Les songes étranges de Casse-Noisette

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Casse-Noisette, Ballet du Grand Théâtre. ©Gregory Batardon.

Délaissant son imagerie de catalogue pour divertissement au pays des jouets, Casse-Noisette retrouve sa part gothique d’enfance obscure et de récit d’initiation.

Plongeant à la source du conte d’E.T.A. Hoffmann, le ballet-féérie signé Tchaïkovski et chorégraphié par Jeroen Verbruggen fait assaut de lyrisme pour cette fable sur le passage tumultueux des terres de l’enfance aux rivages adolescents. Un soir de la nativité, une enfant se voit offrir un casse-noisette, pantin soldat inanimé qu’elle berce dans ses bras avant de glisser dans un profond sommeil. Epaulée par son petit hussard de bois, devenu Prince des Noix, elle se confronte à ses peurs et doutes comme autant de sentiments inédits et déboussolants.

La transposition chorégraphique et scénique de certains tableaux et épisodes du Casse-Noisette et le Roi des souris signé Hoffmann, sont fidèles au réalisme fantastique et comique de l’auteur. Dans le conte, il est question de sortilèges mais aussi de sort et malédiction. Voici une danse d’une grande musicalité souvent en synchronie profonde avec la partition de Tchaïkovski sans taire des phases dissonantes. Sous une résille chatoyante, mettant parfois en creux le scintillement du compositeur russe, le chef d’orchestre Philippe Béran distille les tâches dansantes de fugaces lumières instaurant une atmosphère d’inquiétante étrangeté propice aux apparitions les plus inattendues.

Au fil de la version de Rudolf Noureev comme dans celle de Jeroen Verbruggen avec le Ballet du Grand Théâtre, le divertissement se fait épopée initiatique. Le chorégraphe belge de 31 printemps est resté fidèle au thème romantique du double par l’omniprésence de miroirs ou de cadres mobiles .L’armoire de Drosselmeir, oncle de Marie, s’inscrit, elle, dans l’idée de la communication entre deux mondes supposés étrangers (réalité et rêve), qui donne naissance chez Hoffmann à un « réalisme fantastique » répondant à une dichotomie du vécu. Evoquant Hoffmann, Baudelaire écrit : « Ses conceptions comiques les plus supranaturelles, les plus fugitives, et qui ressemblent souvent à des visions de l’ivresse, ont un sens moral très visible. »

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