Le Centre d’Art Contemporain Genève présente Rituals of Care, offrant ainsi une rétrospective de mi-carrière au Brésilien Antonio Obà, une figure reconnue de l’art contemporain qui brouille les frontières entre passé et présent, sacré et profane, douleur et transcendance. Son œuvre protéiforme— englobe peinture, sculpture, photographie, installation, vidéo et performance —et se veut une méditation sur les traumatismes de l’histoire tout autant qu’une célébration de la force et de la résilience des communautés afro-brésiliennes.
Une esthétique du corps comme acte de revendication
Chez Antonio Obà, le corps est au centre de tout. Qu’il s’agisse du sien ou de celui de ses modèles, il devient le vecteur principal de sa réflexion. Dans ses peintures comme dans ses performances, les corps noirs, souvent nus, sont sublimés dans leur vulnérabilité autant que dans leur puissance. Ils sont libérés des carcans historiques qui les ont confinés à des rôles secondaires ou stigmatisants.
En réinterprétant ces corps dans des postures empreintes de dignité et de sérénité, Obà renverse les paradigmes de la représentation hérités de l’époque coloniale. Ces corps ne sont plus des objets passifs ; ils sont des sujets actifs, maîtres de leur environnement et de leur destin. Cette approche, profondément émotive, puise dans les souvenirs personnels de l’artiste et s’inscrit dans une quête de réhabilitation collective.
Spiritualité et mémoire collective
Un des aspects les plus marquants de l’œuvre d’Antonio Obà est son exploration de la spiritualité à travers des objets chargés de symbolisme. Les ex-voto, offrandes religieuses utilisées pour exprimer gratitude ou demande au divin, occupent une place centrale dans ses installations. Transformés par l’artiste, ces objets sont enrichis d’éléments organiques comme des dents, des os ou des débris symboliques tels que des clous et des fers à cheval. Ces compositions, évoquant à la fois des amulettes magiques et des icônes religieuses investies d’un pouvoir mystique, racontent des récits mêlant douleur individuelle et mémoire collective.
Ces objets incarnent une tension entre sacré et profane : témoins d’histoires douloureuses, ils matérialisent également la résilience et la capacité de rédemption. Obà s’approprie ces fragments pour établir un lien entre le passé et le présent, réinterprétant des traditions spirituelles souvent marginalisées. En réunissant des éléments liés à des pratiques anciennes et contemporaines, il interroge les traces laissées par l’oppression religieuse tout en rendant hommage aux croyances ancestrales africaines et afro-brésiliennes.
L’installation comme lieu de réflexion nationale
Avec des œuvres comme Malungo, Obà pousse plus loin la réflexion sur l’identité nationale brésilienne. En utilisant des symboles profondément ancrés dans la culture populaire, il interroge les contradictions et les influences multiples qui ont façonné le Brésil contemporain.
Cette installation illustre parfaitement ce jeu complexe des influences religieuses, historiques et culturelles. Le titre, qui signifie « compagnon de voyage » en langue bantoue, rappelle les liens étroits entre les traditions africaines et leur survivance au Brésil. devient un acte de résistance en elle-même, une manière de réaffirmer les racines africaines dans un pays où l’héritage noir a souvent été marginalisé.
À travers ces récits visuels, Obà offre une lecture critique mais nuancée de la mémoire raciale et politique brésilienne.
« Malungo (2016). « L’installation Malungo prend la forme d’un autel – une planche de bois sur laquelle se trouvent un calice en or et une bouteille de cahaça qu’entourent deux bougies noires allumées. Cette oeuvre est imprégnée de nombreuses intentions – celles de raviver, révoquer ou de célébrer. «
L’installation Jardim, qui signifie Jardin en portugais, un chemin entre deux groupes de clochettes, simule un environnement de chasse ou de cachette qui évoque les tentatives d’évasion des esclaves souvent punis de mort lorsqu’ils étaient repris.
« Jardim, » qui signifie « jardin » en portugais, » invite les visiteurs à suivre un chemin à travers l’œuvre, les encourageant à participer activement en faisant sonner les cloches. Cette installation interactive simule un environnement de chasse ou de cachette – les cloches agissent comme des appâts qui nous incitent à les toucher. En accomplissant cette action irrésistible, nous déclenchons l’alarme, révélant ainsi notre présence et notre position. Obá a étudié les environnements de chasse pour créer ce scénario où le visiteur devient à la fois chasseur et proie. Cela crée une situation ambiguë qui est à la fois une invitation et un piège, nous attirant par la séduction du son et de la musique elle-même. » (Texte : Courtoisie de l’artiste et Mendes Wood DM, São Paulo, Brussels, New York.). Photo: J. Magnol.
