Quand le Splendid flirte avec l’Underground pour une exposition

Nan Goldin, “Showtime, Bangkok / New York”, 1992-1995, 2019. © Courtoisie Galerie Varenne.

La galerie Varenne passe du white-cube traditionnel des galeries d’art contemporain à l’espace underground d’un ancien cinéma X. Le galeriste s’approprie les codes de la culture alternative pour une exposition qui aborde des questions qui semblent diviser toujours plus la société, ainsi de la religion (Andrés Serrano), la sexualité (Nan Goldin, Olivier Beer), la santé (Chiharu Shiota), la violence, les environnements marginaux, le rôle de l’art, interrogeant de ce fait nos préjugés et nos conventions.

Renate Cornu, chargée de la communication, explique qu’Olivier Varenne avait été séduit par le lieu au point de vouloir y ouvrir sa galerie, mais l’accord avec le propriétaire et la Ville qui dispose d’un droit de regard sur son affectation, centre culturel ou autre, n’a pu être conclu. Il s’agit donc d’une installation provisoire.

L’underground est fortement lié aux imaginaires nourris des mythes et des fictions à propos d’un autre monde, d’une autre société et voir les photographies de Nan Goldin en parcourant ce dédale de petites salles, d’escaliers c’est plonger dans la culture alternative des années 1970-1980 dont elle reste une icône.

Nan Goldin, “Performing as Madonna Bangkok”, 1992. © Courtoisie Galerie Varenne.

Nan Goldin a rigoureusement documenté ses journées et nuits entre les années 1970 et 1990, ce qui a abouti à une œuvre à la fois intime et étendue. Son approche photographique, souvent comparée à la photographie documentaire et aux instantanés familiaux (bien qu’elle ne s’insère pas facilement dans l’une ou l’autre de ces catégories), est entièrement autobiographique. Elle chevauche la frontière entre la vie et l’art, la brouille, fusionnant les deux dans une pratique homogène.

 

Cecilia Bengolea (1979), “Favorite Positions”, 2018. © Courtoisie Galerie Varenne.

Favorite Positions est une série de sculptures animées inspirées de l’esprit de la pieuvre qui suggère un corps sans frontières. Un être entièrement liquide, né d’un état de répétition constante. L’esprit et les rythmes qui imprègnent ce corps se déplacent dans plusieurs directions à la fois. La sueur et la pluie tropicale dissolvent davantage les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, nous rappelant peut-être que le fluide interne du corps est un conducteur électrique qui fonctionne de manière similaire aux synapses du cerveau, créant de nouveaux chemins et autoroutes de communication redéfinissant la sensibilité. Originaire d’Argentine et maintenant basée à Paris, la danseuse et artiste internationalement reconnue Bengolea a scanné son corps dans ses positions préférées et a animé un corps en mouvement en 3D.

 

Chiharu Shiota (1972), “Out of My Body”, 2023. © Courtoisie Galerie Varenne.

Après avoir été confrontée au cancer pour la deuxième fois, Chiharu Shiota a ressenti le désir de créer des œuvres à partir de matériaux durables pour la postérité. Elle écrit au sujet de sa lutte contre cette maladie et de sa propre mortalité de la manière suivante :

“Lorsqu’on m’a informée que mon cancer était revenu, le sol s’est dérobé sous mes pieds. À l’hôpital, mon corps n’était plus mon corps, il passait à travers un système, se brisait et se reconstituait jusqu’à ce que je sois entière à nouveau. Mon corps s’est guéri à nouveau et maintenant, lorsque mes pieds touchent la terre, je me sens connectée à la vie… Nous allons tous mourir un jour. Mais la mort n’est pas une limitation de notre existence ou de notre mémoire. Elle appartient au cycle de la vie en tant que nouvel état d’être. C’est comme passer à un univers plus vaste où nos pensées et nos souvenirs demeurent. En fin de compte, j’ai transformé ma souffrance pour créer quelque chose de nouveau, ce qui m’a donné de l’espoir.”

 

Andrés Serrano (1950) “Piss Satan (Immersions)”, 1988. Cibachrome, détail. © Courtoisie Galerie Varenne.

Andrés Serrano est connu pour ses photos à grand format imprégnées de symbolisme religieux. Même si elles ne sont pas destinées à choquer, les œuvres de Serrano mêlent spiritualité et matérialité de telle manière qu’elles attirent une grande controverse. Tout comme Kiki Smith, il utilise souvent des fluides corporels, à savoir le sang, le lait et le sperme, aux côtés d’iconographie sacrée. Serrano est surtout célèbre pour Piss Christ (1987), un crucifix submergé dans l’urine de l’artiste. Le scandale entourant l’œuvre l’amène à une reconnaissance précoce : « C’est ce qui arrive quand on crée des œuvres provocantes sur le plan émotionnel, ça divise les gens des deux côtés de la barrière », déclare l’artiste.

