Remarques de Marcela San Pedro, chorégraphe. Cie Le Ciel Productions.
Je ne me fait pas d’illusion en relation au résultat de cette rencontre, mais je salue tout de même l’initiative. C’est pour cela que je cherche à m’exprimer même si je ne pourrais pas être là à cause de mon travail (création en Argentine, pour laquelle je ne me suis pas posé 2 secondes la question de demander un soutien financier).
Je trouve intéressant, louable, très positif que le magistrat manifeste son envie d’ouvrir un dialogue. Je me demande tout d’abord: pour quoi? Pour quoi veut -t-il ouvrir un dialogue? Est ce que cela vient d’un sentiment de malaise? Sommes-nous tous d’accord pour dire que quelque chose ne va pas dans le royaume? (Shakespeare dirait que cela sent le pourri…) Si c’est le cas, alors voici quelques réflexions:
Je pense que si nous arrivons à faire le diagnostic juste, nous pourrons alors soigner le malade… Mais bon. C’est très délicat de faire ce diagnostique… J’ai l’impression, en lisant – très rapidement, je l’avoue – les questions posés par quelque acteurs culturels, que finalement, chacun parle pour soi. Chacun défend son territoire, son droit à créer et à gagner sa vie. Cela est naturel et normal. Mais cela ne nous fera pas avancer, je crois.
Lorsqu’on parle de politique culturelle, je voudrais savoir de quoi on parle. Il faudrait déjà définir ce que cela veut dire « la culture » pour les instances politiques. Est ce du divertissement? Est-ce de l’amusement? Est ce de la pédagogie? Est ce une expression de notre liberté? Est-ce une forme de réflexion Est -ce cela pensé à nous faire réfléchir Est ce cela pensé pour représenter quelque chose ailleurs? Trop de questions…pas de réponses.
Et la culture, elle est pour qui? une élite? les jeunes? les vieux? tous? les propres artistes?
J’ai souvent l’impression que la culture se mélange trop avec des concepts qui ont à voir plus avec le marketing qu’avec la manière dont les artistes entrent ou pas en relation avec un tissu social donné. Lorsque l’on écrit un dossier de demande de subvention, j’ai l’impression de faire de la publicité, pas d’écrire honnêtement sur mon travail. Il faut convaincre, et il faut vendre, il faut tourner, il faut plaire… Quitte à raconter n’importe quoi…
Toutes ces choses (la vente, les tournées, le fait de plaire à un grand nombre) peuvent par moments coïncider avec l’expression artistique, mais c’est RARE. L’histoire de l’art est rempli d’exemples très instructifs. Je suis déçue du manque d’interlocuteurs intéressants, tant au niveau des gens qui octroient les subventions, que celui des programmateurs et des critiques. L’art, l’expression artistique, est un chemin, une recherche. Quelque chose qui ne devrait JAMAIS être considéré comme un produit ou une marchandise. Aujourd’hui, on parle d’argent, pas de démarche artistique,
Je suis en manque de discussions, d’échange. Je n’aime pas le fait de devoir programmer ma vie et ma créativité avec 2 voir 3 ans d’avance. Je suis en manque des lieux où il y a de la place pour le spontanée, pour la recherche, pour l’autogestion, pour le collectif aussi. Il me manque un endroit pour rencontrer les gens, les vraies gens. Pas l’élite, réduite, qui va régulièrement au théâtre. Il me manque aussi de la bienveillance entre nous, tous les acteurs culturels, depuis les bureaux de l’administration, des théâtres, des journaux, à chaque compagnie, chaque artiste. Je suis en manque de rencontres et d’échange et de création.
Marcela San Pedro – Cie Le Ciel Productions. 22 septembre 2014.