“La situation théâtrale s’améliorera lorsque des comédiens hors-pair viendront travailler à  Genève”

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La décision de construire un nouveau théâtre est un engagement fort en matière de politique culturelle, le temps dramatiquement perdu depuis la relégation aux oubliettes du rapport Langhoff rappelle que l’occasion qui se présente, une nouvelle direction et bientôt un nouveau théâtre, engage l’image de Genève sur la scène internationale. Faut-il pour autant des “pointures” nationales ou étrangères et de quel type?

Matthias Langhoff préconisait deux salles, dont l’une plus locale et plus expérimentale, une sorte de mariage Comédie et Grütli. La scène devrait aussi être largement ouverte aux talents étrangers. Mais que prônait-il donc en 1987 lorsque son rapport fut publié en 1987 aux Editions Zoé. Extraits:

Une décision politique

“On ne peut pas dire que la Ville fasse trop peu pour le théâtre. Non, on est surpris de la voir financer dans une large mesure une infinité de projets théâtraux ; ce faisant, elle se contente de soutenir, sans que son aide soit jamais suffisante, une foule d’événements périphériques. Il me semble que jusqu’à  ce jour Genève n’a pas pris position en matière de théâtre, guidée par une fausse peur de s’immiscer dans les libertés artistiques. (…) On a l’impression que les besoins et l’intérêt du public sont les dernières choses auxquelles on pense. Je veux dire qu’aujourd’hui la vie théâtrale de Genève n’est pas représentative de la ville et ne correspond pas au potentiel d’intérêt public”.  Rapport Langhoff, Matthias Langhoff, Editions Zoé, 1987 / p. 15

Un projet artistique : local et international
“Je pense que pour les temps à  venir, Genève ne pourra pas se passer des influences étrangères ; elle sera obligée de recourir à  l’étranger, à  ses connaissances plus développées en ce qui concerne l’exercice du métier. Mais la situation théâtrale s’améliorera lorsque des comédiens et des techniciens hors pair viendront travailler à  Genève dans une plus large mesure. (…) Il faut rompre l’isolement par tous les moyens.”
Op. cit. p. 112.

Deuxième salle : idéaliste pragmatique
“Je vois la Comédie comme un théâtre de production, capable de créer sept spectacles par saison, répartis sur deux salles, et de s’en sortir avec nettement moins de spectacles invités. Je songe à  faire jouer quatre spectacles à  la Comédie, et trois dans l’autre salle. (…) Cette deuxième salle de théâtre, moins commerciale dans sa conception, plus locale et plus expérimentale aussi, peut cependant tout à  fait produire des résultats qui soient meilleurs (…) C’est là  que le théâtre peut se développer, c’est presque toujours là  qu’il innove.”
Op cit. p. 122

Préambule : Biotope romand

Pour les écrivains, il est important que le théâtre s’intéresse à  la littérature contemporaine et fasse jouer leurs pièces. Les peintres veulent un théâtre qui développe et anime la conscience optique. Pour les musiciens, il faudrait un théâtre qui fasse résonner le monde et pour les architectes, un édifice dans lequel on ait plaisir à  se rendre. La fonction sociale du théâtre ne se limite donc pas aux seuls gens de théâtre. Le réseau est plus vaste, plus complexe aussi. Un théâtre ne remplit sa fonction sociale que s’il parvient à  prendre sa place et à  influencer la vie intellectuelle d’une cité.
Op. cit. p. 115.

Construire un théâtre qui soit un pôle d’excellence pour toute la région

Pour les maîtres d’ouvrage du nouveau théâtre qui s’élèvera près de la gare des Eaux-Vives, le bâtiment de la première institution théâtrale à  Genève sera un élément majeur dans la valorisation du quartier : “Avec une situation bien en vue, digne d’un bâtiment public de cette ampleur, la Nouvelle Comédie devra se manifester par un signe urbanistique et architectural fort qui trouvera sa résonance à  une échelle qui dépasse largement notre canton : Il s’agit de construire un théâtre qui soit à  la mesure de ce siècle et de ses défis ainsi qu’un pôle d’excellence pour toute la région.’

