Les musées suisses ont-ils peur des réseaux sociaux ? (II)

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Le MoCA de Los Angeles comme le Gugenheim de Bilbao sont présents sur tous les réseaux, est-ce une des clés de leur succès?

Il est difficile, dans le cas des musées suisses, de parler d’interaction réelle entre le musée et ses « visiteurs », ou de créativité qui pourrait, comme l’écrit Jim Richardson, “aider à  repenser le musée comme un endroit ouvert sur l’extérieur”. 

GenèveActive.ch. Jacques Magnol et Ekaterina Ermolina. 1er octobre 2010.

Comment les musées utilisent les nouvelles technologies

Contrairement à  l’entreprise privée où les chercheurs en marketing tentent de prévoir les désirs du public et l’éclosion de nouvelles tendances, les musées ne bougent, selon la sociologue Jacqueline Eidelman, que sous la pression du public, et encore les musées d’art contemporain se révèlent les plus résistants à  cette évolution dans une approche bottom up.
“Les habitudes des visiteurs ont changé” remarque Jacqueline Eidelman : «entre les visiteurs types des années 60 et ceux du nouveau millénaire, on est passé d’un singulier à  un pluriel et de la visite à  la sortie (en couple, entre amis, avec le comité d’entreprise, etc.). La culture s’est débarrassée de ses rigidités et le rapport à  ces lieux dits de culture cultivée a changé d’un coup. Grâce aux nouvelles technologies les visites sont préparées par des visiteurs qui deviennent finalement plus compétents.»

Écouter l’entretien avec  Jacqueline Eidelman, sociologue, Université Paris Descartes, Centre de recherche sur les liens sociaux – CNRS, et Alain Quemin, sociologue, Université Paris-Est, Institut Universitaire de France – CNRS. (Propos recueillis par Jacques Magnol lors du Congrès de la Société Suisse de Sociologie à  Genève, en septembre 2009)
[audio:https://www.geneveactive.ch/2010/10/democratisation.mp3]

Les musées en Suisse et ailleurs

La présence des musées sur Facebook ne dépend pas du genre du musée : on y trouve tout autant des musées d’histoire que des musées d’art contemporain. Si une différence est perçue dans le nombre d’adhérents aux profils Facebook des musées en fonction de leur taille, on voit surtout des divergences entre les musées en Suisse et ailleurs.

Al’étranger, les musées investissent de nombreuses plateformes sur Internet, que ce soit Facebook, Myspace, Youtube, Flickr ou Twitter, et la majorité possède un lien vers la plateforme correspondante directement depuis son site.
La situation est tout à  fait différente en Suisse ! Le seul espace investi par les musées, parmi ceux cités plus haut, est Facebook. Seule exception : le Musée de l’Elysée de Lausanne que l’on peut suivre aussi sur Twitter !
Quatre musées possèdent un profil Facebook relié au site web du musée : le Musée Cantonal des Beaux-Arts à  Lausanne, le Kunstmuseum à  Berne, le Musée de l’Elysée à  Lausanne, ainsi que le Musée d’Ethnographie à  Genève.
Le nombre de leurs adhérents est assez faible par rapport à  d’autres pays: L’Elysée de Lausanne affiche 1’003 membres, le Musée d’Ethnographie : 495, alors qu’ils sont 7993 à  adhérer au Musée d’Art Contemporain de Lyon, et le nombre grimpe jusqu’à  538’026 adhérents pour le MoMA.

