Théâtre dans le théâtre

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Emma de Caunes (Manon en Marilyn Monroe) dans « L’Amour de l’art », écrit et mis en scène par Diastème.

Avignon. Un marivaudage contemporain nous immerge dans le hors champ du théâtre, sur les traces d’une pièce jouée en tournée, la dernière journée dans la vie de Marilyn Monroe avec une Emma de Caunes en état de grâce. « L’Amour de l’art » de Diastème est à  l’affiche du Théâtre du Chêne Noir en Avignon jusqu’au 29 juillet.

Entretien avec Diastème, par Bertrand Tappolet.

Dans les coulisses
Le rideau rouge ne s’ouvre désespérément pas. Apostrophé par un technicien au bord de la crise de nerfs, surgi de la salle un régisseur plateau qui exécute le levé de carmin en maugréant. Nous sommes bien sur un plateau de théâtre, qui voit un éclairagiste misanthrope batailler avec un régisseur brécaillon. Sans omettre de faire le point des faisceaux lumineux à  l’aide d’un assistant demeurant hors de vue, en régie, et ne répondant qu’au langage des signes. En quelques traits, s’installe avec un climat de douce ironie la mise en abyme d’un théâtre dans le théâtre, dont l’histoire des arts vivants de la scène fait son miel de « L’Illusion comique » de Corneille à  ce réussi « Amour de l’art » signé du dramaturge et metteur en scène Diastème. Outre le fait que Diastème poursuit l’exploration des correspondances souterraines tissées entre la vie sur les planches et l’intime décliné au quotidien déjà  abordées dans son film « Le Bruit des gens autour » (2008), plane sur « L’Amour de l’art » un envoutant parfum d’ « Opening Night », précieux opus de Cassavetes sur l’impitoyable métier d’acteur et sur les coulisses du théâtre. « La structure de la pièce est éminemment classique, souligne Diastème. Des amoureux issus de classes sociales différentes avec des intérêts contrastés. Au nombre de ce quatuor de personnages, on compte aussi une sorte de valet de comédie et une confidente. »

Petit à  petit, un amour impossible va sourdre entre la comédienne sortie d’une rupture douloureuse, Manon (Emma de Caunes), et un homme de l’ombre, taiseux et sentimentalement emprunté, qui ne la lâche pas de ses lumières pointées, Manu (Frédéric Andrau, au jeu très en creux et à  la présence subtilement en déshérence). Elle joue dans une pièce imaginaire les derniers instants d’aveux-confessions de Marilyn Monroe face micro, dont la première a lieu en Suisse face à  une critique journalistique ironiquement posée. Le tout sous le regard tour à  tour intrigué, fataliste et désespérément narquois de deux protagonistes de convention magnifiquement interprétés : une succession de six régisseurs plateau (interprétés par un Bertrand Combe qui prouve la très large palette de sa mise en jeu), tous plus vrais que nature, croisés au fil des dates de la tournée en Province. Et une habilleuse, maquilleuse, coiffeuse et confidente désabusée et dépressive, Sissi (l’extraordinaire Jeanne Rosa). De Marivaux, l’auteur a sans doute rapatrié ce sens de la tournure des dialogues, de la physionomie, du geste formant comme une langue à  part qui révèle à  l’interlocuteur ce qui reste d’habitude caché au fond de l’âme. La vibration de sentiments avec une part laissée aux non-dits, aux silences, à  une science du détail, évoque l’univers chaleureux et désespéré du nouvelliste américain Richard Brautigan, dont on aperçoit le roman « L’Avortement » entre les mains de Manu, le régisseur lumières. La partition sait merveilleusement distiller l’entêtante musique d’une liaison intermittente, épisodique se muant en passion doucement déceptive entre deux êtres qui ne parviennent qu’épisodiquement à  se détacher d’eux-mêmes et de leur atavisme pour rencontrer l’autre.

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Emma de Caunes (Manon) et Frédéric Andrau (Manu) dans « L’Amour de l’art », écrit et mis en scène par Diastème

Mise en abyme
De la dernière bande de Marilyn s’adressant à  un thérapeute par l’intermédiaire d’un magnétophone, se révèle le portrait tourmenté et contrasté d’une femme qui se rêvait actrice dramatique si ce n’est tragédienne. Elle le fut, sans doute, au détour de son plus beau film, « Les Désaxés » offrant un dénouement hustonien, un échec collectif des acteurs-personnages.

Dans son jeu qui marie merveilleusement l’hébétude à  l’exacerbation de la plus haute des solitudes, Emma de Caunes est d’une rare justesse. Dans ce chassé-croisé entre l’art et la vie, celle qui est l’une des comédiennes les plus douées de sa génération (32 printemps, un César en poche), apparaît pleinement consciente, à  chaque instant, d’une double distanciation. Sur fond du « When I fall in love » de Nat King Cole suggérant que « l’amour s’achève avant que de n’avoir commencé », elle incarne une actrice campant une Marilyn à  bout de souffle, au détour d’enregistrements retrouvés par un agent du FBI, publiés par le Los Angeles Times, et dont l’authenticité est sujette à  caution.

Toute la détresse d’une star à  l’intimité surexposée, aux amours et horizons artistiques déçus, se lit dans ce moment où Emma de Caunes s’effondre sur elle-même telle une flamme mourante. Elle irradie de lucidité dans cette manière poignante de pointer l’inconsistance du vécu en citant ces vers célèbres de Macbeth : « Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant l’heure qu’il est en scène, et puis qu’on entend plus. C’est une histoire, dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. » Dont acte.

Bertrand Tappolet

Photos de Pascal Chantier

Festival Avignon off
Théâtre du Chêne Noir (8 bis, rue Sainte Catherine) à  21h, jusqu’au 29 juillet.
Réservations : 00334 90 84 40 57
La pièce « L’Amour de l’art » est diffusée sur France 4, le samedi 25 juillet à  20h40. Elles disponible chez Flammarion, 2009.

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