God Bless Bagdad, (détail). Erró.
Être artiste, c’est avant tout raconter des histoires, devenir une sorte d’animal narratif aux formes multiples. Sous l’intitulé “Entretemps… Brusquement, Et ensuite”, la 12e Biennale de Lyon explore les formes et dimensions stylistiques contrastées et variées, filant d’une pensée visuelle à une fable écrite.
Due à l’Islandais Gunnar B. Kvaran, la dense programmation principale joue de l’arborescence, du fragmentaire et du discontinu dans un mouvement qui doit beaucoup au Nouveau roman et aux intuitions d’un Alain Robe-Grillet. Elle encourage souvent une approche critique du réel et du storytelling, lequel ne saurait se fondre exclusivement dans les archétypes du capitalisme et de l’impérialisme triomphants, les brands et la publicité.
Cut Piece. Yoko Ono. 1964 – 1965.
La réalité autrement
Ce qui rend certaines démarches artistiques plus étonnantes et émouvantes encore tient à leur manière d’articuler en permanence le prosaïque et la fable, le virtuel et le réel décomposé puis recomposé, la 2d et la 3d, à la limite de l’utopie, voire parfois du brouillage des sens. Les travaux les plus accomplis ne s’écartent que rarement du quotidien le plus identifiable, faisant preuve de bout en bout d’un pertinent sens psychologique, aporétique, critique, sociétal et sociologique.
« L’appréhension du réel est dissemblable chez chaque personne en fonction de son sensible. Mais notre société très médiatisée nous impose des récits au quotidien. Jusqu’à notre propre manière de raconter, se raconter ou raconter le monde qui semble se claquer sur un mode de récit inculqué avec début, milieu, fin et possible élément perturbateur. Les choix faits à la Biennale montrent qu’il existe d’autres récits possibles. Les artistes ne nous font-ils pas appréhender le réel d’une manière autre, différente ? Ne questionnent-ils pas le récit et le réel ? Le récit est monde et le monde est fait d’histoires. C’est dans cette appréhension de la forme que l’on peut se questionner sur la manière dont on raconte et comprend le monde, en y apportant une certaine complexité », relève l’une des médiatrices de cette 12e Biennale, Marie Blanvillain, rencontrée au détour d’une visite de groupe à La Sucrière.
Chaque scène de récit charrie ici avec elle la possibilité d’une dérogation à la norme, d’une réinvention des modèles, assez stupéfiante par instants. Il ne s’agit ainsi pas de prôner quoi que ce soit, les artistes retenus n’étant en rien des anticonformistes par profession, se contentant d’accompagner, d’accommoder, si l’on peut dire, la perturbation et l’interrogation originelles qu’ils pistent. Mais il importe simplement de dégager, dans leur meilleur, l’horizon des possibles tissant des récits polysémiques, tant de soi que des fragments du monde, voire de l’histoire refigurée dans un patchwork ou kaléidoscope aux formes sans cesses retournées, du génocide khmer rouge (For Pol Pot (Tuol Sleng S-21) d’Erró), à la tuerie d’Aurora intervenue le 20 juillet 2012, le soir de la première du film The Dark Night Rises – Karl Haendel avec son installation créée pour la Biennale, People Who Don’t Know They’re Dead (Des gens qui ne savent pas qu’ils sont morts).
People Who Don’t Know They’re Dead. Karl Haendel.