Atteindre ce but passera par une indispensable remise en question de la politique de soutien aux structures artistiques, quand de nombreux metteurs en scène regrettent la profusion de spectacles, le conseiller administratif en charge de la culture, Patrice Mugny, répond “il n’y a pas trop de théâtres, il y a trop de mauvais théâtres”; Gilles Jobin, le chorégraphe le plus connu sur le plan international, partage l’avis en estimant qu’il est nécessaire de “monter le niveau général de ce qui est produit dans notre région qui est bien bas et bien vite satisfait de ses prouesses”, tandis qu’un des favoris dans la course à  la direction de la Comédie attribue la situation au confort dont bénéficierait la discipline.
Le défi que constitue la volonté de représenter un pôle d’excellence pour toute la région concerne aussi le choix de la nouvelle équipe qui s’installera à  la Comédie en 2011. D’aucuns militent pour restreindre la sélection à  des acteurs locaux privilégiant l’emploi local, d’autres militent pour un choix audacieux augurant l’implantation de Genève sur la scène théâtrale internationale. La sélection est en cours et la nouvelle direction sera annoncée en juin 2010. C’est en somme le scénario habituel, déjà  en 2006 lors de la nomination de la nouvelle équipe du Grütli, nombre de metteurs en scènes et de comédiens plaidaient pour la mise en place d’une forme de lieu dédié à  la production locale, ou chacun se serait produit à  tour de rôle, à  l’instar de ces coopératives vinicoles où finit la production anonyme locale sans distinction de qualité. Le choix politique fut tout autre, au bénéfice d’une scène sans frontières aujourd’hui reconnue.

Jacques Magnol

Voir également :
Une ébauche de cluster culturel se dessine à  Genève.
– Entre 2016 et 2040 Genève aura peut-être une Nouvelle Comédie. 2 novembre 2009.
Comment penser un théâtre pour demain ? 12 décembre 2009.
Le sort du théâtre de la Nouvelle Comédie est lié à  celui du CEVA. 30 juillet 2009.
Un Grü rebelle et innovateur. 27 décembre 2007.

Publié dans théâtre
2 commentaires pour ““La situation théâtrale s’améliorera lorsque des comédiens hors-pair viendront travailler à  Genève”
  1. Gabriel Alvarez dit :

    Nous vivons dans une société où le culte à  la personnalité et au vedettariat, le star-system, prend le dessus sur le fond et la substance de choses.

    C’est faux penser qu’une « pointure » ou une « star » est la solution pour la Comédie.

    Genève et la Comédie ont besoin d’un projet artistique cohérent, capable de penser la nouvelle Comédie et tout l’environnement théâtral genevois.

    Il faut un cahier de charges et quelqu’un capable de faire disparaître son ego pour être au service du projet. Ce projet doit permettre la participation des tous les acteurs de la vie théâtrale Genevoise.

    Nous pouvons nous demander quel a été l’apport pour le développement de la danse à  Lausanne du Ballet Béjart. Oui Béjart était en quelque sorte une marque de présentation pour Lausanne. Mais avons-nous besoin à  Genève d’une marque (dans le sens du marketing culturel) pour définir notre projet artistique et théâtral des prochaines années ?

    Oui, mais ce un autre débat, il faudrait arrêter la chanson de qu’il y a trop de créations à  Genève ! Trop de théâtres !

    Tous ces chanteurs qui vont en claironnant : plus de qualité et moins de quantité ! Ils devraient se prendre le temps pour analyser que la qualité des créations artistiques déterminées ni par les lois du marchée, ni par les lois dictées par trois ou quatre esprits illuminés, ce qu’on appelle les experts, qui peuvent avec leur goût tout personnel déterminer un label de qualité.

    Non, le problème de la qualité, il faut aller le chercher en amont. C’est-à -dire nous demander pour la formation de nos jeunes acteurs-actrices. Et, hélas il y aurait pas mal de choses à  dire sur ce sujet !