Des rituels comme actes de résistance
Antonio Obà explore également le pouvoir des rituels, qu’il perçoit comme des formes de soin et de résistance face à l’oppression. Sa fascination pour la capoeira, un art martial afro-brésilien né dans les plantations esclavagistes, en est une illustration marquante. Décrite par l’artiste comme « une danse et un combat sans contact », la capoeira devient dans son œuvre une métaphore de la survie et de la transmission culturelle.
En intégrant cette pratique dans ses créations, Obà redonne vie à une mémoire collective souvent marginalisée. Les corps en mouvement incarnent une rébellion silencieuse, une manière de s’affirmer face aux violences subies par les communautés afro-descendantes.
Un imaginaire traversé par le sacré et le profane
Les œuvres d’Obà sont habitées par une imagerie composite qui mêle sacré et profane. Ses peintures, ses installations et ses performances intègrent des métaphores puissantes, souvent tirées de la nature ou de l’histoire. Par exemple, l’image d’un homme couché dans un arbre ouvert évoque à la fois le cycle des saisons, la vie intérieure et le lien inextricable entre vie et mort.
Ces métaphores s’étendent à des récits plus sombres. Une piscine, censée symboliser la ségrégation en Californie, devient un espace interdit aux enfants noirs à travers la présence d’un crocodile. Une balançoire tachée de sang rappelle les pendaisons d’esclaves, tandis que des grilles symbolisent l’enfermement physique et psychologique des populations opprimées. Ces images, bien que dérangeantes, poussent le spectateur à réfléchir sur les traumatismes de l’histoire et leur résonance dans le présent.
La mémoire comme outil de réappropriation
Andrea Bellini, directeur du Centre d’Art Contemporain Genève et commissaire de l’exposition, décrit le travail d’Obà comme empreint d’une atmosphère mystérieuse. « Comme tout vrai mystère, il ne se dévoile pas mais se renouvelle constamment », dit-il. Cette aura énigmatique permet à chaque spectateur de tisser ses propres liens entre faits historiques, récits personnels et symboles universels.
Les violentes histoires de la diaspora africaine, de l’esclavage et du colonialisme, loin d’être une simple élégie mélancolique, deviennent chez Obà des sources de créativité. En s’appropriant ces récits, il les transforme en célébrations de la vie et de la résilience humaine. Ses œuvres sont des hymnes à la transcendance, des odes à la capacité de l’art à réinventer des narrations collectives.
Une invitation à la contemplation
Obà ne cherche pas à donner des réponses simples ou définitives. Chaque œuvre est une invitation à contempler, à ressentir et à interroger les récits qui nous façonnent. Le spectateur, face à ces compositions complexes, est amené à ralentir, à établir ses propres connexions entre les différents éléments.
Ce processus de réflexion est renforcé par l’utilisation d’objets familiers ou emblématiques, qui réveillent des mémoires collectives et individuelles. Ces œuvres transcendent ainsi les frontières culturelles et géographiques pour résonner auprès d’un public universel.
Plus qu’un artiste brésilien, Antonio Obà est une voix pour les opprimés, pour ceux dont l’histoire a été effacée ou réécrite. En redonnant une visibilité et une dignité aux récits afro-brésiliens, il ouvre un espace de dialogue universel sur les questions de mémoire, d’identité et de spiritualité.
Son art, à la fois personnel et politique, ne se limite pas à une dénonciation des injustices. La rétrospective présentée à Genève est une opportunité unique de découvrir un artiste dont l’œuvre propose une réconciliation avec le passé et une vision d’avenir fondée sur la résilience et la transcendance.
Jacques Magnol
Antonio Obà. Né en 1983 à Ceilândia, au Brésil, Antonio Obà vit et travaille à Brasilia. Son œuvre a récemment fait l’objet d’expositions individuelles, notamment à Pina Contemporânea, Sào Paulo (2023) et Oude Kerk, Amsterdam (2022) ainsi qu’au X Museum, Beijing (2022). Il a participé à de nombreuses expositions collectives, notamment à la 12e Biennale de Liverpool, (2023).
Antonio Obé
Rituals of Care
16 novembre 2024 – 2 mars 2025
Une proposition d’Andrea Bellini
Centre d’art contemporain, Genève.
Voir les dates des visites guidées conduites par le directeur du Centre Andrea Bellini.