Avignon. Avec « Imomushi » ou « La Chenille », de l’écrivain japonais Ranpo Edogawa, un climat fantastique s’installe entre rituel butô et cruauté érotique. La pièce dessine le parcours d’un homme devenu objet de douleur et de plaisir mêlés.
Entretien avec David Girondin Moab, par Bertrand Tappolet
Intrigue minimale (un soldat atrocement mutilé, sourd, ayant perdu bras, jambes et usage de la parole subi la folie grandissante de Tokiko, une épouse glissant lentement vers le statut de vestale vénéneuse), effets simplifiés à l’extrême (une sorte de manifeste exponentiel du slow burn avec essaimage en boucles des mêmes dialogues hantés et gestes stylisés), décors oppressants (derrière d’immenses herbes métalliques disposées en front de scène, des spirales dessinées au sol et quelques troués lumineuses déchirent l’obscurité). La trame peut faire songer à « La Métamorphose » de Kafka ou à « Johnny s’en va-t-en guerre » de Donald Trumbo, récits traversés de vétéran devenu homme tronc ou d’être transformé en insecte. Est particulièrement réussi, l’alliage réalisé entre le vivant et la marionnette. Figure obsédante d’un fantassin devenu larve sanglée dans des lambeaux de chair, la marionnette frissonnante et émouvante du lieutenant Sunaga réunit dans ce qui lui reste de corps les premiers âges de la vie ainsi que le terme de toute existence dans une prostration rappelant de loin en loin celle des fantômes d’humains préservés sous le cendre de Pompéi.
Fantastique ouaté
Après quelques minutes d’exposition, la tension monte, très vite, pour ne plus lâcher la moindre scène. Hors une échappée vers le corps burlesque dans ce pas de deux de tango réunissant l’épouse et le vieux général Washio, qui semble convoquer le souvenir du danseur buto Kazuo Ohno dans sa pièce chorégraphique « La Argentina ». La mise en scène de David Girondin Moab s’emploie à resserrer ses compartiments anxiogènes sur des visages éclairés comme autant de lampions enserrant des âmes mortes et à effacer toute trace d’extériorité pour ouvrir sur un espace clos, faussement ouaté, toujours au bord de la rupture et de l’effondrement. La réussite de « Imomushi » tient dans sa façon de tisser une sorte de labyrinthe de sensations renouvelables à l’infini. L’ensemble ressemble à un conte de fées halluciné dont le loup serait absent, où seule la solitude d’êtres sortis d’un cauchemar éveillé suffit à créer la matière de l’envoûtement.
Bertrand Tappolet
Festival Off d’Avignon.
La Caserne des Pompiers, 116, rue de la Carreterie. Jusqu’au 29 juillet 2009.
Rés : 00334 90 86 02 17