Ariane Mnouchkine et Philippe Macasdar invitent en Europe Les égarés du Chaco

chaco-605
©Bia Mendez Pena

Le metteur en scène Jean-Paul Wenzel rassemble une troupe de jeunes comédiens boliviens formés à Santa Cruz dans une adaptation d’un texte dense et fiévreux d’Adolfo Costa du Rels. Après un accueil au Théâtre du Soleil, la Bolivie débarque à Genève. Jeudi 30 octobre, l’équipe du spectacle rencontrera le public après la représentation.En pleine guerre entre la Bolivie et le Paraguay (1932-1935), des soldats errent dans la nature hostile du Gran Chaco. Ils sont minés par la soif, la fièvre et la fatigue. Dans la touffeur de la pampa, l’espoir de revoir la civilisation s’amenuise. On dit pourtant qu’une lagune n’est pas loin, qui pourrait les sauver…

C’est autour de ce texte hanté de l’auteur franco-bolivien Adolfo Costa du Rels, écrit d’abord en français sous la forme d’une nouvelle (1938), que Jean-Paul Wenzel a construit un spectacle d’une ampleur inédite. Le metteur en scène s’est entouré, pour cette aventure humaine au long cours, d’un groupe de comédiens fraîchement diplômés de l’Ecole nationale de théâtre de Bolivie, le premier centre national du pays, construit il y a dix ans au cœur d’un quartier défavorisé de Santa Cruz : « Une histoire, comme nos métiers savent en inventer, ici et ailleurs, si loin, si proche. »

“Quand Jean-Paul Wenzel est venu me raconter l’aventure qu’il avait vécue et vit encore avec l’École Nationale de Théâtre de Bolivie à Santa Cruz, j’ai compris qu’il y avait là une très forte parenté avec ce que le Théâtre du Soleil avait fait germer au Cambodge au sein de l’École des Arts Phare Ponleu Selpak, ou en Afghanistan avec le Théâtre Aftaab “en voyage”. Troupe aujourd’hui à l’abri en France, dans l’attente de jours meilleurs dans son pays afin d’y retourner vivre et pratiquer son art. J’ai aussi pensé au rêve d’École nomade que des comédiens du Soleil et moi-même caressons depuis plusieurs années et mettons en oeuvre progressivement.”

Ariane Mnouchkine, juillet 2014

chaco2
©Bia Mendez Pena

L’histoire

En pleine guerre du Chaco entre la Bolivie et le Paraguay (1932-1935), un bataillon bolivien tombe dans une embuscade et se disperse dans les bois pour éviter d’être encerclé. C’est dans cette nature hostile, ce Chaco aride semé de broussailles et de forêts sèches impénétrables, qu’un groupe d’hommes (comme il yen eut beaucoup dans cette guerre) va se perdre, tenter de trouver une hypothétique lagune, dormant le jour, marchant la nuit pour survivre à la chaleur écrasante.

Mais la réserve d’ eau s’épuise, les hommes aussi, et l’espoir. Pour le maintenir, assurer la cohésion du groupe et son autorité sur les hommes, le Capitaine Borlagui se sert de l’illusion comme arme l Mentir pour tenir l Tenir pour sortir vivant de ce guêpier.

La nuit enveloppe le groupe de présences invisibles. La forêt aime la chair humaine. On croit voir derrière chaque animal un démon, et derrière la vision hallucinée d’une femme, le Tangatanga, dieu tricéphale.

La lagune H3 existe paraît-il, mais elle reste introuvable, elle ne figure sur aucune carte. La ration d’eau diminue de jour en jour. On entend régulièrement le bruit d’un cours d’eau mais ce n’est qu’une illusion de plus que la fièvre entretient. Alors, pour calmer les terreurs, les manques et les angoisses, chacun a ses recours, ses talismans: Dieu pour certains, les Dieux pour d’autres, les croyances et superstitions indiennes.

Et puis il y ale lieutenant Contreras qui ne croit à aucun dieu, à aucune superstition, mais, hanté par une ombre qui le suit sans doute, qui l’habite sûrement, va un jour s’en libérer par un acte considérable, irraisonné: l’attaque au couteau d’un tronc d’arbre, un toborochi, qui, sous les coups rageurs de la main qui le taillade et le sculpte, va prendre la silhouette et les traits d’un homme. Un acte de création qui, à lui seul, va transcender la peur de la mort.

La force de cette écriture, c’est que l’auteur donne à voir la réalité de ces hommes errant dans la jungle aux prises avec la faim, la soif, la peur, l’épuisement, les fièvres, petite communauté d’hommes où la hiérarchie sociale, militaire, les ambitions, le pouvoir, les trahisons, la solidarité, le cynisme, l’espoir, le désespoir, le rire et les pulsions de violence, redéfinissent à chaque pas, à chaque souffle, les lignes de force et de fuite. Dans le même temps, Adolfo Costa du Reis nous ouvre un monde fantastique, peuplé d’ombres mouvantes, de lueurs dans les fourrés, habité de présences diaboliques ou féériques, un univers qui nourrit la peur et l’angoisse des hommes comme leur capacité de rêve, leur imaginaire, leur puissance de survie.
Arlette Namiand

Les égarés du Chaco

St-Gervais Genève Le Théâtre
28 octobre au 2 novembre 2014.
d’après La Lagune H3 d’Adolfo Costa du Rels
Escuela Nacional de Teatro (Bolivie) / Dorénavant Cie

Publié dans théâtre