L’artiste et metteure en scène Maya Boesch présente au Commun-CPG Explosion of Memories, une construction dramaturgique composée dans une même démarche de diverses formes artistiques qui forment le langage de l’art.
Ces formes, cinéma, installation, performance, son, écriture, photographie, interventions d’acteurs sont à considérer comme autant de développements d’une tragédie où le drame et le désespoir précèdent l’utopie d’une reconstruction qui fait appel à l’art.
L’origine du projet Explosion of Memories remonte au voyage qu’effectua Maya Boesch en Sicile pour étudier l’expérience artistique menée dans le village de Gibellina qui vécut le plus grand désastre naturel de l’histoire récente de l’Italie. En janvier 1968, la force de la secousse sismique fit 370 morts, près de 1000 blessés et 70’000 sans abri dans les villages de la vallée du Belice. Les survivants attendront ensuite dix ans la construction de Gibellina nuova, un nouvelle ville établie à une vingtaine de kilomètres et dont la planification sans rapport avec les structures rurales siciliennes va bouleverser la vie et les références des habitants.
Au cœur de la Sicile rurale, à Gibbelina vecchia, le malheur se porte en silence, les gens qui ont vécu le tremblement de terre préfèrent ne pas cultiver le souvenir de la catastrophe, et c’est dans une expression silencieuse de deuil que l’artiste Alberto Burri y a créé le Grande Cretto (synonyme de terre craquelée par la sécheresse). Ce Cretto, plus grande œuvre de land art d’Europe, recouvre tel un suaire douze hectares de la terre blessée sous une chape de béton. Des chemins ouverts parmi les blocs de béton de ce labyrinthe de la mémoire (l’autre nom du Cretto) invitent le visiteur à une déambulation commémorative d’une inquiétante étrangeté.
Le destin de Gibellina a suscité un vaste mouvement de solidarité de la part d’architectes et d’artistes venus du monde entier qui vont parsemer la ville nouvelle de plus de 2000 œuvres d’art, portés par l’espoir utopique de lui conférer une identité grâce à la culture. L’expérience jamais tentée dans ces proportions a fait de Gibellina nuova le musée d’art contemporain en plein air le plus grand de la Méditerranée. Le financement des œuvres d’art provient de donations des artistes et architectes de ces projets, de donations de matériaux de grandes entreprises italiennes, de dons d’argent des Siciliens émigrés (surtout en Amérique du Nord) et, dans le cas des bâtiments publics, de la subvention de l’État.
À partir de cette expérience tragique et de l’utopie de la reconstruction, Maya Boesch a engagé avec sa compagnie Strumfrei une réflexion sur la vie, l’importance du souvenir dans les liens que les hommes entretiennent avec eux-mêmes et entre eux, autant que ceux des hommes avec la nature. Une des essayistes du livre Gibellina nata dal’arte – citée dans la recherche de l’anthropologue Anna Juan Cantavella – se souvient : « la catastrophe naturelle, dans toute l’opération Gibellina, n’est jamais apparue comme une simple destruction mais elle s’est plutôt constituée comme force régénératrice ». Gibellina Nuova apparaît dans ces écrits comme la ville qui ne se rend pas, qui ne capitule pas et qui lutte, au moyen de l’art, pour un futur brillant et différent.
Cette capacité de résilience a raisonné chez Maya Boesch qui a choisi Gibellina « ville marquée par un temps de rupture, pour ce qu’elle représente comme chantier de création et les questions qu’elle soulève à propos du rapport que nous entretenons avec la catastrophe. »
Dans le contexte du Commun, les images de Photorama Gibellina ont une présence complexe, elles représentent la région aujourd’hui tandis que le spectateur pense au le drame d’hier dans une atmosphère de columbarium. Le sens n’est pas dans les photos mais dans l’histoire qui a présidé à leur production.
Le film Riss/Fêlure/Crepa a été tourné à Gibellina et suit le destin d’un père face à son incapacité de retrouver avec ses trois filles qui reviennent dans ce lieu vingt-cinq ans après la mort de leur mère. Des éléments de vie retrouvés par hasard provoquent chez les jeunes femmes des explosions de souvenirs dans un processus qu’illustre l’installation Poltergeist ou Esprit frappeur au premier étage du Commun. Ce qui intéresse Maya Boesch, « ce n’est pas la mémoire en tant que boite noire qui enregistre les différentes informations aléatoires du système, mais la mémoire en tant que évènement physique qui surgit d’un coup : Elle transperce de manière violente, entre deux instants, deux images, deux sons, deux émotions, dans la fente mentale comme une apparition. La mémoire déchire le temps en plusieurs séquences. Elle devient aussi présente, que palpable, une force qui entrechoque, surprend puis se pose ensuite comme corps, geste ou langage sur les ruines du réel. Explosion of Memories est cette expérience quand la mémoire frappe. »
EXPLOSION OF MEMORIES
Une nouvelle création Maya Boesch – Cie Sturmfrei
Le projet pluridisciplinaire est réalisé avec la collaboration de plusieurs artistes de la compagnie sturmfrei : Maya Bösch, Rudy Decelière, Fred Lombard, Christian Lutz, Thibault Vancraenenbroeck.
16 novembre au 3 décembre 2017
Le Commun et Centre de la Photographie (CPG)
Bâtiment d’Art Contemporain (BAC), 28 rue des Bains, 1205 Genève.