Les atteintes à  la vie de Camille Rebetez

scène

Le dramaturge Camille Rebetez offre dans “Vous m’emmerdez Murphy !“, pièce créée au TPR, un exemple de vie contrariée. Les ennuis, les emmerdements font l’humain autant qu’ils le contrarient.

Entretien avec Camille Rebetez.

La loi de Murphy est un principe empirique énonçant que  « si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner ». C’est donc une variante de la loi de l’emmerdement maximum qui veut qu’une tartine tombe toujours du côté de la confiture. Mais l’essentiel est ailleurs dans l’écriture palimpseste et polyphonique de Rebetez.

Le dramaturge dédouble dans “Vous m’emmerdez Murphy“, le personnage de Clémence, véritable « paratonnerre à  emmerdes ». Comment arrivons-nous à  dessiner le cours de notre vie ? être sujet de son existence est une conquête historique impliquant un travail éprouvant, complexe et risqué. Délivré des cadres traditionnels, l’individu connaît la panne sitôt qu’il ne croit à  plus à  sa propre histoire, à  son propre récit. La pièce de Camille Rebetez ouvre sur la question de l’identité, sur la manière de se construire et de se laisser déconstruire. Sur un échiquier géant évoluant sur le plateau un choeur d’amateurs qui distillent de manière chorégraphique les accidents du quotidien perturbant la géométrie corporelle et émotive. Une Clémence double  se heurte de manière tour à  tour burlesque et dramatique aux incises et imprévus de la vie. Au fil d’une conversation téléphonique, surgissent de manière impromptue un ado en père Noël entonnant son” jingle bells” perturbateur ou une mendiante insistante.

Voix off et choeur

C’est d’une archéologie du quotidien, de ses couches de sédimentation dont témoigne la fable. Quoi de moins surprenant que l’un des protagonistes du récit évoque tant le capitaine du sous-marin de “Vingt milles lieues sous les mers” qu’Etienne Fernagut, qui anime “La Ligne de coeur“, l’émission phare de la RSR ? Au micro, ce journaliste baroudeur des âmes tourmentées recueille la détresse des Romands, apportant ersatz d’écoute empathique et réconfort aux esseulés, dessinant les contreforts d’une sorte d’immense Choeur compassionnel d’invisibles auditeurs. « Le rapport à  cette émission se traduit scéniquement par tout un pan radiophonique ramenant à  cette culture de l’intime en aveux confessions. Vers qui se tourne-t-on en cas de malchance ? Le téléphone ouvre sur la présence en voix off du Capitaine Farragut. On peut aussi pointer une sorte de Deus ex Machina en relation avec ce personnage de confesseur radiophonique. Comme à  l’antique, le choeur est un pilier entre chaque scène, illustrant ce qui vient d’être raconté et annonçant la suite des événements. Ailleurs, il forme image, traduction scénique du récit et de ses enjeux. Pour déboucher sur le jeté de la tartine en scène, suscitant la disparition de certains éléments du choeur », souligne la comédienne Martine Corbat.

Exil de soi

L’emmerdement si bien chanté par Aznavour serait-il une nouvelle manière d’être pleinement au monde ? Le personnage de Clémence s’interroge : « Comment c’est de maintenir son âme sous le niveau de la mer ? Sous les marées noires, à  l’abri des incendies de forêts et, surtout, de ce genre de salauds fringués testostérone qu’on croise dans les escaliers et qui remarquent même pas qu’on existe ? Je peux venir, dis ? On sortira dans un emballage en plastique étanche au monde. Un scaphandre. » On retrouve ici comme un écho aux abysses animés de grande volutes voilées croisée au détour de la transposition scénique du précédent opus de Rebetez, “Les Chevaliers…”, questionnement sur les mythes communicationnels contemporains, ces artefacts de la “téléprésence au monde portable” qui ne peuvent obvier à  la plus haute des solitudes. Pourtant la sécurité à  tout prix à  son prix : la plongée en apnée au coeur de soi, les émotions filtrées par une carapace. Car chaque figure dissimule sa douleur et ses ténèbres. La pièce est un rêve de solitude pascalienne éveillé, un vécu pascalien à  la chambre, un cauchemar sécuritaire aussi. Légèrement grave et gravement léger, Rebetez navigue entre irréel et vérité. Ses univers sont souvent perturbés, incongrus, fantasques mais pertinents. “Vous m’emmerdez Murphy” parvient à  une sorte de dislocation poétique, d’innocence trash, de kitsch subversif ou de Journal de Bridget Jones déglingué et pop.

Bertrand Tappolet

St-Georges, Délémont, jusqu’au 28 novembre 2010.

Tagués avec : ,
Publié dans scènes