de l’enfer de la prostitution. « Ces jeunes filles se sont laissé séduire par des annonces dans la presse, explique Hesrchdorfer. Elles ont quitté leur pays espérant gagner de l’argent et se sont retrouvées prisonnières d’un trafic sexuel. C’est après bien des tourments et de nombreuses années qu’elles sont parvenu à  rentrer chez elles. Dana Poppa les a photographiées à  leur retour à  la maison. Il s’agit de jeunes femmes qui ne sont plus vraiment des adolescentes, mais ont vu leur adolescence brisée par cet univers qu’elles ont vécu, par ses rapports de forces qu’elles ont eu malgré elles. Lorsque l’on évoque la culture adolescente, on parle beaucoup de culture MTV, d’internet, de globalisation. Mais il existe aussi des personnes qui vivent des expériences totalement différentes. Cet âge où tout est peut-être encore permis ne peut ici simplement pas être vécu. »

On croise enfin des témoignages d’ados face caméra. S’ils sont maladroits, gauches, ils disent néanmoins beaucoup sur leurs espérances, leurs utopies, leur vécu. A l’ère de la blogosphère, du portable, les adolescents sont peut-être à  l’aise dans la manipulation et l’utilisation des outils multimédia. Mais chez eux, la représentation de soi reste en devenir, comme empêtrée dans l’enfance ou une inertie souvent prise pour de l’indifférence.

Bertrand Tappolet
« Teen City. L’Aventure adolescente » au Musée de l’Elysée,
Lausanne, jusqu’au 26 octobre.

Publié dans arts, société