Dix ans de renaturation des cours d’eau à  Genève

 L'Aire

L’Aire.

Ce fut un long chemin, parcouru avec beaucoup de retard, avant que la société civile et la Genève politique n’admettent que la gestion de nos ressources hydrologiques n’avaient mené qu’à  un cul-de-sac souvent nauséabond. Quand les rares poissons qui survivent flottent en faisant la planche, quand les crues saisonnières deviennent inondations, quand la faune s’appauvrit et se raréfie mais le béton s’épaissit et se multiplie, il est temps de revoir sa copie et de fondamentalement remettre en question sa politique. Ce que Genève a fait.

Héritages et retard

Il semble raisonnable d’attribuer ce constat aux concepts issus de deux héritages. D’abord, celui de la révolution industrielle du 19e siècle, quand il s’est agi d’exploiter la nature au maximum et donc de la dominer et la transformer au service du progrès. Ensuite, la grande leçon de la seconde guerre mondiale telle que la Suisse l’a vécue : la vitale nécessité de l’autarcie alimentaire ( voir Plan Wahlen …).  Pour gagner des terres arables on assèche les marais, on dicte leurs cours aux rivières – quitte à  les enterrer après les avoir endiguées.

Les années ’50 (1950) marquent le début de l’urbanisation d’une Genève qui se voit grandir et lance de grands chantiers.  La Cité Satellite de Meyrin, la Cité Nouvelle d’Onex ensuite, drainent des milliers de familles et leurs équipements électro-ménagers dont les prix commencent à  se démocratiser. Machines à  laver, chasses d’eau, salles de bains, etc.. rejettent d’incroyables quantités d’eaux usées. Alors que Genève est en retard.

La première station d’épuration des eaux entra en fonction en Suisse à  Saint-Gall entre 1913 et 1916. A Zurich, c’est en 1923 qu’une loi rend obligatoire le tout-à -l’égout – plus d’eaux usées partant dans le caniveau de la rue; corollaire : la première station d’épuration zurichoise est inaugurée en 1926. Mais c’est trente ans plus tard, en 1958, que Genève lance son programme d’assainissement systématique des eaux. Bouchées doubles : en 1975, il y aura 120 kilomètres de canalisations, 15 stations d’épuration avec 27 stations de pompage.

Bonjour les dégats

La qualité d’écoute de la société en général et de son émanation politique va peu à  peu capter la fréquence écologique, et enfin percevoir ce que révèlent les rapports alarmistes des … associations de pêche sportive.  Les pêcheurs sont des témoins privilégiés et attentifs de la vie des cours d’eau et de leurs populations. Leurs constats sont alors accablants. Les biotopes naturels aux cours des rivières sont en voie de disparition; les eaux endiguées et canalisées sinon enterrées ne sont plus capables de s’auto-régénérer faute d’air et de soleil; la faune piscicole se raréfie, et la chaîne alimentaire animale voit ses chaînons disparaître un à  un.

Hors des rivières, les zones marécageuses ont diminué. Certaines espèces de batraciens ont disparu. Bon indicateur de ce phénomène : les cigognes, qui vivent essentiellement de la faune des zones marécageuses et humides.  Vers 1900, on comptait 140 nids de cigognes occupés en Suisse. Mais plus que 6 en 1948, et zéro en 1949. Aujourd’hui, grce aux efforts de renaturation au niveau national, plus de 200 couples de cigognes viennent nicher en Suisse.

En parallèle, l’écologie a affiné ses instruments de mesure et forgé de nouvelles clés d’interprétation – tout en gagnant un poids politique considérable. Sur la carte des migrations aviaires, Genève est ce que l’aviation commerciale appelle un ”hub” .   Oui, mais quand l’appauvrissement du biotope incite à  faire escale ailleurs ou nicher plus loin, quand Genève en vient à  figurer sur la liste noire des oiseaux migrateurs, il y a du souci à  se faire.

L'Aire

Vue aérienne de l’Aire canalisée

Réaction et action,  mais quel plan ?

Sans doute les grandes crues de 1987 et 1993 – avec inondations – ont-elles donné un sérieux coup de pouce à  la dynamique de la réflexion. En 1997, la loi cantonale genevoise sur les eaux est complétée d’un programme de renaturation des cours d’eau assorti des moyens financiers nécessaires. Le Fonds cantonal de renaturation se voit doté de 6 millions de francs annuellement.