 

Jeremy Shaw, “Cathartic Illustration (While Smoking, D/1)”, 2022, détIL. © Courtoisie Galerie Varenne.

Jeremy Shaw travaille dans divers médias pour explorer les états altérés ainsi que les pratiques culturelles et scientifiques qui aspirent à cartographier l’expérience transcendante. En combinant souvent et amplifiant les stratégies du cinéma vérité, de l’art conceptuel, du clip musical et de la recherche scientifique, il crée un espace post-documentaire qui complique les attentes vis-à-vis de l’image en tant que forme de témoignage.

Jeremy Shaw utilise une image Kirlian d’une empreinte digitale, un procédé photographique des années 1930 qui crée une image lumineuse. L’artiste réalise ces empreintes digitales pour évaluer l’effet de différents types de musique sur lui-même. David Bowie, dont il est fan, a utilisé la même idée pour observer les effets d’une consommation importante de cocaïne. Une grande partie de la pratique artistique de Shaw est une exploration des états altérés.

 

Susanna Fritscher (1960), “Flügel Klingen”. © Courtoisie Galerie Varenne.

Les installations de Susanna Fritscher, toujours étroitement conçues en lien avec l’architecture qui les accueille, sollicitent l’acuité de notre perception. L’installation Flügel, Klingen (ailes, lames), composée d’hélices, provoque différentes tonalités de sons grâce au mouvement et à la vitesse de l’air : comme si l’espace se dédoublait sous l’effet de l’oeuvre, une seconde architecture immatérielle apparaît et se juxtapose ainsi à la première. « Ce que nous entendons, c’est la mesure de la salle : l’espace du silo se révèle à travers ses propriétés sonores, à travers le flux des vibrations et leur propagation » (Susanna Fritscher).

 

Oliver Beer (1985) Compositions for Mouths (Songs My Mother Taught Me). 2018. © Courtoisie Galerie Varenne.

La première vidéo démarre, montrant en gros plan deux hommes se serrant les lèvres, chacun chantant à tour de rôle pendant que l’autre maintient l’harmonie, leurs voix vibrant ensemble comme un chant spirituel. Les yeux fermés, ils semblent s’embrasser. Les haut-parleurs émettent silencieusement des vibrations, semblables à des ailes, en harmonie avec la musique.
Dans la deuxième vidéo, les chanteuses penchent un peu plus la tête, les narines s’évasant pendant qu’elles respirent. Chacune porte sa main à son oreille pour entendre sa voix, et en gros plan, on a l’impression qu’elle tient doucement le visage de l’autre femme. La performance est extrêmement intime, mais après tout, la voix humaine est une chose intime. “Nous pénétrons constamment l’un l’autre, faisant vibrer nos voix”, explique Beer.

 

 

Début décembre, le magazine Artreview, rappelait l’insistance de Goldin selon laquelle l’art n’existe pas dans son propre monde mais dans le monde en général, et qu’il ne devrait pas être exempt de responsabilité morale en matière d’engagement, l’a amenée à utiliser son succès en tant qu’artiste pour prendre des positions importantes sur d’autres questions. Suite aux attentats terroristes du 7 octobre en Israël, aux bombardements ultérieurs à Gaza, et au désir du monde de l’art de prendre position sur le conflit Israël-Hamas, Goldin a dénoncé la “liste noire” des artistes, maintenant sa position malgré la pression des collectionneurs, des galeries et des institutions sur les artistes pour qu’ils retirent leurs prises de position publiques. Pour Goldin, il ne s’agit pas seulement pour un artiste d’exprimer sa colère, mais de la canaliser pour provoquer un changement. Pour elle, l’art est un moyen de rappeler aux gens qu’ils ont une influence dans un monde qui leur dit constamment qu’ils n’en ont pas.

 

SPLENDID
An art exhibition
Olivier Varenne
Art Moderne & Contemporain
Avec Cecilia Bengolea, Oliver Beer, Susanna Fritscher, Nan Goldin, Ryoji Ikeda, Tony Oursler, Frédéric Post, Andres Serrano, Conrad Shawcross, Jeremy Shaw, Chiharu Shiota.

28 novembre 2023 – 28 janvier 2024
du mardi au jeudi, 17h-21h
Place de Grenus 3
Genève

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Publié dans art contemporain, art digital, arts, installation, photographie, vidéo