En Suisse, certaines institutions contemporaines ne s’intéressent pas au grand public
L’autisme de certaines institutions contemporaines en Suisse ne peut que refléter le manque d’estime dans laquelle elles tiennent leurs publics. Il suffit de naviguer sur leurs sites, souvent peu « user friendly » pour constater jusqu’à  l’absence d’un flux RSS, la fonction la plus basique, gratuite, simple à  activer et qui informe ensuite automatiquement les internautes. A Genève, par exemple, seul le Musée d’ethnographie (MEG) la propose. Manquerait-on dans la ville du bout du lac des compétences élémentaires en matière de communication ? La réponse est certainement à  chercher dans leur définition des publics cibles ainsi que leur attrait démontré pour le bling-bling et le marché. Sinon, comment expliquer le foisonnement de publireportages coûteux à  la gloire des insitutions contemporaines sur les pages des magazines gratuits «people-vip» qui innondent ce milieu? Mobiliser des ressources importantes, financières et humaines, pour attirer ce public acheteur potentiel d’un art contemporain réduit à  la fonction de décor serait-il devenu plus important que de produire du savoir et le faire savoir? Conséquence de cet autisme: les salles sont généralement vides hors les moments de vernissage.
(Les flux RSS – mécanisme développé en 1997 – (pour Really Simple Syndication ou RDF Site Summary) sont des flux répertoriant des contenus gratuits mis à  disposition par des sites internet, qui contiennent divers types dinformations. Ils s’actualisent automatiquement, sur l’écran de votre ordinateur, sans que vous ayez besoin de vous connecter au site web d’origine.)

tableau des musées

Les profils : quels échanges avec son réseau ?

Si les internautes choisissent une présentation de soi qui se veut singulière à  travers Facebook, on note une certaine homogénéité des profils des musées. La plupart des profils des musées sont des pages (où les adhérents sont des people who like, alors que les groupes sont composés de membres). Sur ces pages, on voit, la photo de profil, montre le bâtiment vu de l’extérieur et en dessous se trouvent des informations standard (adresse, téléphone, horaires).
Cette unité des profils permet peut-être de différencier les profils « officiels » des autres. En effet, le nombre de profils de toute sorte est considérable et il est parfois difficile de s’y retrouver. Les groupes d’intérêt créés par les internautes côtoient des pages qui affichent « officiel », ou encore des « musées-personnes » – comme l’un des profils du Centre d’Art Contemporain, qui indique être né en 1970 et se dit in an open relationship.

Pourquoi créer un profil Facebook si ce n’est pas pour se démarquer en apparence ? Est-ce que cela fait partie d’une tendance à  être sur le réseau, à  se rendre visible à  des fins de promotion ?

Il est difficile, dans le cas des musées suisses, de parler d’interaction réelle entre le musée et ses « visiteurs », ou de créativité qui pourrait, comme l’écrit Jim Richardson, aider à  repenser le musée comme un endroit ouvert sur l’extérieur.

Aux Etats-Unis et en Europe, les musées sont plus actifs sur Facebook : les informations sont nombreuses et variées, tant au niveau du contenu que de la forme (vidéos, articles, etc.). Les musées répondent aux commentaires des internautes et laissent parfois même des billets d’humeur, comme le Guggenheim de Bilbao qui décrit « son » arrivée au musée par une belle matinée!
Les commentaires des internautes sont plus nombreux sur le wall des musées qui affichent beaucoup d’adhérents comme le MoMA, ou le Guggenheim de New-York, tellement nombreux que ces musées possèdent une option de tri : afficher tous les commentaires, ou seulement ceux du musée.
Toutefois, il est difficile, là  encore, de parler de réel apport de la part des internautes : la plupart des commentaires restent des avis sur telle exposition, ou des commentaires sans rapport avec le musée. Parfois, on voit les mêmes internautes laissant de la publicité pour tel site internet, tel blog d’artiste, sur les wall de musées différents.

La place des commentaires
En Suisse, les musées font preuve d’une faible activité sur leurs profils. Sur le wall ou mur censé entretenir le dialogue avec le public, le partage, les seuls à  s’exprimer sont les musées eux-mêmes ! De plus, les commentaires sont en général rares et concernent essentiellement les expositions en cours ou à  venir. Ces visiteurs peuvent toutefois avoir la plume irritée quand ils se trouvent face à  un musée qui ne leur facilite pas la visite comme ce musée genevois.
Et les internautes ?  Une majorité de like ponctuées de deux ou trois exclamations. Le Kunstmuseum de Berne met en ligne des photos de la Nuit des Musées ? 3 people like this ! En Suisse, les rares photos mises en ligne proviennent uniquement du musée, en général (exceptions : La Fondation Beyeler avec 40 photos d’internautes, et le Musée des Beaux-Arts de Lausanne avec 10). Au Centre Pompidou, les photos chargées par les utilisateurs dépassent les sept cents.

