Musées et collections : la question brûlante de la dé-collection

N023

Tracey Emin. My Bed, 1998. Lit, Matelas, Draps, Oreillers, Mixed Media. 79 x 211 x 234 cm. Saatchi Gallery London. © 2008 Tracey Emin

A Londres, le projet de nouveau musée d’art contemporain de Charles Saatchi, qui aurait mêlé les rôles de marchand et d’institution, est remis en question, le lien avec le marché est cependant revendiqué par la commissaire du pavillon national de l’Irlande à  la prochaine biennale de Venise.

Le musée-galerie de Charles Saatchi

 En juillet 2007, le collectionneur britannique Charles Saatchi annonça son intention de créer un musée d’art contemporain dans un nouvel espace de 6500 m2 à  Chelsea, à  Londres. Puis, en juillet 2010, le mécène proposa de donner un lot de 200 oeuvres estimé à  25 millions de livres sterling, soit près de 39 millions de francs. La collection proposée comprenait, entre autres, l’oeuvre très médiatique de Tracey Emin qui a tant choqué le public, “My Bed“, puis le fameux requin conservé dans le formol, pièce intitulée (trad.) “L’impossibilité physique de la mort dans l’esprit d’un vivant” de Damien Hirst, et « Tragic Anatomies » des Frères Chapman. Le geste fut qualifié d’«incroyable générosité» par le secrétaire d’Etat à  la culture Jeremy Hunt, cité par le quotidien The Independent. Au début de ce mois de septembre 2010, l’opération est remise en question.

Le futur musée MoCA (Museum of Contemporary Art for London) devait être associé à  la galerie Saatchi et travailler en collaboration avec la société de ventes aux enchères Phillips de Pury & Company.
Charles Saatchi désirait que le musée puisse vendre et acheter des oeuvres afin de «pouvoir présenter une collection vivante et évolutive plutôt que les archives de l’histoire de l’art » ainsi qu’ «assurer une rotation permanente d’une collection d’installations majeures».  C’est apparemment cette activité commerciale qui a dérangé l’éthique de la Museum’s Association et semble à  l’origine de l’impasse dans laquelle se trouve le projet de musée public-privé, mais la crainte que ce MoCA puisse faire de l’ombre à  la Tate Modern est aussi évoquée.

La dé-collection fait probablement partie de l’essence de la collection

Sans clause d’inaliénabilité, une collection jouit de l’immense avantage, outre de permettre l’évolution de la collection, de résoudre le problème tabou de la dé-collection que soulevait déjà  Yves Michaud lors d’un colloque en 1989 : «La vente d’une partie de la collection Panza di Biumo au MOCA de Los Angeles, les changements d’orientation de la collection Saatchi en suggèrent l’importance (de la dé-collection). Ils suggèrent le poids que ce mouvement pourrait avoir. Que veulent dire vendre, se séparer, ne plus garder ? Il faudrait y réfléchir, d’autant plus que la dé-collection fait probablement partie de l’essence de la collection : un collectionneur est bien souvent un dé-collectionneur, par nécessité financière, passionnelle, spatiale. Un sujet probablement aussi brûlant qu’énigmatique.»
L’inaliénabilité de la collection déposée au Mamco de Genève par des investisseurs était bien la clause dont ils se seraient volontiers passés. La parade existe avec les oeuvres exposées tout en restant prêtées, leur présence sur les murs d’un musée les dote d’un prestige dont elles ne jouiraient point dans les dépôts d’un port-franc.  Une opération de dé-collection bien menée peut donc se révéler bénéfique sous forme de plus-value pour la collection toute entière dans le cas d’un don ou d’un prêt à  long terme, comme ce pourrait être le cas dans le “deal” de la fondation d’un collectionneur avec le Musée d’art et d’histoire de Genève.

La question de la gratuité

A Londres, l’accès gratuit au MoCA devait permettre de passer des 600’000 entrées annuelles de l’ancienne Saatchi Gallery à  plus d’un million de visiteurs. C’est l’activité commerciale de Saatchi aurait permis le financement du fonctionnement de la nouvelle institution sans avoir recours, comme promis initialement, à  l’aide de l’Etat.
La volonté d’offrir l’accès gratuit tranchait avec les les tarifs très élevés généralement pratiqués par les collections et fondations privées ” CHF 30 chez Pinault à  Venise, CHF 25.- chez Beyeler à  Bâle, CHF 15.- chez Maeght à  St-Paul-de-Vence — des institutions publiques prennent malheureusement le même chemin, tel le Centre Pompidou à  Paris. Aux débuts de Beaubourg, en 1977, l’accès à  de nombreux espaces était gratuit et l’instauration de tarifs dissuasifs, notamment pour les jeunes et les étudiants, a provoqué des effets d’exclusion.

Des observateurs estiment que Saatchi et ses associés s’achemineront vers la création d’un musée privé en compagnie d’autres partenaires comme tant d’autres collectionneurs ou entreprises l’ont fait: Ludwig, Maeght, Ricard, Cartier, Pinault, etc. C’est le retour à  l’origine de la collection comme initiative de personnes privées riches et moyen d’affirmer pouvoir et prestige. Une telle entreprise nécessite une mise de fonds considérable, d’abord pour la construction ou l’achat et la transformation d’un bâtiment, puis des frais de fonctionnement annuel de cinq à  sept millions de francs suisses pour un projet de type Saatchi. Voilà  une bonne raison de confier la maintenance d’une collection à  une institution publique tout en conservant la propriété des oeuvres.

Jacques Magnol

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Publié dans arts, économie
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