En corollaire, les expertises et savoir-faire jusqu’ici disséminés dans divers services de l’Etat sont réunis dans une seule unité dépendant du Département du Territoire. Pas de retard cette fois, puisque les travaux démarrent en 1998.   Mais quel est le plan ?

L’idée directrice est simple :   la nature par elle-même se débrouille infiniment mieux quand il s’agit de gérer l’eau, à  condition de la laisser faire sans prétendre la dominer.   Nous avions dénaturé un système, il s’agit de le re-naturer.  Un retour aux lois naturelles, réaliste et sans culte béat.   Une rivière est capable de conduire une grosse crue si son lit est assez profond et assez large,   ses rives absorbantes.   Foin des endiguements en béton et des gabions ( masses de pierres et de terre enveloppées dans un filet métallique ) qui ont démontré leur peu d’utilité.

Quant à  la faune et la flore, on leur fait confiance.  Avec des eaux de qualité acceptable, des zones élargies et mieux protégées, des rives et des marais rendus à  leur évolution naturelle, les divers biotopes genevois reprennent vie et voient leurs populations retrouver une diversité garante d’un sain équilibre entre les espèces. Cette fois-ci on se contente de donner à  la nature toutes ses chances,   en se gardant bien des tripatouillages intempestifs. Priorité au laisser-faire naturel.

En poussant plus loin l’analyse, on tombe sur une évidence :   les eaux qui coulent à  Genève viennent en majorité de France. Il faut raisonner non plus en termes de rivières,   mais de bassins hydrographiques transfrontaliers.   Il faut qu’au niveau de la source la rivière ait autant de chances de bonne santé qu’elle en a en aval. Donc : dialogues, négociations, et finalement accords et contrats passés entre la France voisine et Genève.

Dix ans après

Le Département du Territoire que dirige Robert Cramer, Conseiller d’Etat, vient de présenter son bilan d’actions couvrant les années 1998 à  2008.   Et les résultats présentés son extrêmement positifs.

En chiffres : quinze kilomètres de cours d’eau et de rives ont été revitalisées en étant rendues à  la nature.   Quatorze hectares de zones humides et de plans d’eau ont été reconstitués.   Cent hectares de réserves naturelles ont été réhabilités. Ont bénéficié de ces chantiers onze rivières et zones humides : Allondon, Versoix, Aire, Hermance, Drize, Laire, Arve, Foron, Seymaz, Nant d’Avril et le Marquet Gobé du Vengeron.

En savoir-faire : le cadre de réflexion et la mise en oeuvre des techniques du génie biologique ont permis aux spécialistes de l’environnement, aux bureaux d’ingénieurs et aux entrepreneurs genevois d’acquérir une expérience et un savoir-faire. Solide, rare et … exportable.

En développement de la faune :   de l’ombre et la truite aux insectes aquatiques, en passant par l’écrevisse à  pattes blanches et   les crapauds sonneurs, accoucheurs et calamites,   la faune regagne et repeuple peu à  peu ses biotopes naturels, et les castors genevois semblent bien avoir retrouvé le sourire.   De quoi réapparaître en bonne place sur la carte des oiseaux migrateurs.

En accessibilité :   les réserves et zones protégées n’ont pas été conçues comme des ghettos inaccessibles.   Une dizaine de nouveaux espaces de loisirs ( de l’observation au pique-nique) ont été ouverts, avec cheminements balisés comme aux Teppes de Verbois, postes d’observation et accès aux handicapés.

Teppes de Verbois

Teppes de Verbois

Oui, mais …

Quelques questions restent en attente de réponse. Des accords trans-frontaliers ont été conclus avec nos voisins français concernant la propreté des eaux, mais si leurs bonnes intentions sont claires leur politique et leurs plans d’action le sont   nettement moins.

Le climat se modifie, on peut s’attendre à  des changements de la pluviomètrie. La renaturation des cours d’eau suffira-t-elle à  éviter de graves inondations en cas de crues exceptionnelles ?   La protection des biens et des personnes sera-t-elle vraiment assurée ?   Attendons que ça arrive, et on verra …

Alors, en attendant, notons que Genève et le canton de Berne sont, au niveau fédéral, les meilleurs élèves de la classe Renaturation. Et que, sur les 60 millions de francs disponibles à  Genève, ces dix ans d’actions n’en ont coûté que 44.

En avant pour les prochaines tranches d’efforts et de travaux, avec le lancement du 4e programme de renaturation des cours d’eau de 2010 à  2013.

Jean-Jacques Kurz

Plus d’infos: www.ge.ch/eau ; http://etat.geneve.ch/dt/eau/

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