Casse-Noisette, Ballet du Grand Théâtre. ©Gregory Batardon.
Au fil de la version de Rudolf Noureev comme dans celle de Jeroen Verbruggen avec le Ballet du Grand Théâtre, le divertissement se fait épopée initiatique. Le chorégraphe belge de 31 printemps est resté fidèle au thème romantique du double par l’omniprésence de miroirs ou de cadres mobiles les suggérant.
Un univers de conte fantastique
De Kill Bambi, votre précédente production d’envergure pour les Ballets de Monte-Carlo à Casse-Noisette, la réalité de grandir est très présente. Comment voyez-vous cette métamorphose de l’enfance, de l’Enfantin à l’âge adulte ou à l’adolescence ?
Jeroen Verbruggen : Le thème avec Casse-Noisette met davantage l’accent sur le fait d’accepter de changer. Le fait que Marie soit ambigüe comme fille n’implique pas nécessairement l’obligation d’aborder sa sexualité. Mais chez les enfants, c’est bien la différencité qui est essentielle. L’idée force est à mes yeux l’acceptation d’être différent, de se chercher, de briser nos coques et cuirasses pour se retrouver soi-même à l’intérieur.
Dans votre version, l’enfance peut-être celle de l’émerveillement face à tous les matins du monde. Dans le même temps, Marie a partie liée avec un univers plus obscur. Elle est malmenée, bousculée.
Dès l’abord du Casse-Noisette, il y a le souhait d’éluder Noël et le fameux sapin, tout en restant dans une atmosphère festive. Pour le personnage de Marie, la volonté n’était pas d’aller dans le côté « mignonne petite fille ». Mais bien de jouer sur la dimension opposée liée à un être saisi dans l’incertitude. Dans son rêve tiré du conte de Hoffmann, Marie ne parvient ainsi pas à distinguer clairement l’Oncle Drosselmeier de son neveu. Il y a donc ce thème omniprésent de l’identité avec la présence de cette armoire à miroirs que traîne après lui Drosselmeier.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le conte d’Hoffmann ?
D’abord la personnalité de l’auteur écrivant des histoires destinées aux enfants tout en étant bizarre, obscur. Je prends parfois les choses de manière trop littérale tout en en jouant a posteriori. Partant du caractère d’Hoffmann, du fait qu’il était comme ça, de son écriture en encerclant le nombre de fois où il évoque le sourire de Drosselmeier. De là est venu, le fait d’exagérer ces sourires avec des masques.
Pourquoi avoir incarné Drosselmeier, un temps avec un masque-sourire monstrueux en noir-blanc d’un sourire cicatrice éternel ramenant à des Méchants de la franchise Batman, dont le dernier volet avec cet figure du Mal et son respirateur, ou à des gangs notamment mexicains ?
D’abord la personnalité de l’auteur écrivant des histoires destinées aux enfants tout en étant bizarre, obscur. Je prends parfois les choses de manière trop littérale tout en en jouant a posteriori. Je suis parti du caractère d’Hoffmann, de son écriture, en encerclant le nombre de fois où il évoque le sourire de Drosselmeier. De là est venu, le fait d’exagérer ces sourires avec des masques.
Pourquoi avoir incarné Drosselmeier, un temps avec un masque-sourire monstrueux en noir-blanc ramenant à des Méchants de la franchise Batman, dont le dernier volet avec cette figure du Mal et son respirateur, ou à des gangs notamment mexicains ?
Depuis un an et demi de travail sur cette création, il s’agit d’un patchwork qui ne fait pas nécessairement sens au début. Je soulignais les sourires dans le conte d’Hoffmann ou le problème d’identité de Marie. Je me demandais alors comment expliquer cela et le fait qu’elle s’accepte. C’était ardu et je ne sais si c’est vraiment réussi et clair.
Le défi ? Pour Marie, être à nouveau confrontée à elle-même dans le deuxième acte. Ainsi être chatouillée et rire avec elle-même. A mon sens, cet événement peut marquer son acceptation d’elle-même. Les Polichinelles écrits par Tchaïkovski se trouvent être dans nombre de versions classiques des clowns. De fait, ce patchwork trouve sens avec le temps et aussi par chance, voire hasard, au gré d’un chemin créatif où je ne sais trop si je suis guidé par l’inconscient.
Vous adoptez parfois la forme d’un ballet pantomime, marionnettique se développant entre l’inanimé et l’animé avec des mouvements de jouets cassés, déglingués chez les danseurs.
Si la pièce est constellée de clins d’œil à l’œuvre originelle et au conte d’E.T.A .Hoffmann, je souhaitais la débuter avec Drosselmeier, comme si toute l’intrigue se passait en lui et dans son esprit. Raison pour laquelle il est démultiplié au fil de la pièce. A la fin, Marie disparaît dans l’armoire, la pièce s’achevant en reprenant la même image du début comme si cet enfant faisait partie intégrante de la partition imaginée par le chef d’orchestre que peut être son Oncle. La manipulation de marionnettes que suggèrent la chorégraphie et le statut démiurgique de Drosselmeier n’est, elle, pas fondamentalement liée à la mort.
Le décor propose des représentations baroques et médiévales liées aux Ars Moriendi (L’art médiéval du décès et du bien mourir) ou au Memento Mori (« Souviens-toi que tu vas mourir »), rappel médiéval aux hommes de leur devenir mortel. Ce, avec des angelots à têtes de mort. Mais aussi des crânes, serpents, chats égyptiens du séjour des morts et gargouilles diaboliques.
Ces références existent bien. Mais le fait de montrer des anges à crânes mortuaires participe aussi du même mouvement que celui de l’écorché en costume moulant pour les Prince des Noix. Soit, montrer littéralement l’envers du corps, ce qu’il contient à l’intérieur. L’armoire, elle, est un genre de squelette pour la pièce.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet.
– Les songes étranges de casse-noisette. Article de Bertrand Tappolet.