Les belles années 70 du collectionneur André L’Huillier

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Daniel Spoerri. “L’Abortion” (détail), 1974. AL’H 74 une année dans une collection genevoise. Villa Bernasconi.

La Ville de Lancy rend un hommage appuyé au collectionneur André L’Huillier avec une exposition de ses œuvres acquises au cours de l’année 1974 et qui occupe la totalité de la Villa Bernasconi . Dans les années 70, à Genève, le boom économique initié au début des années 60 engendre un bien-être matériel et stimule les échanges. L’excellente santé du marché immobilier permet alors au régisseur immobilier André L’Huillier de disposer de moyens importants pour soutenir les arts qui sont sa passion, de la musique aux arts plastiques.

La scène genevoise des années 70 était-elle « en ébullition » comme l’indique le texte publié à l’occasion ? Années d’éveil conviendrait certainement mieux pour parler de l’état d’esprit d’une ville dans laquelle, ainsi que le relevait Adelina von Fürstenberg, fondatrice du Centre d’art contemporain en 1974, « le soutien à l’art du présent n’est pas un fait de tradition ».

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AL’H 74 Une année dans une collection genevoise. Villa Bernasconi.

A Genève, si le début des années 70 a vu la création d’une Association pour un musée d’art moderne (AMAM), 1973, puis celle du Centre d’art contemporain, et la création de prix artistiques, dont celui de la BCG qui permit au Musée d’art et d’histoire (MAH) de disposer d’œuvres contemporaines d’artistes suisses, puis celui des Grands Magasins La Placette attribué à un artiste de Genève.

« Les années 70 sont celles de l’attitude conceptuelle, qui a produit un réel éclatement des hiérarchies face à l’oeuvre d’art. En Suisse romande, Michel Thévoz, alors conservateur au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, organise en 1970 une exposition qui, sous le titre “Recherches et expérimentations” montre la scène conceptuelle suisse. Y participent Balthasar Burkhard, Gianfredo Camesi, Luciano Castelli, H. R. Huber, Herbert Lienhard, Urs Lüthi, Dieter Meier, Gérald Minkoff, Markus Raetz et Aldo Walker. L’attitude de l’artiste devenant prioritaire à l’objet, une pluralité de recherches se développent autour de l’artiste-sujet.

Au cours de ces années, la sculpture tend non seulement à l’abstraction, mais à une expression qui prend en compte la nature des matériaux et leurs propriétés physiques, ainsi que les principes de construction. C’est à ce nouveau rapport de la forme dans l’espace que se réfèrent les travaux de Robert Müller, du premier Bernhard Lüginbuhl ou du jeune Jean Tinguely, comme ceux de Zoltan Kemeny, l’un des sculpteurs les plus en faveur dans son temps. Le Nouveau Réalisme, le Pop Art, l’arte povera, le post-dadaïsme et l’attitude conceptuelle, de même que la tendance des mythologies personnelles, allaient favoriser un rapport à la sculpture totalement nouveau. » Claude Ritschard. Pour un musée d’art moderne. 1992.

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Bernhard Lunginbühl. Stengel mit Rohrbogen, 1968 – 1969. Dessin et sculpture.

En septembre 1974, le Centre d’art s’installait au sous-sol de la Salle Patiño avec pour objectif de montrer « l’art en train de se faire », ou le pris sur le vif pas encore touché par la consécration officielle. Les beaux-arts faisaient place aux arts plastiques, et l’art effectuait sa révolution sous l’impulsion de multiples mouvements, art conceptuel, minimalisme, body-art, performance et autres formes qui se déployaient dans des espaces appelés underground avant d’être labellisés, plus tard, alternatifs. Parallèlement, les institutions traditionnelles de l’art résistaient farouchement en tentant de contrer l’évolution d’une contre-culture.
Jusqu’en 1989, le crédit d’acquisition du MAH était destiné aussi bien à l’archéologie, les arts appliqués et l’art ancien et moderne qu’à l’art contemporain. Ce n’est qu’en 1989 que fut voté un crédit spécial de Fr. 200’000 en faveur de l’art contemporain tandis que les oppositions restaient vives. Claude Lapaire, ancien directeur du MAH, rappelle que « les achats ne se firent pas sans peine. Sans parler de l’inquiétude soulevée auprès de certains conservateurs du Musée moins concernés par l’art vivant, il faut évoquer les réticences de certains membres de la commission d’achat d’œuvres d’artistes étrangers et les difficultés à faire admettre les propositions de la commission par le Conseil administratif de la Ville. En 1973, la proposition de la commission unanime d’acheter pour quatre-vingt mille francs le Strahler Northwest de Luginbühl ne fut pas acceptée par ce dernier. » Créé en 1974, le Centre d‘art contemporain a reçu sa première subvention annuelle en 1981, et le Musée d’art moderne et contemporain a ouvert ses portes en 1994.

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De g. à d.: Joseph Farine (Andata Ritorno) et André L’Huillier lors d’une fête donnée par le collectionneur en 1986. Photo Gérard Musy. Merci à Joseph Farine.

Ce bref rappel montre l’importance de l’engagement d’André L’Huillier en faveur des artistes. Son ouverture aux différentes formes d’expression est illustrée par la présence d’œuvres d’artistes tels Bernhard Luginbühl, Max Bill, Ben Vautier, Markus Raetz Jean Tinguely, Joseph Beuys, Urs Lüthi ou Nam June Paik. À la Villa Bernasconi, la présentation sur le modèle antique de la white box ne réussit pas à signaler le rapport intime qu’entretenait André L’Huillier avec une collection dont les pièces envahissaient en rangs serrés son appartement, cependant une vidéo au dernier étage en témoigne. En 2015, André L’Huillier (1937-1998) est toujours considéré avec affection par nombre d’artistes et de galeristes qui regrettent qu’aucun nouvel acteur de cette trempe ne démontre un tel intérêt pour la scène actuelle.
André L’Huillier achetait des oeuvres par plaisir, aussi pour soutenir un artiste ou une galerie, c’est à dire par amitié.

AL’H 74 Une année dans une collection genevoise
Villa Bernasconi. Lancy.
5 septembre – 25 octobre 2015.

 

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