  2. Brigitte Audeoud dit :

    Bonjour,
    on ne comprend pas que le problème de la culture ne soit pas traité à  un niveau global, pourquoi personne ne prend la peine de réfléchir à  des pôles régionaux de compétences par exemple. Pourquoi un CFC de danse contemporaine à  Genève, La Manufacture à  Lausanne et toujours pas de doctorats en arts sauf ceux proposés en formation continue à  la ZHdK de Zürich en pool avec des universités européennes comme celui en scénographie: http://sceno.zhdk.ch/ par exemple mais qui entraîne des coûts non négligeables pour les doctorants.
    Nous aurons beau couper nos cheveux en quatre les questions globales ne semblent pas être posées, ni au niveau politique, ni au niveau des acteurs de la scène culturelle. Une jeune stagiaire française en médiation culturelle mention théâtre me demandait : ‘mais comment peut-on transmettre la culture sans médiateurs, comment marche le théâtre en Suisse? Comment est-ce possible?’ … C’est la question… le manque de vision globale alors que la culture devrait nous ouvrir, elle semble nous enfermer ici, à  deux pas de la France.
    Quels projets pour une démocratisation si nous ne disposons pas de spécialistes pour ‘penser’, prospecter, espérer et que l’on doit se battre pour une seule salle de répétition correcte pour la danse à  Genève si j’ai bien écouté M. Gilles Jobin lors d’un débat, est-ce par manque de deniers ou finalement notre lenteur, nos négligences, notre désintérêt. Oui, un peu de nostalgie en regardant ma ville natale depuis Marseille, future capitale européenne de la culture et une ville les plus pauvres de France mais où se niche par exemple la Cité des arts de la rue : http://www.lacitedesartsdelarue.net/spip.php?page=actualites … à  quand un peu de fantaisies dans nos rue calvinistes, un peu de théâtre, un peu d’interventions publiques, de projets plus populaires puisque la culture serait un bien commun et non seulement un plaisir d’esthètes.

    A quand un développement vers le futur, d ‘imagination au pouvoir alors que les baby-boomers s’enferment dans leurs résidences secondaires, consomment les cultures estivales en Europe et au-delà  et nous laisse une Genève aoûtienne dédiée à  ce que je n’ai pas même envie de décrire: ses rues aujourd’hui, je repars. Et d’ailleurs, si nous manquons de deniers, Bruxelles et l’Europe sont à  deux pas pour trouver des fonds pour nous soutenir, oui, nous, les Suisses, et le saviez-vous ? On l’apprend pour 500 euros à  Relais Culture Europe: http://www.relais-culture-europe.org/ par exemple et donc à  quand des formations pour mettre en place de tels projets, oui… quelques doctorants qui y réfléchissent ne seraient pas un luxe.

    Je dirais: non pas plus d’argent mais plus de compétences et de travail en commun … quel luxe! 🙂

    Bon baisers de Marseille
    Brigitte
    En Master recherche

3 Pings/Trackbacks pour "“La situation théâtrale s’améliorera lorsque des comédiens hors-pair viendront travailler à  Genève”"
  1. […] Comment la culture dope le développement économique et social. 21 mai 2009. – La situation théâtrale s’améliorera lorsque des “pointures’ viendront travailler à  Genève. 28 février 2010. – Fin d’une […]

  2. […] à  ce sujet : “La situation théâtrale s’améliorera lorsque des comédiens hors-pair viendront travailler à  […]

  3. […] L’idée fait son chemin depuis 23 ans, elle a largement l’âge de la majorité. En 1987, Matthias Langhoff voyait la Comédie comme “un théâtre de production, capable de créer sept spectacles par saison, répartis sur deux salles, et de s’en sortir avec nettement moins de spectacles invités. Je songe à  faire jouer quatre spectacles à  la Comédie, et trois dans l’autre salle. (…) Cette deuxième salle de théâtre, moins commerciale dans sa conception, plus locale et plus expérimentale aussi, peut cependant tout à  fait produire des résultats qui soient meilleurs (…) C’est là  que le théâtre peut se développer, c’est presque toujours là  qu’il innove.” Rapport Langhoff, Matthias Langhoff, Editions Zoé, 1987, p. 122. Détail. […]