Le classement des personnalités du monde l’art, publié par le magazine ArtReview, sponsorisé naturellement par une marque de champagne, place deux « curateurs », Hans Ulrich Obrist (2e) et Bice Curriger (6e), avec le marchand zurichois Iwan Wirth (3e) dans le peloton de tête emmené par le marchand étatsunien Larry Gagosian. Les directeurs de musées avec Glenn D. Lowry (5e, MoMA) et Nicolas Serota (7e, Tate Modern) suivent en se plaçant avant des collectionneurs comme Eli Broad ou François Pinault. L’artiste le plus remarqué, le Chinois Ai Weiwei, est également architecte, et la « curatrice » qui effectue une apparition spectaculaire est la Sud-Africaine Rosell Goldberg (9e) qui s’est spécialisée dans les expositions de performances. Le genre a également réussi à Marina Abramovic dont la cote a sérieusement monté depuis sa performance au MoMA, The Artist is Present, 850’000 visiteurs et 1 million de visiteurs en ligne. L’exemple des deux précédentes permet de répondre à la récente question de Ben Vautier « La galerie voudrait que je fasse une performance. Qu’est ce qu’ils ont tous à vouloir que je fasse une performance ? »
Les acteurs les plus importants sont pour 29% étatsuniens, 16.8% britanniques, 15.8% allemands, 6.5% suisses et 5% français Chine 1.5% et Russie 1.3%). Epoque oblige, il convient de signaler l’augmentation de la présence féminine qui passe en un an de 24.3% à 27.8%.
Pourquoi effectuer un tel classement?
ArtReview nous répond qu’il faut « savoir que l’art auquel nous sommes exposés ne surgit pas par hasard: quelqu’un, ou plus souvent un groupe de personnes décident de faire en sorte que tel artiste soit exposé dans un musée, quel artiste ira dans quelle collection qui sera ensuite prêtée ou léguée à tel musée, etc.) A un moment où des coupes sévères sont effectuées dans les budgets culturels de la plupart des pays du monde, il est peut-être plus important que jamais de savoir qui tire les ficelles. »
Trois critères principaux ont guidé l’évaluation: l’activité de la personnalité en question dans le monde de l’art durant les douze derniers mois, l’influence propre sur le type d’art qui a été produit pendant cette période, et dans quelle mesure cette influence s’est déployée plutôt sur le plan international que national.
Un acteur du marché comme le collectionneur François Pinault, également propriétaire de Christie’s, et dont la collection est constituée d’oeuvres de ces vingt-cinq dernières années, a créé à Venise un nouveau marché touristique pour l’art contemporain, en 2010 ses deux lieux d’exposition, le Palazzo Grassi et la Dogana ont accueilli 1’300’000 visiteurs.
Marina Abramovic. photo Umberto Cicci, ArtReview. La cote de Marina Abramovic a sérieusement monté depuis sa performance au MoMA, The Artist is Present, 850’000 visiteurs et 1 million de visiteurs en ligne.
L’absence des médias
La critique de presse est peu considérée dans le classement, le seul média mentionné est le magazine en ligne d’annonces e-Flux (au 17e rang) en compagnie de deux historiens-critiques, le Russe Boris Groys (70e) et Roberta Smith, critique au New York Times, qui pointe à la 80e place pour s’être concentrée sur l’histoire récente. La réelle critique disparaît progressivement des média au profit de publireportages commandés par les galeries et les musées dans ces publications dont ils sont souvent partenaires.
Eric Troncy, du Consortium à Dijon, expliquait les raisons de la raréfaction de la critique : Le critique d’art n’est aujourd’hui d’aucune utilité au champ des arts visuels, désormais constitué en une économie autarcique et terriblement prospère plutôt qu’en territoire d’expérimentation où la connaissance du passé peut aider à évaluer le présent de propositions portées par des ambitions sinon progressistes, du moins novatrices à défaut d’être révolutionnaires. L’expression d’un jugement critique à l’endroit de la production garnissant les galeries d’art est désormais sans effet sur l’avenir de cette production. Mieux, il n’est pas plus souhaité par les institutions (qui rendent des comptes à leurs autorités de tutelles), par les collectionneurs (dont le pouvoir d’achat tient lieu de vérité), que par les artistes (qui préfèrent une belle photographie dans Vogue à un texte critique dans Texte zur Kunst). Mouvement, octobre 2008.
Candida Gertler, photo Miles Aldridge, ArtReview.
Un classement qui permet d’affirmer la domination
Si le magazine classe les acteurs de ce secteur économique quasi industriel où les concentrations d’activités complémentaires sont la règle, collectionneur/propriétaire d’une société de vente ou d’une galerie/membre du conseil de fondation de musées, ou directeur de musée/membre de commissions d’achat privées et publiques ainsi que de jurys, etc., il éclaire peu sur les stratégies. A l’instar du classement Forbes, le palmarès flattera les egos, représentera une garantie pour les clients des sélectionnés, ainsi Roselle Goldberg qui gagne cinquante places par rapport à l’an passé ou Iwan Wirth qui n’en gagne que huit mais se hisse dans le trio de tête. Sur le fond, Guy Debord citait La Boétie* (voir les Commentaires sur la société du spectacle) pour indiquer que dans toutes le confidences, la part principale de la réalité est toujours cachée, que l’on peut connaître un peu plus de cartes, qui peuvent être fausses, mais « jamais la méthode qui dirige et explique le jeu. Elles ne valent du reste que pour faire mieux approuver la domination, et jamais pour la comprendre effectivement. »
Jacques Magnol
*Discours sur la servitude volontaire.
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