Photo : Direction générale de la nature et du paysage.
Les milieux engagés dans la protection de la nature s’inquiètent des conséquences du projet de réorganisation des directions de Luc Barthassat. Le projet en gestation depuis près de six mois verrait le département dédié à la nature et au paysage réuni sous la tutelle de celui de l’agriculture. Contesté depuis plusieurs mois par plusieurs acteurs reconnus, ce projet sera soumis au Conseil d’État le 28 octobre.
Selon plusieurs sources, le magistrat aurait annoncé son intention de réorganisation sans procéder à un audit interne et sans tenir compte des propositions qui auraient été formulées.
La nature est particulièrement privilégiée à Genève depuis les efforts engagés il y a quinze ans par le conseiller d’État d’alors, Robert Cramer, avec une équipe de hauts fonctionnaires reconnus comme particulièrement compétents. La qualité de ces équipes a permis au canton genevois de bénéficier d’un financement par l’Etat et la Confédération à la hauteur des objectifs.
Le 24 septembre 2015, le projet de Luc Barthasst a fait l’objet d’une question écrite de Christina Meissner, députée au Grand Conseil du Canton de Genève, qui a déposé la question écrite Q270 :
«Lors de l’inauguration du Centre Nature de l’Allondon le 18 septembre 2015, le président de Pro Natura Genève a exprimé au conseiller d’Etat Luc Barthassat son inquiétude sur le devenir de la direction générale de la nature et du paysage (DGNP). Sans aller dans les détails, ce dernier a répondu que les choses allaient de l’avant et que le regroupement de la nature et de l’agriculture ne pourrait être que positif. Questionné sur le même sujet, le département a répondu à la séance plénière de la commission consultative de la diversité biologique du 22 septembre 2015 que personne ne savait encore exactement comment se présenterait la réorganisation départementale mais que les décisions étaient imminentes.
Compte tenu du fait que l’existence de la DGNP et son organisation relèvent d’une loi cantonale (M 5 35 : Loi sur l’organisation de la direction générale de la nature et du paysage (LODNP)), tout changement organisationnel doit passer par le parlement.»
Christina Meissner, députée au Grand Conseil.
« Pour moi, Luc Barthassat est en train de tuer la nature et je suis complètement révoltée. »
La députée Christina Meissner connaît particulièrement bien la DGNP pour avoir été un temps la chargée de communication du service des forêts, de la protection de la nature et du paysage.
« Je constate avec effroi que Luc Barthassat a un agenda qui est plus politique qu’une vision dans le sens d’aller dans le sens de servir l’Etat, les citoyens et la nature, et cela me désole profondément car cette restructuration est dénuée de sens.
Au départ, au début de l’été, la Direction générale de l’eau était sous le feu de l’action suite à la démission de son directeur général. Puis, à la fin de l’été, le conseiller d’État a changé d’avis et décidé la disparition de la Direction générale de la nature. C’est une décision qui a été prise sans évaluation, sans qu’un bilan ait été effectué préalablement C’est aussi une question humaine, ce sont de hauts fonctionnaires, comme Gilles Mulhauser et Jean-Pierre Viani, entre autres, qui sont là depuis longtemps et cette restructuration est effectuée sans consultation de ces hauts fonctionnaires.
Parallèlement, pour moi qui a consacré toute ma vie à la protection du cadre de vie, à la nature, c’est un très mauvais signal d’inféoder ainsi la nature sous l’agriculture, c’est faire fi de toute une autre partie du territoire dans lequel les enjeux en matière de nature sont d’autant plus importants aujourd’hui que dans le milieu agricole la compensation écologique est ancrée depuis les années 2000 dans la politique fédérale. Du travail a été fait mais tout reste à faire dans l’autre milieu, le seul qui augmente aujourd’hui, celui de la nature en ville qui a besoin d’être encore plus présente pour maintenir un cadre de vie, surtout à l’heure de la densification. Mettre la nature sous l’agriculture c’est ne pas prendre en compte ces enjeux. Pour moi, Luc Barthassat est en train de tuer la nature et je suis complètement révoltée.»
Le financement des actions engagées sera-t-il assuré dans la nouvelle configuration prévue ?
