Manifestation contre le TGV dans le Val de Suse (Italie). ©NOTAV.
Giorgio Agamben apporte son soutien aux opposants, dont Erri De Luca, au projet de TGV au travers du Val de Suse et dénonce le « processus grave de détérioration du droit et des institutions est en cours depuis l’attentat du 11 septembre 2001 ».
A la question posée lors du festival littéraire Écrire POUR CONTRE AVEC Les plumes de la liberté : « Qui mieux que l’écrivain italien peut symboliser la défense de la littérature ? » ajoutons « Qui mieux qu’un écrivain peut symboliser la défense de l’expression et des libertés ? »
Erri De Luca était récemment à Genève, invité par la Maison Rousseau et de la littérature, dans le cadre du festival de littérature de la Maison Rousseau et de la littérature.
Erri De Luca est accusé par la justice de son pays d’ « instigation à la violence et à la délinquance » pour le soutien qu’il a apporté aux opposants à ligne à grande vitesse Lyon-Turin et avoir déclaré que le sabotage dans le Val de Suse était légitime; une accusation gravissime que son avocat considère comme un procès à la liberté de parole pour inspirer la peur à ceux qui expriment leurs idées.
En France, la Cour des comptes a souligné » le dévoiement du plan français de lignes à grande vitesse » démontrant ainsi que l’engagement de travaux est dicté par les intérêts des lobbys industriels au détriment de l’intérêt de la collectivité. Convoqué en janvier 2015, Erri De Luca a décidé de se présenter devant le tribunal : « Ils me jugeront en janvier. Ils me mettront sur le banc des accusés et j’y serai. Ils veulent censurer pénalement la liberté de parole. Il est question d’en poursuivre un pour décourager les autres : c’est la technique qu’ils appliquent pour me réduire au silence. C’est un silencieux qu’il faut désarmer. » (v.article).
« Un processus grave de détérioration du droit et des institutions est en cours depuis l’attentat du 11 septembre 2001. il est désormais évident que le délit de terrorisme, défini de la manière la plus générique possible, se sert pas à combattre les organisations terroristes internationales, mais il est utilisé dans la politique intérieure pour criminaliser des activités politiques qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Dans le cas du Val de Suse, il ne s’agit pas d’étrangers qui viennent frapper la population civile, c’est exactement le contraire, il s’agit de la population d’une petite vallée montagnarde qui s’oppose fermement à ce que le lieu soit rendu invivable par la construction d’une ligne à grande vitesse dont personne n’a besoin mais qui est imposée à tout prix par des intérêts étrangers.
C’est peut-être naïf de penser que démocratie signifie que les habitants d’une petite vallée auraient le droit de choisir si des hommes et des animaux qui vivaient à cinquante mètres les uns des autres devraient être séparés par des dizaines de kilomètres.
Mais le problème est l’application du délit de terrorisme dans ce contexte. Quiconque a un minimum de culture juridique sait à quel point est risqué d’introduire dans le droit des clauses génériques et indéterminées telles que « sécurité et ordre public » « bonnes moeurs » ou « état de nécessité » qui ne relèvent pas d’une définition précise mais de l’évaluation subjective d’une situation et finissent par rendre incertains tous les concepts juridiques. La législation contre le terrorisme et les soi-disant « raisons de sécurité » ont poussé cette indétermination à l’extrême, au point que l’on pourrait affirmer qu’en conséquence chaque citoyen n’est plus désormais qu’un terroriste potentiel.
Il est donc important que les juges se souviennent que la définition d’un délit ne doit jamais être indéterminée et générique et que les conditions en question doivent toujours être considérées dans leur cadre réel. Si la protestation légitime s’est révélée excessive dans sa forme, il existe suffisamment d’articles dans le code pénal pour sanctionner sans avoir recours au délit de terrorisme que la conscience civile ressent comme une incongruité disproportionnée.»
Lire l’intervention de Giorgio Agamben, (en italien).
Quelques exemples de dérives sécuritaires relatés par les médias rcéemment :
– « Monsieur Cazeneuve, votre loi antiterroriste est antidémocratique. Ce texte offre aux extrémistes et aux terroristes ce que les bombes et les prises d’otages n’ont pu obtenir : un recul franc et net de la démocratie et de ses valeurs. » Libération.
– Le 18 septembre, une nouvelle loi antiterroriste a été adoptée par l’Assemblée. Qualifié de “liberticide” par ses détracteurs, le texte prévoit d’étendre le contrôle du net en se passant de l’accord d’un juge. Les Inrocks.
– En Suisse la surveillance tourne à plein régime dans une quasi indifférence, hormis quelques articles qui reviennent épisodiquement, par exemple en 2013 avec Swissinfo, ou en 2014 la Tribune de Genève.
– Le meilleur exemple est celui de la NSA américaine, qui, pour isoler des terroristes, finit par espionner toute la population. (…) Dès 1978, la Cour européenne s’était alarmée de ces dérives de l’Etat de droit, dans son arrêt Klass contre Allemagne : « Consciente du danger inhérent à pareille loi de surveillance de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre, la Cour affirme que les Etats ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée appropriée. » Le Monde.