Pierre-Michel Menger
Les “aménagements de contrats” qui sont actuellement reprochés à Mme Courvoisier, à Genève, sont l’occasion de rappeler les conditions de travail des intermittents du spectacle. En octobre 2008, nous avions rencontré Pierre-Michel Menger, l’éminent sociologue français invité par André Ducret, son collègue genevois. A cette occasion il avait retracé l’évolution de ces nouvelles conditions de travail qui ne concernent encore que 20% de la population mais s’étendent sournoisement en abusant de l’excuse de la dégradation de la situation économique.
La situation des intermittents
Dans l’industrie culturelle, nombre d’entrepreneurs fonctionnent par projets et contraignent les intermittents à une fausse indépendance afin qu’ils assument les charges normalement dévolues à l’employeur. La précarité et les contrats à durée indéterminée sont alors la norme, mais pour les artistes seulement, la hiérarchie administrative, elle, est immuable et garantie à vie. La manoeuvre n’est pas le fait d’entreprises peu scrupuleuses, la Ville donne elle-même l’exemple en généralisant les contrats à durée déterminée pour une partie du personnel créatif sollicité, un moyen de faire assumer une partie des charges par les caisses de chômage tout en s’assurant d’un personnel malléable de par sa précarité. Les artistes, “matière première” de tout projet, ne sont plus payés que le temps minimum pour la réalisation du dit projet. L’augmentation de l’offre culturelle se fait donc au coût social le plus bas.
Selon Pierre-Michel Menger,”Seuls les artistes des orchestres et des théâtres lyriques bénéficient de la stabilité de l’emploi tout en travaillant pour un public particulièrement limité. L’essentiel de la croissance culturelle récente a été opéré sur l’emploi instable et la prise de risque par les professionnels. Le coût social est de plus en plus visible :
[audio:https://www.geneveactive.ch/2009/12/menger_prec.mp3]Quels sont les pistes explorées à l’étranger pour rendre le système moins injuste et moins redoutable sur le plan social ?
[audio:https://www.geneveactive.ch/2009/12/menger_pistes.mp3]La révision de la loi sur les réductions des prestations de chômage étant en cours, la dénonciation des “aménagements” accordés par la directrice du Poche, qui n’en a assurément pas l’exclusivité, n’est certainement pas anodine. La mise en accusation de Françoise Courvoisier va-t-elle permettre d’ouvrir le grand débat tant attendu par les artistes ?
Jacques Magnol
Pierre-Michel MENGER est directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS ainsi que directeur du centre de sociologie et des arts. Il est spécialisé en sociologie du travail et en sociologie des arts.
Ses principaux axes d’études sont : Les arts, leurs marchés et leurs systèmes d’évaluation; le travail et l’emploi dans les arts et la culture et, les temps de loisir et de travail dans l’emploi du temps des français. Il s’interroge aussi sur les perspectives d’intégration des apports de la recherche en sociologie et en économie.
Ouvrages récents :
Le travail créateur. Une sociologie de l’art, 2009
Les intermittents du spectacle, Sociologie d´une exception, 2005
Les professions et leurs sociologies (dir.), Éditions de la MSH, 2003
Portrait de l’artiste en travailleur, Seuil, « République des Idées », 2002
[…] sociale – Augmenter l’offre culturelle au coût le plus bas a un coût social élevé – L’essentiel de la croissance culturelle récente a été opéré sur l’emploi […]