Quartett, un combat de cerveaux sur fond de sexe

décor

© Régis Golay – FEDERAL

Le Quartett de Heiner Muller, joué au Grütli, est une pièce étrange où deux vieux complices libertins se renvoient la politesse à  coup de méchancetés froidement infligées dans un rapport, ambivalent, d’amour-haine et retour.
SI le thème est celui des Liaisons dangereuses de Choderlos Laclos, auteur du XVIIIe siècle —moins explicite que son contemporain Boyer d’Argens mais tout aussi anticlérical — il s’agit d’une réécriture (en 1980) et non d’une adaptation. Jean Jourdheuil, le traducteur du texte en français, et collaborateur de Müller, indique que ce dernier a « lu les Liaisons d’après le texte de Henrich Mann pour qui Merteuil était un personnage maléfique qui entreprenait de détruire la civilisation par l’utilisation de ses propres moyens.
L’indication scénique du début est importante : Un salon d’avant la Révolution française, Un bunker d’après la troisième guerre mondiale. Quartett est une pièce étrange car elle recouvre les Liaisons dangereuses, dans une écriture très contemporaine, nouvelle pour Müller, elle recouvre les Liaisons dangereuses comme le font parfois les peintres avec les palimpsestes. Ils refont le tableau par dessus un tableau, mais le tableau ancien réapparaît, il est toujours présent. Le jeu de rôle qui se déroule dans Quartett n’est pas sans rappeler celui qui existe dans Les Bonnes de Jean Genet. »

L’adaptation du texte de Laclos par Heiner Müller projette la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont dans un combat des esprits et des désirs. Valmont joue Mme de Tourvel, Merteuil joue Valmont, Merteuil joue Cécile de Volanges. Au fil de l’alternance des rôles, les identités se mêlent au point qu’il est difficile de distinguer où se trouve la frontière entre le féminin et le masculin. Les diverses facettes de l’oeuvre apparaissent, portées par le pouvoir évocateur des mots et la présence des comédiens.
La création de Fabrice Huggler au théâtre du Grütli attribue la priorité au pouvoir des mots « En ce qui me concerne, la question fondamentale n’est pas la question de la mise en scène.  La question est : comment va-t-on faire entendre le texte ? Comment va-t-on mettre en rapport les comédiens et la tension qui règne entre eux ?  Cette « mise en tension » va être travaillée à  différents niveaux. Il s’agit de donner des pistes au spectateur, de proposer un chemin sans pour autant imposer une voie de compréhension, guider sans donner trop ».
La mise en scène de Fabrice Huggler fait appel aux techniques du film d’action quand Marie-Ève Mathey-Doret et Guillaume Prin, dans des costumes sortis de Matrix, se livrent à  un véritable combat verbal, dans l’esprit de Müller qui avait évoqué lui-même un « art dramatique des bêtes féroces.» Le désir de Fabrice Huggler de se heurter au texte de Müller est avant tout suscité par la force qu’a ce texte de parler à  la fois de l’individu et de la société. Heiner Müller agit ici en anthropologue, il s’intéresse aux aspects obscurs de l’être humain, révèle les rapports pervers que tout groupe social entretient avec le pouvoir, compare les réactions humaines à  celles des animaux sauvages. En scrutant la réalité intérieure de l’homme, il en extrait un constat critique et désillusionné sur la politique, sur les grands bouleversements historiques et la mort des idéologies. »

Jacques Magnol

HM3 QUARTETT.

Théâtre du Grütli. Genève.
24.fév – 8.mars ’09 > Black Box > espace heiner müller
Traduction: Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux
Conception et mise en scène: Fabrice Huggler
Interprètes: Marie-Eve Mathey-Doret, Guillaume Prin

mardi à  19h00, du mercredi au samedi à  20h30, dimanche à  18h00, jeudi 26 février à  12h30, relâche le lundi.

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