Faire récits par des écritures-mondes

Fabrice Hyber – Prototype de paradis

 

Convergences temporelles de l’art

En présentant Prototype de ParadisFabrice Hyber crée pour la Biennale un parc humain mêlant dans un biotope entre diorama et musée des arts premiers, peinture, sculpture, dessin et installation pour explorer, par arborescence et rhizome, les origines de l’homme, tout en faisant un clin d’œil en forme de silhouette humaine stylisée au readymade urinoir de Marcel Duchamp. Car, comment peut-on créer, se demande l’artiste, et plus génériquement, comment se crée la vie? Fabrice Hyber nous invite à découvrir certains principes ou trajets qu’il appliquerait à ses œuvres. Une manière de proposer, à partir de formules (style : de fil en aiguille / forme de la pensée), mettre en lumière les procédés mis en œuvre ou décomposer ses travaux en différentes couches. « C’est une œuvre charnière qui retrace ce que l’artiste a réalisé au préalable avec cette idée de récit rhizomique. Lorsque Fabrice Hyber parle de ‘prototype‘, on voit bien qu’il réalise ici un brouillon notamment au détour d’un schéma dessiné sur le mur de son processus et parcours artistiques, sa manière de faire. Issu de récits stéréotypés, le paradis est un lieu fantasmé, qui peut être éminemment individualisé, ici avec un arbre édénique et rose de la connaissance. Le sol rouge se pose comme un possible clin d’œil à Un mètre carré de rouge-à-lèvres, toute première œuvre de Fabrice Hyber qu’il composa alors qu’il était encore étudiant. Il fait également le récit de sa carrière sous la forme de schéma et de prototype », explique Marie Blanvillain.

 

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Prototype de paradis. Fabrice Hyber.

L’Américain Jeff Koons procède par collage-montage autour du groupe de Delos comprenant Eros ou Aphrodite. A l’occasion d’Antiquity 2 (Dots)Antiquity 4 et Balloon Venus (Yellow), l’Américain conçoit l’histoire de l’art telle une forme d’ADN dessinant un legs génétique unissant œuvres et artistes, genres et époques. Sa posture humaniste, ce natif de York (Pennsylvanie) la polit comme les surfaces de son baroque en trompe-l’œil et la développe en éprouvettes. « La conversation qu’on entretient avec l’art est faite d’un champ lexical vivant qui, sur le plan biologique, nous conduit à réfléchir à l’être humain et à la narration biologique que nous partageons tous », constate-t-il. A ses yeux, cette « narration biologique » est « celle de l’histoire de l’humanité ». Ce faisant, l’artiste semble moins renouer avec la vulgarisation scientifique d’un Albert Jacquard qu’avec le récit d’Alain Robe-Grillet, Topologie d’une cité perdue. Une ville perdue donc, qui aurait accueilli sur un même territoire plusieurs civilisations successives – répétitives ou contradictoires – déposant chacune ses strates (sa topographie particulière, son histoire jalonnée de cataclysmes naturels ou de massacres, ses textes sacrés, sa panoplie d’ustensiles et de signes), donne lieu à une sorte de coupe verticale où les différents systèmes de traces révèlent l’espace propre de chaque âge. Mais les fragments se chevauchent, s’interpénètrent, se détruisent mutuellement. Pour cette série Antiquités, l’ancien golden boy de l’art contemporain, enfant prolifique des années 80 n’a pas son pareil pour faire se rencontrer art néo-classique, pop culture et esthétique de la société de consommation de masse. De son aveu, il s’est « intéressé aux Vénus et aux Aphrodites, sous toutes leurs formes et sous toutes leurs représentations ! »

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Antiquity. Jeff Koons.

Ainsi sa Vénus est-elle hybridée de plusieurs époques dans “Antiquity 2 (Dots)“, qui met en scène une pin-up incarnée par l’actrice Gretchen Mol révélée après cette photo par les séries Life on Mars et Boardwalk Empire. Avec un singe en plastique qu’elle fait mine d’embrasser, la naïade vamp vintage lynchienne en perruque brune chevauche, telle Dita Von Teese, l’icône de New Burlesque néo fifties, un dauphin plastifié dessiné, mammifère associé à l’amour, à la renaissance et passeur entre les mondes selon la mythologie grecque. Des statues antiques et un satyre en érection sont comme découpés à l’arrière-plan sur le fond coloré très agrandi, formant une sorte de pointillisme pop. A l’avant-scène, un dessin faussement naïf d’enfant pouvant représenter un voilier sur une mer d’huile voguant sous le soleil ou les lignes d’un vagin avec ses lèvres, selon l’artiste qui travaille sans doute le plus sa posture médiatique. Jeff Koons est un malin producteur de tableaux, n’effleurant que sporadiquement le pinceau ou la palette graphique. Il contrôle en revanche chaque étape du processus industriel de production d’images informatisées. C’était d’ailleurs le cas d’une grande lignée d’artistes à travers une histoire n’oubliant pas Andy Wahrol et Damien Hirst, qui font intervenir de multiples artisans, infographistes et autres corps de métiers sur chaque tableau.

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Antiquity. Jeff Koons.

 

Ces artistes reconnus et côtés ne sauraient naturellement éclipser les juvéniles pousses de la scène internationale. Du coup, on s’arrête sur l’installation Psyche Revived (Psyché réanimée) conçue pour la Biennale par The Bruce High Quality Foundation, collectif américain aux membres restés anonymes pour faire barrage à « la starification mécanique du marché de l’art » et appelés ainsi relativement à l’artiste imaginaire Bruce High Quality, disparu lors des attentats du 11-Septembre. Ce collectif artistique réactive, sous forme de détournement low-fi, l’œuvre due au sculpteur baroque du 18e finissant, Antonio Canava, Psyché ranimée par le Baiser de l’Amour dévoilant la potentialité créatrice d’Eros. Le groupe d’artistes la prolonge d’un échange tendu unissant enfant et mère parfaitement synchrone avec un zapping de programmes tv américains (télé-réalité, show tv, télé-achat) et d’images amateurs comme l’on peut en visionner sur You-Tube. La sculpture de Canova y est d’ailleurs intégrée par montage. Une fiche pédagogique présente sur le site de la Biennale relève que « comme avec Jeff Koons ou Gustavo Speridiao (artistes présentés à la Biennale cette année), on remarque que les artistes contemporains font le choix de questionner les discours de l’histoire de l’art et de l’esthétique, de les considérer comme des notions non-figées, alors qu’une large partie du grand public associe aujourd’hui encore l’art à l’esthétique et à la notion de Beau. »

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Psyche Revived. The Bruce High Quality Foundation.

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