L’entrée est progressive dans l”‘ère postmédia“, annoncée par Félix Guattari, “consistant en une réappropriation individuelle collective et un usage interactif des machines d’information, de communication, d’intelligence, d’art et de culture.” Pour les générations qui ont grandi dans un univers digitalisé, la culture ne sera plus jamais un simple bien de consommation. Plutôt que de regarder de haut les nouvelles formes de communication et s’enfermer dans leur bastions culturels, les musées seraient bien inspirés de connaître mieux ces publics et leurs activités, pour apprendre à  les capter et mieux : à  les susciter.

Jacques Magnol et Ekaterina Ermolina

Mise à  jour.
20 novembre 2010: Aux Etats-Unis, une page visitée sur quatre est de Facebook, sur le plan mondial le réseau social compte pour 10% de la navigation, il dépasse Goggle de 3%. Données communiquées par la société Hintwise. Cliquer sur “j’aime” est devenue une activité narcissique favorite.

L’exemple d’Obama dans Politique de l’image (no 1, juin 2009)

« L’équipe d’Obama a compris qu’il était nécessaire de diffuser son message sur tous les supports médiatiques existants. Ils ont non seulement travaillé avec les médias traditionnels -la télévision, les réseaux, les quotidiens -, mais ils ont aussi expérimenté l’utilisation des univers vidéoludiques, des téléphones portables, des réseaux sociaux et de YouTube pour atteindre les électeurs et nouer une relation avec eux. Leur analyse était qu’une campagne ne consiste pas à  transmettre une fois un simple message, mais qu’il s’agit de construire, sur le long terme, un réseau reliant les électeurs entre eux et formant ainsi une communauté de soutien. Ils ont accepté et encouragé les appropriations populaires et les pratiques de « remix » de l’image d’Obama, de sorte que le public possède un sens aigu de proximité avec cet homme et son image. Ils ont adopté un « nous» largement compatible avec les expériences vécues de leurs sympathisants vis-à -vis des réseaux sociaux et des intelligences collectives. De bien des façons, la campagne d’Obama constituait moins un mouvement politique qu’une communauté de fans. »

Pour organiser les médias sociaux il faut un community manager et la définition de son profil est ardue. Internet et opinions a tenté l’exercice: «La compétence est complexe parce qu’elle suppose à  la fois une compréhension des codes des médias sociaux (et on observe de sacrés gaps culturels entre, disons, les moins de 35 ans et les plus de 35 ans) et une compréhension des enjeux de marque (rare chez les juniors), voire du porte-parolat (qui demande carrément d’être très senior).  Si vous vous êtes intéressés au cas, vous aurez déjà  lu plusieurs fois qu’il faut cesser de confier des postes de community managers à  des juniors juste parce qu’ils sont de la génération Y. Il s’agit de savoir si la fonction community management relève du marketing (ce qui fait sens sur Facebook quand on est sur une page de marque, outil de relation client avant tout), de la communication (ce qui fait sens pour un espace d’entreprise), d’une autre direction ou d’un autre service.

Voir également sur GenèveActive.ch :

Les musées suisses ont-ils peur des réseaux sociaux ? (I)

Jean-Yves Marin a pour tâche de relancer le Musée d’art et d’histoire. Interview.

Payer pour un produit culturel est aujourd’hui dépassé. Avec Alain Quemin.

Aujourd’hui, le jugement de valeur se fait très brutalement aux enchères.

Musées et collections : la question brûlante de la dé-collection.

Art contemporain: des professionnels réclament plus d’éthique.

La valeur des oeuvres d’art est liée à  leur durabilité. Avec Pierre-Michel Menger.

La publication sur les blogs facilite l’insertion professionnelle et les liens sociaux. Avec Nicolas Nova.

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