Quand les surréalistes s’intéressaient à l’autoportrait pour explorer l’inconscient

Hans Bellmer (1902-1975), Autoportrait, 1955. Photos : Varenne art moderne & contemporain.

À l’occasion du 100e anniversaire de la publication du Manifeste surréaliste d’André Breton, Olivier Varenne art moderne & contemporain explore, dans une exposition en collaboration avec Jean-Hubert Martin, ce qui s’est produit lorsque les surréalistes ont tourné leur regard vers eux-mêmes.En 1924, André Breton publie le Manifeste du surréalisme. Il y définit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur » permettant d’exprimer la réalité de ses pensées, sans censure, que ce soit par l’écriture, le dessin, ou de toute autre manière.
Peu de mouvements dans l’histoire de l’art ont laissé un héritage aussi durable que le surréalisme, qui a totalement transformé notre manière de penser et de voir. À son époque, il a obtenu un degré remarquable de reconnaissance publique, et son influence sur les artistes se fait encore sentir aujourd’hui.

Olivier Varenne a réuni des autoportraits de Hans Bellmer, Salvador Dali, Marcel Duchamp, Francis Picabia, André Masson, Pierre Molinier, Max Ernst, Leonor Fini, Guillaume Apollinaire, René Magritte et Man Ray qui révèlent comment ces artistes ont choisi des moyens non conventionnels pour créer des images à une époque d’éveil à l’auto-analyse, d’exploration de réalités alternatives et de libre créativité de l’inconscient. Le documentaire révélateur réalisé par Jean-Christophe Averty en 1966, Autoportrait mou de Salvador Dali, est également projecté dans la galerie.

Marcel Duchamp (1887-1968), Autoportrait de profil, 1959.

En utilisant un papier découpé en forme de profil et en le superposant sur une feuille de papier d’une autre couleur, Duchamp crée une composition qui invite à une lecture double. D’une part, on perçoit le profil découpé, semblable à une silhouette. D’autre part, la feuille de papier sous-jacente ajoute une dimension supplémentaire à l’image, créant un contraste visuel et une tension entre les deux couches.
Cette technique de superposition permet à Duchamp d’explorer les idées de masque, de dissimulation et de dualité, qui étaient des thèmes récurrents dans son œuvre. En superposant deux images distinctes, il questionne également la nature de la représentation et de l’identité visuelle.

Le but du surréalisme était de repenser l’expérience humaine. Le mouvement est né au lendemain de la Première Guerre mondiale et des écrits de Sigmund Freud. La plus importante des théories de Freud sur le surréalisme était la notion de l’inconscient en tant que critère de pensées et de sentiments généralement ‘naccessibles à la conscience. Selon Freud, ce qui est enfoui dans l’inconscient sont des pulsions puissantes et instinctives, souvent réprimées par la civilisation et la rationalité.
Leur goût pour la transgression et la transcendance les a naturellement poussés à repenser l’effet de leur propre image dans leurs autoportraits. Leurs œuvres sont le reflet d’une exploration audacieuse de l’inconscient et de la liberté artistique, où les frontières entre le réel et l’imaginaire s’estompent pour révéler de nouveaux horizons de sens et de perception.

 

René Magritte, Le Paysage de Baucis (Self Portrait with a Hat), 1966.

Magritte une ambiguïté des images. Son autoportrait, fidèle à son code vestimentaire conventionnel (chapeau et cravate), est seulement un visage désincarné dont seules les caractéristiques sensorielles, à savoir les yeux, le nez et la bouche, demeurent.

 

Pierre Molinier (1900-1976), Le Festin de Manès, 1960

Destiné à la prêtrise, Pierre Molinier étudiera chez les Jésuites avant d’apprendre le dessin aux cours du soir de l’École des Beaux-Arts d’Agen. En 1936, il décide d’ “exécuter des peintures symboliques relevant du psychisme”. Après son exposition patronée par Breton à Paris, il participera aux manifestations surréalistes jusqu’en 1966. Quatre ans plus tard, il réalise ses premiers photomontages dont les sujets sont lui-même travesti en femme, mannequins, jambes de femmes entrelacées.

“On doit aux Surréalistes – remarque Michelle Vergniolle dans le catalogue d’une exposition à perpignan et dédiée au sujet –  d’avoir, dans leur mise en valeur du rêve et de l’inconscient, fait reconnaître l’érotisme non plus comme un égarement mais comme une démarche fondamentale de l’esprit. A l’époque, c’était moins enfreindre les lois de la religion que celles de la morale réactionnaire et conformiste. Aussi nombre d’ œuvres visent-elles à défier le bourgeois bien pensant. Les mannequins de Man Ray,  et surtout la couverture du catalogue de l’Exposition Internationale Surréaliste de 1947 par Duchamp en témoignent.”

Jean-Hubert Martin convoque Dorothea Tanning – qui a adopté les explorations de Freud de l’esprit subconscient et des rêves dans la peinture en brouillant la réalité et la fantaisie – dont la description de son autoportrait peut s’appliquer parfaitement à toutes les œuvres de l’exposition Rétroviseur :
« Le résultat est un portrait de moi-même, précis et incontestable pour le spectateur. Mais qu’est-ce qu’un portrait ? Est-ce mystère et révélation, conscient et inconscient, poésie et folie ? Est-ce un ange, un démon, un héros, un mangeur d’enfants, une ruine, un romantique, un monstre, une prostituée ? Est-ce un miracle ou un poison ? Je crois qu’un portrait, particulièrement un autoportrait, devrait être en quelque sorte, toutes ces choses et bien plus encore, enregistrées dans un langage secret revêtu de l’honnêteté et de l’innocence de la peinture.»

Rétroviseur : Autoportraits surréalistes
30 Avril – 20 Juillet 2024

Olivier Varenne Art Moderne & Contemporain
37-39 rue des Bains, 1205 Geneve

 

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