La Biennale de l’Image en Mouvement 2024 évolue entre l’invisible et l’inconnu

Sahej Rahal, « Distributed Mind Test » (2023). Jeu vidéo, sculpture in situ, dessins, installation, son.

Intitulée A Cosmic Movie Camera, la 18e édition de la Biennale développe un discours en constante élaboration consacré à l’image en mouvement sous toutes ses formes, en particulier à l’ère des algorithmes.

Sur les cinq étages du Centre, indique Andrea Bellini, concepteur de la Biennale, tout comme directeur de la kunsthalle genevoise, les artistes suggèrent en quoi l’image en mouvement – de plus en plus dense, énergique et embrasée d’un feu bleu chargé d’électricité – nous permet d’approcher l’invisible. L’image en mouvement est ici à la fois représentative et négatrice de la représentation; elle est générée et générative; elle est créée par des modèles informatiques et théoriques, elle est produite par des simulations de phénomènes du monde réel.

Lauren Lee Mccarthy Saliva Retreat (2024). Vidéo numérique, 43′

Dans Saliva Retreat, Lauren Lee McCarthy interroge la norme qui consiste à céder des substances corporelles à des entités extérieures. L’installation est présentée dans une banque de salive fictive, un espace lounge où les publics explorent le potentiel libérateur de l’échange de salive, aussi familièrement appelé « spit swapping» (échange de crachats). Bien qu’aucun échange n’ait lieu pendant l’exposition, le film propose une immersion subtile, lors d’une retraite organisée à Los Angeles. Un jeu chorégraphié d’échanges intimes déclenche alors des conversations sur l’autonomie, la confidentialité des données et l’intimité.

« Une caméra cosmique», titre de la manifestation, fait référence à la récente découverte en astrophysique des anneaux de photons qui entourent les trous noirs, ces « pièges à lumière infinis », possiblement le moyen visible le plus essentiel qui soit pour l’humanité d’en savoir plus sur ce qui est encore inconnu: l’intérieur des trous noirs. Chaque artiste présente autant d’indices visuels sur l’invisible et l’inconnu, créant des figures holographiques, des émissions de télévision qui se déroulent dans des ruines butlériennes, des simulations qui prennent vie, des bibliothèques de formes biologiques nouvelles et génératives, des tribunaux faisant appel à l’intelligence artificielle, des jeux distribuant des connaissances ancestrales, des fictions tragiques centrées autour d’êtres artificiels, des futurs laboratoires d’échanges génétiques, des villes de nuages hallucinées, des projections sans fin, etc.

Sahej Rahal, Distributed Mind Test (2023). Jeu vidéo, sculpture in situ, dessins, installation, son.

Distributed Mind Test, ou DMT, est un jeu coopératif multi-joueurs qui se déroule à « l’expérience limite» de la cognition humaine. Les joueurs entrent dans un monde apparemment dépourvu de toute vie humaine. Après la disparition de l’humanité, des créatures contrôlées par l’lA peuplent l’univers du jeu. Elles se cachent derrière des portails transdimensionnels et parlent un langage élaboré à partir de sons recueillis auprès d’organismes aujourd’hui disparus. L’apprentissage de leurs mouvements permet aux publics de découvrir de nouvelles façons de jouer, de danser et de créer des parties de cache-cache transdimensionnelles.

Pour cette nouvelle édition, les curateur·ice·s Nora N. Khan et Andrea Bellini ont commissionné de nouvelles œuvres à une quinzaine d’artistes – Basel Abbas & Ruanne Abou-Rahme, Alfatih, American Artist, Danielle Brathwaite-Shirley, Sheila Chukwulozie, Formafantasma, Aziz Hazara, Interspecifics, Lawrence Lek, Shuang Li, Diego Marcon, Lauren Lee McCarthy, Sahej Rahal, Jenna Sutela, et Emmanuel Van der Auwera.

Lawrence Lek Empty Rider (2024). Vidéo, 6′.

Empty Rider est le dernier épisode de la série de films noirs en imagerie de synthèse de Lek. Il se déroule dans la ville intelligente de SimBeijing. Une voiture autonome y est jugée après l’enlèvement manqué du PDG de sa filiale. Dans une salle d’audience télévisée, Omega, juge lA, interroge les parties prenantes. Le projet explore la fiction juridique de la personnalité électronique et la façon dont le traumatisme intergénérationnel pourrait émerger à l’ère de l’apprentissage automatique.

Aujourd’hui, conclut Andrea Bellini, l’image en mouvement évolue: elle nous répond. Elle apprend de nous, acquiesce, approuve et tente de nous aider à mieux vivre, malgré toutes ces images en arrière-plan de dévastation environnementale et de villes du 21e siècle en déclin. Au-dessus des immeubles les plus hauts, sur quatre ou cinq étages, un autre anneau de lumière: les échelons supérieurs sont là sans jamais toucher le sol. Dans quelques années, des flash info – consacrés à une astronaute agonisant sur Mars après qu’une météorite ait déchiré sa combinaison – seront projetés sur une colline. La caméra jette un regard dans le tribunal de l’lA, où des voitures autonomes défendent leurs blessures inconnues, non-diagnostiquées, faites de douleurs intergénérationnelles, héritées de milliers d’itérations générées par les intelligences artificielles qui les ont précédées.

Qui et qu’est-ce qui sera considéré comme une personne? Qui et qu’est-ce qui devra rendre des comptes? Qui et qu’est-ce qui rira bien qui rira en dernier?

Il se pourrait que d’un jeu de carte on tire encore le Fou, dont l’arcane représente l’infini des possibilités – comme l’anneau de toutes les images possibles, comme la lumière se courbant au bord du vide.

 

Biennale de l’Image en Mouvement 2024
A Cosmic Mavie Camera
Exposition du 24 janvier au 16 mai 2024

Organisé sous la direction artistique de Nora N. Khan & Andrea Bellini
Centre d’art Contemporain Genève
Dates des visites guidées sur le site du Centre.

La Biennale de l’Image en Mouvement 2024 (BIM’24) lance en outre les célébrations du 50e anniversaire de l’institution. Pour marquer cet événement, le Centre d’Art Contemporain Genève propose une initiative autour de la notion de don qui s’intègre dans un projet de design et d’architecture conçu spécialement par le designer péruvien Giacomo Castagnola pour la BIM’24.
Cette installation, inspirée par des principes d’échanges de données primitifs, joue le rôle de carrefour interactif au sein du quel un ensemble d’archives, d’informations, de textes, de poèmes, d’affiches et de catalogues sont offerts aux publics pendant toute la durée de l’exposition. Grâce à ce projet, l’institution souhaite remercier la fidélité de ses publics, qui sont la raison d’être du Centre.

Parallèlement à l’exposition de la Biennale de l’Image en Mouvement 2024 au Centre, un monde-en-tant qu’exposition virtuel, conçu par EPOCH, vivra en ligne bien au-delà de la Biennale lorsque celle-ci fermera ses portes le 16 mai prochain. Ce monde virtuel ne traduira pas seulement les œuvres des artistes en 3D dans un nouveau contexte – celui du Centre d’Art Contemporain Genève imaginé dans un futur spéculatif – il modélisera aussi le passé, le présent et les futurs possibles de la ville de Genève.

Une incursion dans les gares du CEVA : Une version adaptée des œuvres de Lawrence Lek et Emmanuel Van der Auwera est également projetée dans les gares de la ville desservies par le Léman Express, ceci dans le cadre du projet Mire, piloté par le Fonds cantonal d’art contemporain Genève.

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