La polémique virulente provoquée par le déficit financier de la 14e documenta qui s’est tenue simultanément à Kassel et à Athènes a occulté la réflexion sur le travail des curateurs. Andrea Bellini, directeur du Centre d’art contemporain de Genève a décidé de soutenir Pierre Bal-Blanc, un des curateurs, en publiant son “récit de voyage” car, pour “analyser fructueusement cette documenta, il faut d’abord parler des oeuvres”.– THE CONTINUUM WAS PERFORMED IN THE FOLLOWING MANNER – pour faciliter un déchiffrage de la manifestation.
Andrea Bellini, directeur du Centre d’art contemporain Genève, a présenté l’ouvrage, le 7 juin dernier, lors d’une table ronde qui a réuni Andrea Linnenkohl et Ayşe Güleç, membres de l’équipe curatoriale de la documenta 15, ainsi que Pierre Bal-Blanc, l’un des curateurs de la documenta 14.
« Il y a de nombreuses biennales dans autant de lieux, rappelle Andrea Bellini dans l’introduction, mais documenta par sa dimension et les attentes qu’elle crée est le seul événement artistique de ce type. C’est un événement que personne ne peut cerner dans sa totalité tant il est difficile sinon impensable de voir toutes les expositions, lire une montagne de textes, assister aux multiples tables-rondes, performances et autres manifestations.
L’idée de Kassel comme lieu unique est devenu obsolète, le show doit se déployer ailleurs (zones de guerre ou au Sud global).”
L’exercice devient impossible quand l’édition se déploie dans deux lieux aussi éloignés que Kassel et Athènes comme en 2017. C’est cependant l’idée de déployer la documenta simultanément dans deux villes qui a valu à Adam Szymczyk, ancien directeur et curateur de la Kunsthalle de Bâle, d’être nommé à la direction de l’édition 2017, avant de voir le choix de la capitale grecque monopoliser les débats, sur fond d’accusation de néo colonialisme culturel, durant les cinq ans de préparation. Le dépassement dévoilé à la fin de la manifestation – 7 millions d’euros – pour un budget initial de 37 millions d’euros, tombait à pic pour ses adversaires désireux d’un événement spectaculaire (1) générateur de tourisme événementiel. Documenta 14, qui s’est tenue du 8 avril au 7 juillet à Athènes, et du 10 juin au 17 septembre n’en a pas moins accueilli 1’230’500 visiteurs, dont 339’000 à Athènes et 891’500 à Kassel.
Andrea Bellini relève que les commissaires n’ont pas choisi d’établir “un programme destiné à séduire facilement les visiteurs ni à verser dans le spectaculaire mais à présenter des oeuvres plus marginales et pas nécessairement facilement accessibles. L’équipe curatoriale a ainsi pris le risque de présenter un projet intellectuellement complexe et ambitieux, avec des oeuvres souvent modestes et crées par des artistes aussi souvent même inconnus des experts.”
Le directeur du Centre d’art genevois suppose que cette approche a particulièrement déplu à une grande partie du monde de l’art, l’approche de l’équipe curatoriale ayant amené l’exposition à un point de rupture jamais atteint auparavant, notamment en ce qui concerne les institutions et la politique. Prenant du recul par rapport aux polémiques sur le travail des curateurs, Andrea Bellini rappelle qu’il faut considérer que “poser des questions courageuses au bon moment est plus important que donner des réponses faciles et évidentes. Pour analyser fructueusement cette documenta, il faudrait d’abord parler des oeuvres.”
Comme dans un journal de bord, Pierre Bal-Blanc raconte son expérience directe, renversant la perspective dominante et offre une vision nouvelle et personnelle non seulement des choix artistiques, mais aussi des dynamiques politiques et sociales qui ont suivi. Le livre s’achève par une conversation approfondie entre le directeur artistique de la documenta 14, Adam Szymczyk et Dorota Sajewska enseignante à la section théâtre et performance de l’Institut de la culture polonaise de l’université de Varsovie et membre de la faculté du département slave de l’université de Zurich.
Préfacé par Andrea Bellini, directeur du Centre d’Art Contemporain Genève, à l’initiative de la traduction en anglais et italien de ces textes, THE CONTINUUM WAS PERFORMED IN THE FOLLOWING MANNER offre la possibilité d’étudier et de comprendre l’extraordinaire phénomène qu’est la Documenta, à travers les voix de ceux qui sont restés trop longtemps silencieux dans le chaos médiatique bruyant qui a accompagné les événements. Le livre est donc une invitation à relire les événements sous une lumière différente et à réfléchir aux mérites et aux limites de l’une des éditions les plus controversées et les plus stimulantes de la documenta.
THE CONTINUUM WAS PERFORMED IN THE FOLLOWING MANNER
Avec des textes d’Andrea Bellini, Pierre Bal-Blanc et Adam Szymczyk.
En consultation et en vente au Centre d’art contemporain
7 rue des Vieux-Grenadiers
Genève
Voir la vidéo de la table-ronde au Centre d’art contemporain.
– Note d’Andrea Bellini :”La nomination du collectif indonésien ruangrupa comme directeur artistique de la documenta 15 semble inverser cette tendance. Son approche curatoriale vise à créer une plateforme artistique et culturelle basée sur la coopération et l’interdisciplinarité. Comme l’ont déclaré Farid Rakun et Ade Darmawan, membres de ruangrupa : « Nous voulons créer une plateforme artistique et culturelle interdisciplinaire, coopérative et orientée vers le monde qui aura un impact au-delà des 100 jours de la documenta quinze. Notre approche curatoriale vise une communauté différente. modèle orienté vers l’utilisation des ressources – économique, mais prenant également en compte les idées, les connaissances, les programmes et les innovations. Si la documenta a été lancée en 1955 pour soigner les blessures de guerre, pourquoi ne pas concentrer la documenta quinze sur les blessures d’aujourd’hui, en particulier celles qui sont enracinées dans le colonialisme, le capitalisme ou les structures patriarcales, et les opposer aux modèles partenariaux qui permettent aux gens d’avoir une vision différente du monde.”