Scapin, repris de justice et démoralisateur de la jeunesse

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Jean Sclavis dans “Les Fourberies de Scapin”. Photos Frédéric Jean.

Un fascinant Jean Sclavis porte seul huit personnages dans une farce joyeuse où la ruse est au service de l’amour. De Tokyo à Genève, la mise en scène d’Emilie Valantin rencontre un tel succès qu’elle en sera prochainement à sa 300e représentation.  Entretien avec Emily Valantin.

La pièce marque, à près de vingt ans d’intervalle, un retour à ces farces de la jeunesse de Molière où I’intrigue est menée par des valets fertiles en ressources. Mais le comique de Molière a gagné en profondeur : les scènes les plus bouffonnes sont riches en traits d’observation d’un réalisme puissant.

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 Entretien avec Emily Valantin. 9 février 2014.

Emily Valantin a largement taillé dans le texte de Molière tout en gardant, avec les coups de bâton et les claques, les immuables procédés de la farce. Les jeunes spectateurs s’amusent franchement à ces saillies, au risque de passer quelque peu au-dessus des strates de la critique sociale quand elle se fait ainsi divertissante au grand dam d’Emilie Valantin : « On constate depuis plusieurs années à une immaturité grandissante du public scolaire qui devient moins sensible. Depuis dix ans, un formatage sur le marrant est à l’oeuvre et j’ai même entendu un directeur de théâtre présenter un spectacle sur la Shoah en disant pour rassurer le public qu’il y aurait des moments drôles. Ici, j’ai gardé le style de Molière et voulu faire entendre au public d’aujourd’hui un texte qui paraît difficile.
Il y a eu une période de théâtre théâtreux dans les années 80-90 où il fallait délivrer tellement de messages que les gens du théâtre ont quelques fois exagéré, mais actuellement on est dans l’inverse, et cet appel au comique à tout prix, au marrant, est en train de dénaturer notre sens de l’attention et de l’écoute. On ne vient plus au théâtre pour se nourrir intellectuellement, on vient pour se marrer un bon coup. »

Suite de l’entretien :

 

Les Fourberies de Scapin : l’intrigue

Deux jeunes gens de Naples, Octave et Léandre, mettent à profit l’absence de leurs pères: Octave a épousé une jeune fille pauvre, de naissance inconnue, Hyacinte ; Léandre est décidé à racheter Zerbinette à des Egyptiens et à l’épouser. L’arrivée des deux pères embarrasse les amoureux : Argante veut casser l’union d’Octave, Géronte refuse à Léandre son consentement. Le valet de Léandre, Scapin, chargé par les jeunes gens de les tirer d’affaire, réussira, grâce à ses fourberies, à extorquer de l’argent aux deux pères qui finiront par donner leur consentement au mariage de leurs rejetons. Autant d’achèvements qui confortent la haute capacité manoeuvrière dont se glorifie Scapin :

« A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies; et je puis dire sans vanité qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva. »

Adroit et ingénieux, mais aussi animé de vengeance, Scapin administrera force coups de bâtons à son maître sans être le moins du monde inquiété, faisant ainsi honneur à son nom puisqu’en italien, scappare signifie échapper. Quel plaisir pour un valet que de jouer de son maître comme d’une marionnette, que de fourberie il faut faire preuve pour manipuler deux vieux avares et les persuader  de desserrer les cordons de leur bourse.

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Petite plongée dans l’histoire des mentalités

On peut rappeler la majorité matrimoniale au temps de Molière :

– 25 ans pour les filles.
– 30 ans pour les garçons.

Les parents peuvent marier leurs filles à partir de 13 ans, les garçons à partir de 14 ans, mais les enfants, eux ne peuvent se marier sans l’accord de leurs parents avant les âges indiqués. La majorité civique (responsabilité pénale) est alors de 25 ans pour les deux sexes.

Ce rappel permet de mieux comprendre les comportements des jeunes… et des personnes âgées ! Le texte de Scapin énumère toutes les sanctions utilisées au 17e, de la peine lourde à la peine légère. Des peines exécutées en public, dont le fouet et les coups de bâton. Mais aussi les peines de réparation à la victime… et l’enfermement au couvent pour les jeunes garçons mais surtout pour les filles.

Histoire d’une troupe

Fondée en 1975 à Montélimar, sous le nom de Théâtre du Fust, la Compagnie Émilie Valantin est depuis 2009 installée en Ardèche, au Teil où elle dispose de locaux de répétitions et d’ateliers de construction. Elle a progressé dans les aléas de la décentralisation, avec l’aide du Département de la Drôme et maintenant de l’Ardèche, de la Région Rhône-Alpes et, dès 1981, du Ministère de la Culture.
En 37 ans, la compagnie a créé près de deux mille personnages en croisant techniques traditionnelles et matériaux nouveaux, et près de quarante spectacles grâce à une équipe fidélisée de techniciens, de musiciens et de comédiens manipulateurs.

Extraits montés du spectacle

Les Fourberies de Scapin

Mise en scène : Émilie Valantin assistée de Jean Sclavis
7 au 14 février 2014

Théâtre des Marionnettes de Genève
3 Rue Rodo. 1205 Genève

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