Louis de Funès et la mécanique du rire

Belle interrogation au théâtre de la figure du célèbre acteur de comédie au véloce comique gestuel, la pièce “Louis Germain David de Funès de Galarza“, montée par Sandra Gaudin fait étape au Festival Off d’Avignon jusqu’au 27 juillet. Jubilatoire.

Le vrai dessein de la mise en scène est ici de mettre en abyme la figure de l’acteur comique. Et les performances de Louis de Funès qui rêvait d’une inatteignable pureté métaphysique dans l’expression comique. Des performances alliant gestes frénétiques, mimiques d’une poignante sidération et grommelot, cette manière de s’exprimer par des borborygmes, des sons distincts qui n’appartiennent à aucune langue précise.

La metteure en scène Sandra Gaudin met en jeu plusieurs comédiens qui, à tour de rôle, incarne le riche promoteur du film “Oscar (1967), M. Barnier. Le voilà qui grimace, éructe, s’agite frénétiquement. Et ses pitreries atteignent au grand art. Pierre Mifsud en dévoile le versant inquiet et anxiogène. En témoigne une scène culte reprise en boucle afin de faire monter le niveau des rires au sein du public. Jusqu’au pathétique et à la douleur confinant au martyr pour de Funès d’être reconnu pour sa capacité à déclencher les zygomatiques.

Le burlesque de Louis de Funès est stationnaire, autocentré et tourne parfois merveilleusement à vide, comme dans Jo, cette hystérique et déjantée comédie policière. Sur le plateau, les comédiens romands Pierre Mifsud, Christian Scheidt et Fed Mudry mettent parfaitement en valeur le constat du dramaturge Valère Novarina concernant le « marché-dansé » de Louis de Funès, dont le jeu rappelle la gestuelle de l’acteur du théâtre comique latin : « Sa silhouette était celle d’un danseur exultant ou soudainement d’un dépressif pétrifié. » Une pétrification de l’être qui suit son épuisement, sa sidération devant la mort qui vient. Ainsi en va-t-il de la pose terminale de Christian Scheidt, affalé sur le sofa, le regard perdu dans un au-delà venteux. Nuit bleu pétrole glacée. Où s’agitent les pellicules et tournent les voix off des acteurs. Avant de déboucher dans la pénombre fuligineuse sur le rare rire de Louis de Funès mis en boucle pour l’occasion.

Le burlesque décrypté

Ce que propose à la scène Sandra Gaudin avec ses comédiens portant postiches et devenus des clones clownesques de l’acteur, ce sont quelques éléments de la construction du burlesque made in Louis de Funès. La pièce aligne ainsi les essais, les rushes théâtraux pour tenter de cerner ce qui fera son style : comique ou burlesque. Les acteurs se déchaînent, prennent toutes les pistes, épuisent les registres : comique de gag, burlesque de répétition, le fameux slow-burn si cher au tandem Laurel et Hardy, figure d’acrobate clownesque qui sautille et frétille en suspension façon comédie musicale.

Au commencement était, hiératiquement étendue sur un canapé en cuir blanc, une femme à la robe fourreau noire et portant turban. Elle est Alice Sapritch (Shin Iglesias, superbe), complice artistique de Louis de Funès qui aimait l’autodérision. Elle dit, entre lassitude et une incomparable voix traînante, les mots de Valère Novarina extraits de son monologue Pour Louis de Funès. Un précis de l’acteur qui doit s’absenter pour être, disparaître pour nous faire renaître : « Il y a funèbre dans Funès et ça veut dire Jean-qui-meurt mais il y a aussi lumière dedans et c’est pourquoi j’ai toujours appelé secrètement et simultanément Louis de Funès : Louis de Funèbre et de Lumière. Il savait mourir comme personne en chaque endroit du plateau comme un point lumineux qui passerait partout rapidement pour la dernière fois. II savait tout faire pour la dernière fois. Il se trouvait partout au centre et dispersé. II avait soufflé l’homme du pied et entrait tous les soirs devant tous dans la solitude. »

Il y a aussi une manière de rappeler que Louis de Funès fut un homme d’ordre, l’incarnant à l’écran dans les rôles de petit chef, une autorité crainte et haïe qui marqua si fort la France des Trente glorieuses, de l’ère pompidolienne et giscardienne. Celle des années 60, dont de furtives images d’actualités trahissent sur scène l’atmosphère, de la marche sur la lune au conflit vietnamien.

Bertrand Tappolet

Lire l’interview de Sandra Gaudin

«Louis Germain David de Funès de Galarza». Théâtre du Lycée-Collège de La Salle. Place Pasteur. 12h15. Avignon. Jusqu’au 28 juillet 2012. Rés : 00 33 (0)4 90 82 10 16

Photos du spectacle : Mario Del Curto

Tagués avec : , ,
Publié dans théâtre