L’histoire des boissons, leur prodigieuse diversité, leur industrie et leur commerce, sont présentés par Emmanuel Lopez à travers un album attentif à la variété et à l’évolution des styles graphiques. Le vin est célébré depuis la nuit des temps et son histoire se confond avec les efforts déployés pour en vanter les vertus. Après les fresques publicitaires encore visibles à Pompeï et les parchemins au XVe siècle, la mise au point de la chromolithographie, vers 1880 par Engelmann, va marquer le véritable démarrage de l’affiche en couleurs.
Jules Chéret (1836-1932) fut un des premiers à s’enthousiasmer pour ce nouveau mode d’expression et en exécuta plus de mille. Alain Weil, fondateur du Musée de l’Affiche à Paris, le considère comme le père de l’affiche artistique en couleurs et le plus prolifique artiste de sa génération : «en maîtrisant totalement la couleur il arrivait, avec les quatre couleurs de base, donc quatre pierres ou plaques, grâce à de savantes superpositions et crachis, à obtenir toutes les nuances et dégradés. » Selon Emmanuel Lopez, c’est à Jules Chéret que l’on doit ainsi la première apparition de ces figures de jeunes femmes pour vanter un produit. Ici, c’est avec ses affiches pour le quinquina Dubonnet en 1895 ou pour le vin Mariani. Ce personnage de jeune femme coquette, toujours en mouvement, presque toujours rousse et à chapeau, vêtue d’une robe à l’ample drapé qui dévoile de son corps juste ce qu’il faut pour rester dans les limites de l’acceptable, est devenu tellement emblématique qu’il a été baptisé du nom de «Chérette ».

Leonetto Cappiello, « Cinzano Vermouth Torino », 1910. Collection Emmanuel Lopez. ! C’est Cappiello qui va faire accomplir sa révolution à la publicité en initiant la rupture avec le réalisme: il ne veut plus décrire, il veut suggérer et surprendre.
Si Chéret est le père de l’affiche, Cappiello en est le pygmalion! C’est lui qui va faire accomplir sa révolution à la publicité en initiant la rupture avec le réalisme: il ne veut plus décrire, il veut suggérer et surprendre. Il a été le premier à intégrer les nouvelles exigences de l’affiche. Alors que ces panneaux étaient autrefois contemplés par des piétons ou les passagers des voitures à cheval, il a pris en compte les nouvelles conditions des déplacements urbains où la voiture automobile se fait de plus en plus présente dans des villes de plus en plus peuplées et où les affiches couvrent le moindre pan de mur disponible. Un impératif s’impose: être vu ! Cappiello posera les deux principes qui constitueront le credo des affichistes modernes: l’affiche doit être parfaitement lisible, elle doit immédiatement évoquer la marque et le produit. «Pour être efficace elle doit aussi être immédiatement associée par le passant à une marque : il faut donc inventer un personnage, un animal, grotesque ou autre, qui, par sa répétition, sera indissociablement lié au produit ». Ainsi naquit le zèbre de «Cinzano ».
Au cœur de la Belle Époque, l’Art nouveau, l’Art nouveau, art total dont le dessein était d’apporter la beauté dans la vie de l’homme à l’ère industrielle, entend rompre avec un certain conformisme, une certaine banalité paresseuse qui s’était emparée, selon ses théoriciens, de l’art et de l’époque. Ainsi, il entreprend la rénovation des arts décoratifs et de l’architecture. Le mouvement s’est perpétré sous toutes les époques et au service de tous les produits, selon les modes, avec la collaboration de la majeure partie des artistes de renom: Diaghilev fit travailler Bakst, Cocteau et Picasso, Mistinguett resta fidèle à Charles Geismar, Joséphine Baker à Paul Colin, Sarah Bernhardt à Alphonse Mucha qui, en créant une femme sensuelle aux cheveux longs, représenta l’archétype de l’Art Nouveau. Rares sont les peintres qui dédaignèrent l’affiche et nombre d’entre eux, tels Utrillo, Valadon, Foujita, P.-E. Pissaro, laissèrent des oeuvres importantes. Chez les Nabis, citons l’influence de Manet, Bonnard, Vuillard et Vallotton. Il semble que ce soit Bonnard qui ait fait découvrir l’art publicitaire à Toulouse Lautrec. Ce dernier réalisa plus de quatre cents planches mais laissa seulement trente et une affiches. Assidu du Moulin Rouge, il s’attaqua avec génie à tout l’univers du music-hall. Toutes ces affiches sont actuellement les plus recherchées mais elles le furent également dès 1886, époque où l’« affichomanie» se propagea dans toute l’Europe, puis aux États-Unis, avant de s’éteindre, comme toutes les modes, vers 1900.
« L’affiche dessinée est désormais tombée sous la botte stérilisante des annonceurs et des agences de publicité pour qui seule la rentabilité compte, entraînant une dramatique uniformisation des visuels. Eliminée peu à peu par la photographie et la télévision, elle va bientôt s’incliner et eprdre la place éminente qu’avaient su lui construire des artistes de génie à l’imagination fertile et au travail acharné. La poésie s’efface devant l’efficacité, la beauté tire sa révérence. »
Les affiches des vins. Emmanuel Lopez, Matthieu Benoit. Citadelles & Mazenod.
Un panorama pittoresque de la culture mondiale des boissons vineuses, de la fin de la Belle Époque aux années 1980 avec plus de 150 reproductions pleine page. 49 €.