La passion de Paul Rebeyrolle pour la tragédie de la condition humaine

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“Le petit commerce – le monétarisme”, 1999. © Michel Nguyen. détails en bas de page.

La fondation Salomon, au château d’Arenthon à Alex, près d’Annecy, rendra prochainement hommage à Paul Rebeyrolle (1926-2005), un des plus grands artistes français du XXe siècle au regard à la fois révolté et tendre sur la tragédie de la condition humaine.

La peinture de Paul Rebeyrolle est destinée à créer des émotions identiques à celles que l’on peut ressentir devant la terre, les orages, les fleuves, tous les éléments du spectacle de la nature. Afin de provoquer le choc, il tourne le dos à la peinture philosophique, à la sophistication inutile qui représente un obstacle à l’authenticité, pour rechercher le rapport direct qui facilite la communication.

Rencontrer Paul Rebeyrolle à Paris, même loin de la campagne qu’il aimait tant parcourir, fut un choc tant le personnage est profondément humain, chaleureux, optimiste malgré les problèmes de santé qu’il subissait Résistant à toute forme d’oppression, indifférent au manège de l’art, son amour des gens et de la vie est imprimé dans sa peinture.  L’artiste aurait certainement apprécié voir la fin de cette première décennie des années 2000 pendant laquelle  la dictature du conceptuel est en passe d’être terrassée par des formes d’expression plus diverses et indépendantes.

Selon sa façon très personnelle de travailler, Rebeyrolle peint, colle, pétrit ou bricole; il joint des éléments liés au thème pour rendre le tableau plus expressif: un chien aura du poil, la nature de la terre, un prisonnier de l’étoffe, du grillage, etc.

C’est le sujet qui dicte la technique et les moyens plastiques. Cette manière de prendre les éléments à bras-le-corps pose naturellement d’importants problèmes techniques dont la résolution ajoute au plaisir de peindre tout en provoquant une remise en question perpétuelle.

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Paul Rebeyrolle. “On dit qu’ils ont la rage”. 1984 – 1985.

Rebeyrolle ne réalise pas un tableau décoratif, il exprime un sujet, une réaction personnelle, une révolte permanente contre ce qui se déroule sous nos yeux. “Ma peinture prend sa source dans l’histoire du monde, sa réalité étant souvent dramatique; je réagis. Nous sommes des populations privilégiées par rapport aux autres, l’affirmer dérange l’homme qui, par faiblesse, ne veut pas regarder la vérité en face.

Peinture de choc qui dénonce jusqu’au bout avec fureur toutes les formes d’oppression sociales, politiques ou religieuses, elle est intimement liée aux événements. Selon son propre aveu, Rebeyrolle a besoin du support politique pour atteindre son paroxysme. La série des “Evasions manquées” est une réaction contre toutes les occasions manquées où nous n’avons pu être nous-mêmes pour cause de conformisne ou d’aliénation. La dernière série (en 1985) “On dit qu’ils ont la rage” concerne les procès d’intention, tous ces gens accusés à tort, ceux que l’on empêche de s’exprimer car ils ne pensent pas dans la ligne du pouvoir.

Résistant à toutes les formes aliénantes des Autorités, Rebeyrolle se bat et vit sa peinture comme un acte: “Je veux travailler avec mon coeur ou mon esprit, pas avec les mains. Car pour être peintre il faut avoir un amour profond des gens, des choses, de la nature et c’est uniquement en ayant une conscience charnelle de son sujet que l’on peut arriver à s’exprimer et à faire partager l’émotion. Le sujet est le moteur de tout, y compris de la technique. Le renouvellement de la peinture se fait seulement dans cet envahissement de l’individu peintre par une partie de l’histoire des autres individus”. Ainsi naissent les différentes séries: après une période douloureuse de gestation, il crée le premier tableau et le cheminement de la pensée guide la réalisation des suivants. Les moments les plus pénibles sont ceux entre deux séries. Chez lui, dans la campagne de l’Aube, il pêche, chasse, parcourt la nature qu’il aime tant, à l’écart ou à l’abri du milieu de l’art parisien.

tableau "La barrière"

La barrière, 2000,  technique mixte sur toile. © Jean-Louis Losi
« Si je peins un chien, j’aime qu’il ait des poils. Je vais prendre du crin. Les serpents ou les lézards, ils seront en paille de fer, dont je fais une consommation qui intrigue ma droguiste. Pour faire un hérisson, je me servirai d’une brosse en chiendent. Quant aux paysages, j’aime bien les terminer avec un peu de vraie terre ou un morceau de bois. Voilà où mène le naturalisme. Je suis un peintre qui peint ce qu’il voit. » Paul Rebeyrolle

Ce peintre de notre histoire reste optimiste quant à notre salut : “J’ai confiance en l’homme mais pas dans les sociétés car tous les pouvoirs sont oppressifs et désirent uniformiser l’esprit humain pour mieux le soumettre, le contrôler. Je ne peins pas spécialement le crime ou la torture, mais surtout l’impasse intellectuelle qui les secrète. Où va l’espèce humaine? Personne ne propose de solutions et pourtant nous ne pouvons suivre cette voie, ce serait la fin de l’humanité. Je reste cependant confiant pour l’avenir devant l’immensité des ressources humaines, l’homme réagira, il n’est pas “con” à ce point-là.”

Jacques Magnol.

“J’ai publié cet article la première fois dans L’Impact Suisse en 1985 après une rencontre avec Paul Rebeyrolle lors de son exposition à la Galerie Lelong.

Paul Rebeyrolle est décédé le lundi 7 février au matin, à Boudreville-en-Bourgogne (Côte-d’Or) à l’âge de 78 ans. Paul Rebeyrolle s’est imposé comme l’un des peintres majeurs dans l’art français du XXème siècle. Son œuvre puissante, violente mais généreuse est un appel à la liberté, une révolte contre l’injustice, l’intolérance, l’asservissement de l’homme et de la nature; un véritable témoignage de notre temps.

Paul Rebeyrolle. 9 juillet au 6 novembre 2011.
Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon
191 route du Château 74290 Alex

 

Légendes des oeuvres:

Le petit commerce – le monétarisme, 1999
Technique mixte sur toile
200 x 300 cm
Photo : © Michel Nguyen
courtesy Galerie Claude Bernard

La barrière, 2000
technique mixte sur toile
250 x 270 cm
Photo : © Jean-Louis LOSI
courtesy Galerie Jaeger Bucher

Un temps de chien
(On dit qu’ils ont la rage), 1984-1985
technique mixte sur toile
240 x 175 cm
Photo : © Michel Nguyen

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