Gaà«l Metroz pratique le tournage en immersion

 Nomad's Land, affiche du film

 

“Trois ans à  préparer 90 minutes, ça fait une vie pour quelques jours finalement – j’ai fait les calculs.
Alors ils ont intérêt à  être beaux, ces jours-là . Il faudrait un coin de lac, des apéros à  ne plus savoir que chanter, un bon film, vous bien sûr, et toute la nuit à  nous.” Interview de Gaà«l Metroz. Propos recueillis par Jean Ehret. 23 septembre 2008.

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Gaà«l Metroz, que représente Nicolas Bouvier pour vous ?

GM : Quand j’étais au Sud de l’Ethiopie, j’ai contracté la malaria, et c’est là  que j’ai commencé à  lire Bouvier. C’est cela qui m’a donné envie de voyager au Moyen-Orient. J’ai lu plusieurs fois l’Usage du Monde, je trouve le regard de Bouvier sans complaisance. C’est un voyageur philosophe qui met des mots sur les sentiments. Stylistiquement, j’aime aussi ce mot qui claque, seul, après des phrases longues et riches.

Vous sentez-vous proche ou très différent de Nicolas Bouvier ?

GM : Je suis un autre type de nomade que lui, je crois. Au début, je prenais son livre comme une sorte de guide, mais le décalage entre ce qu’il a écrit alors et ce que j’ai vu maintenant m’a vite fait comprendre qu’il fallait que je reconsidère les choses. C’est pourquoi j’ai décidé à  Tabriz de m’écarter du livre pour prendre un autre chemin que celui du livre. Prendre ma propre route, par les chemins de traverse. Après avoir partagé des moments intenses avec les fumeurs d’opium de Tabriz, qui comme moi, ne se trouvaient pas à  leur place dans cette ville, j’ai décidé de les accompagner dans leur retour à  la montagne, me rapprochant ainsi de l’environnement qui m’a vu naître et grandir.

Peut-on dire que c’est à  Tabriz qu’a vraiment commencé le voyage ?

GM : En fait, pendant les premiers mois, je filmais Istanbul et d’autres villes en suivant l’itinéraire de Bouvier, mais parallèlement à  cela je faisais un deuxième film en prenant des chemins de traverse, m’écartant instinctivement. Ces deux films qui se réalisaient simultanément créent un malaise en moi. C’est seulement en rencontrant ces opiumanes de Tabriz qui avaient le même type de réflexion que moi que je me suis libéré de ce fardeau. Puis je les ai suivis sur la Mont Zagros et j’ai pu enfin mener mon propre voyage en réalisant mon propre film. Ainsi, j’ai perdu le scénario initial, par contre il était évident que j’allais finir mon film à  Sri Lanka, à  aucun instant je n’ai remis cela en question. Le voyage, lui, n’est pas fini, puisque je retourne voir les Kalaches rencontrés au Pakistan en décembre prochain. Là -bas, je tiens à  faire un film sur les Kalaches filmé par eux-mêmes.

Combien avez-vous mis de temps pour tourner Nomad’s Land ?

GM : J’ai tourné pendant treize mois de voyage, puis il y a eu deux ans de postproduction. C’était la durée qu’il fallait pour effectuer plusieurs versions de montage successives et extraire 90 minutes de 150 heures de matériel filmé, ça fait exactement cent fois moins.

 Comment procédez-vous pour prendre ces images et ces sons ?

Je pratique le tournage en immersion : si je veux filmer des gens qui vivent de leur récolte, je travaille dans les champs avec eux pendant 1 à  2 semaines, puis je leur donne la caméra pour qu’ils s’habituent à  cet appareil. Ensuite, on visionne les images qu’ils ont filmées, et ce n’est qu’après cela que je commence à  les filmer. Je suis juste un réceptacle des choses, une caméra oeil qui se comporte en témoin ; jamais je ne demanderai à  quiconque de se déplacer pour rentrer dans le cadre ou sortir de l’ombre.

Comment voyez-vous ce film maintenant ?

GM : Je trouve qu’il y a trop de paroles dans Nomad’s Land. Il était difficile de faire autrement, car le projet l’impliquait. J’aspire à  réaliser un documentaire sans paroles, comme dans Latchodrome de Tony Gatlif. J’espère y parvenir dans mon prochain film en laissant les Kalaches se raconter eux-mêmes, leur confiant l’usage d’une caméra oeil. Il faut préciser que pour Nomad’s Land, j’étais seul au début, lâché sur une voie sans producteur. Cela m’a permis de prendre trois ans pour réaliser ce film, qui devait initialement être un 52 minutes, puis la production est intervenue en cours de route. En fait, Nomad’s Land est un film qui me ressemble dans ses qualités et mes défauts.

Portrait de Joà«l Metroz

 

Site du film.

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