La vie, maux d’emploi avec Israël Horovitz

De considérations sur la distance que met la disparition d’un astre à nous parvenir à un marathon new-yorkais, Israël Horovitz excelle à dire l’humain. Ce au fil de courtes pièces, qui marquent son incomparable talent de raconteur d’histoires.

Peintures faussement naïves d’humains en crise, les dramaturgies de l’Américain sont autant de mots jetés vers des vents prénommés : espoir, ironie, compétition, cruauté qui s’en vont s’en vont battre la digue de l’inquiétude. Celle d’un monde qui se délite entre désastres, effondrements intimes et stratégies de sur vie. Transposé à la scène par Léa Marie-Saint Germain avec sobriété entre mimodrame  traversés de poses figées et expressivité dans le jeu affirmé des comédiens, « Horowitz (mis) en pièces » recueille ces « dramuscules » comme la création et l’auscultation d’univers à la dérive, rehaussés d’un incomparable regard amusé d’entomologiste humaniste.

Emotions premières

Des textes dont la simplicité sait redonner la soif du monde, de l’instant, tous emplis de possibles. La langue d’Horovitz, le dramaturge américain le plus joué en France, nous promène dans les méandres de drôles de vies intérieures. Elle n’est pas aisée à appréhender. Mais sa concision et sa précision chirurgicale sont  d’une redoutable capacité à convoyer les émotions les plus élémentaires. Le philosophe Gaston Bachelard ne disait-il pas : « L’être est un lieu de résonance pour les rythmes des instants » ?

Photos du spectacle

Les sourires sont bientôt éclipsés par une insondable tristesse et une panoplie de malentendus jusqu’au sein de couples improbables filés dans une comédie de moeurs. « Ça fait un choc, les hommes ne s’attendent jamais à ce que les femmes se comportent comme des hommes », lâche Laura Chérit. Une comédienne qui sidère souvent par ce qu’elle a d’inventif, de dramatiquement et comiquement fort. De nombreux épisodes s’accordent avec les détails biographiques de l’auteur, dont la course pratiquée tôt par l’écrivain et sa première épouse, ancienne championne de marathon. Ou le souci d’interroger plusieurs dimensions d’un monde en guerre. Ainsi le conflit israélo palestinien (« Au pied du mur ») ou la Guerre du Liban sur fond de huis clos sous les bombes, dont la maîtrise dramaturgique confine à une lame tendue (« Beyrouth, ça tue »). La situation d’attente distille, en appartement, un délire parano dévoilant des étudiants US en attente de leur évacuation. La tension fait craindre une kamikaze sous les traits d’une jeune femme réfugiée dans ce lieu oublié et ayant le malheur d’être voilée. Du coup, une couleur automnale, vaguement désespérée tamise l’ensemble. L’écriture, simple et sobre, y est comme un témoignage de survie.

La mort en cette frontière

La mort a d’ailleurs le dernier mot assourdi d’ « Au pied du mur ». Sur scène, voici un soldat israélien en civil jouant les bombes humaines dans une haine symétriques envers les kamikazes de l’autre bord. Ivre de vengeance, il force le passage d’un Check Point pour se faire exploser du côté de l’ennemi intime. Qu’est-ce que la réalité au quotidien du conflit israélo-palestinien s’éternisant depuis si longtemps qu’il finit par nous laisser indifférents ? Question entêtante, inépuisable, mouvante, que travaille ce malaisant face-à-face entre deux fantassins israéliens dans un poste frontière à proximité de Ramallah, lors de plusieurs vagues d’attentats-suicides menés en Israël par le Hamas .On songe alors à cette chanson traditionnelle en hébreu des Pâques juives entendue dans le film « Free Zone » signé Amos Gitaï. Une comptine au rythme répétitif proche de la ritournelle sur l’absurdité des vengeances sans fin. Une parabole qui raconte l’histoire du bâton qui brûle pour avoir tapé le chien qui avait mordu le chat qui avait dévoré l’agneau. Et qui interroge : « Jusqu’à quand durera ce cycle infernal de l’oppresseur et de l’opprimé, du bourreau et de la victime, jusqu’à quand cette folie ? »

Metteur en pièces des rouages du réel, Israël Horovitz crée des points de tension, avec un beau sens du suspense relayé ici sur le plateau par un filage inspiré du rythme et de la mise en corps de ce que les mots ne peuvent que suggérer. Le dramaturge fait ainsi son miel des mécanismes du mensonge, des faux-semblants et tous ces dérapages quotidiens pouvant parfois dériver vers le pire. Et dont les opus courts retenus pour « Horowitz (mis) en pièces » sont la parfaite illustration.

Bertrand Tappolet

« Horowitz (mis) en pièces ». “L’Amour à temps”, “Danse nuptiale”, “Au pied du mur”, “L’Audition”, “Beyrouth ça tue”, “(Po)potins”, et “Histoire de courir” d’Israël Horovitz. Au Théatre du Bourg Neuf (5 bis rue du Bourg Neuf, Avignon). Rés. : 00334 90 85 17 90. Jusqu’au 28 juillet 2012.

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Publié dans théâtre