« On connaît la situation financière du canton de Genève et je suis absolument persuadée que ça va ferrailler dans tous les sens au niveau du budget pour trouver des postes où économiser. Tout cela découle de la situation créée par la démission du nouveau directeur général de l’eau. C’était une opportunité effectivement à saisir pour étudier les possibilités de regroupement, de rationalisation, surtout au niveau des services de support, et de n’avoir que deux directions au lieu de quatre, ce qui me semblait être une bonne solution, c’est à dire, d’une part l’environnement, et, de l’autre, la nature, l’agriculture et les eaux regroupées, cela aurait fait sens, mais ce n’est pas ce qui a été choisi. Le tâtonnement du départ a débouché sur une solution boiteuse. »
Quelle suite entrevoyez-vous ?
« La décision doit être prise demain (mercredi 28) par le Conseil d’État. Il y a un moment que ce dossier est discuté au niveau du Conseil d’État, je fais partie de la Commission consultative de la diversité biologique et au niveau de cette commission consultative nous avons reçu M. Barthassat encore hier pour tenter de le convaincre de travailler avec nous sur différentes pistes avant d’adopter celle-ci qui ne nous paraît pas la bonne, mais nous avons essuyé une fin de non recevoir.
Nous espérons qu’une once d’intelligence amènera le Conseil d’État à demander à M. Barthassat de revoir sa copie. Il faut aussi rappeler que cette direction générale est régie par une loi, la M 5 35. C’est une direction qui a une base légale qui nécessite un passage par le parlement pour la modifier. Donc, si ce changement au niveau du règlement de l’organisation de l’administration cantonale est validé demain par le Conseil d’État, une fois de plus il se mettra le parlement à dos pour avoir by passé le pouvoir de ce parlement.»
Propos recueillis le 27 octobre 2015.
Mise à jour. 4 novembre 2015. Le démantèlement du département nature a été confirmé par le Conseil d’Etat :
“Le 4 novembre, le Conseil d’Etat a avalisé la nouvelle organisation des services chargés de la protection de l’environnement, de la gestion des eaux, de la nature, du paysage et de l’agriculture proposée par le chef du département de l’environnement, des transports et de l’agriculture (DETA) en vue de concrétiser une vision et une gestion intégrées du territoire et de ces différentes facettes relevant du DETA.
A compter du 1er janvier 2016, les services de la direction générale de la nature et du paysage et de la direction générale de l’agriculture seront regroupés en une nouvelle « direction générale de l’agriculture et de la nature (DGAN) », qui comprendra les services de l’espace rural et de l’agronomie d’une part, et les services du paysage et des forêts, ainsi que de la biodiversité, d’autre part.
Afin de regrouper l’ensemble des questions liées intrinsèquement à l’eau dans une seule et même direction générale (direction générale de l’eau), la capitainerie cantonale (gestion des amarrages, gestion portuaire et gestion de l’espace lacustre), ainsi que la pêche, rejoindront l’actuel service de la renaturation des cours d’eau, dont l’appellation sera désormais le « service du lac, de la renaturation des cours d’eau et de la pêche ».
Les aménagements de nature réglementaire et législative subséquents, en cours d’instruction, seront appelés à être proposés à l’autorité compétente.
Enfin, le personnel du service de management environnemental a été redéployé à l’intérieur de la direction générale de l’environnement (DGE), afin de poursuivre les actions de management environnemental au sein des services autorités, à l’exemple du service de géologie, des sols et des déchets (GESDEC), du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (SABRA) et du service de l’environnement et des risques majeurs (SERMA).”
Note (1) : La direction générale de la nature et du paysage (DGNP) emploie près d’une centaine de personnes (y compris stagiaires et apprentis). Plus de 25 métiers ou formations de base sont représentées. La moitié des collaboratrices et collaborateurs travaillent sur le terrain : les gardes exercent la surveillance des milieux naturels, de la faune, de la pêche et des ports, les équipes d’entretien prennent en charge les travaux en forêt, sur le lac, les cours d’eau et concernant les infrastructures d’accueil et de loisirs en milieu naturel ou rural. Voir le site de la DGNP.
Note (2) : Cité par la Tribune de Genève, «Thomas Putallaz a précisé au nom du Département de l’environnement, des transports et de l’agriculture (DETA), que «cette réflexion a démarré en juin, en toute transparence avec les collaborateurs». D’autres sources assurent qu’il n’y a pas eu d’audit interne et que le projet n’a pas été discuté avec les directions générales. La question de la protection de la nature devrait être apolitique.
Nos archives :
– Cent ans de nature à Genève. Emission avec Gilles Mulhauser, directeur général de la DGNP à l’occasion du centenaire de la naissance de Robert Hainard. Septembre 2006.
– Dix ans de renaturation des cours d’eau à Genève.
– Robert Cramer et ses projets pour le canton de Genève. Août 2006.