
« Broken Chair », l’oeuvre de Daniel Berset sur la place des Nations le 4 février 2018. Photo Jacques Magnol.
Depuis peu, Broken Chair est partiellement recouverte d’une bâche publicitaire qui choque par son apposition sur une oeuvre d’art et sur une place symbolique.
Broken Chair, l’œuvre de Daniel Berset représentative de la lutte contre les mines antipersonnel, n’avait jamais subi un tel affront depuis son installation sur la place des Nations, en 1997. Son propriétaire Handicap International l’a transformée en support pour bâche publicitaire dans le cadre d’une recherche de fonds.
Au début de ce mois de février, l’initiative malheureuse a été remarquée par nombre d’amateurs d’art passés par la place des Nations pour se rendre au salon artgenève à Palexpo. Parmi eux, les artistes se sont montrés les plus critiques. Daniel Berset aurait-il requalifié son œuvre en totem publicitaire ? En fait, l’artiste semble victime d’une atteinte au respect de l’intégrité de son œuvre.
Handicap International altère Broken Chair à l’insu de l’artiste
Daniel Berset tombait des nues lorsque nous l’avons contacté pour recueillir son avis. L’artiste s’est immédiatement rendu sur la place où il a constaté « avec stupéfaction qu’en effet une bâche publicitaire a été posée sur Broken Chair, ce qui altère la lecture de la sculpture. Je n’ai pas été contacté préalablement par Handicap International à ce sujet, alors qu’un contrat avait été dûment établi, entre Handicap International et moi-même qu’en qualité d’auteur de cette œuvre j’en détiens les droits y relatifs et, de ce fait, Handicap International est tenu de me contacter au préalable pour toute utilisation de l’oeuvre, et d’obtenir mon autorisation à cet effet. »
Par-contre, l’association s’est assurée de l’accord de Zep pour la reproduction de son célèbre personnage qui figure sur la réclame.
Contactée par mail le 12 février, l’association Handicap International n’a pas répondu à notre demande d’information.
Le succès de Broken Chair est tel que des sites internet et des cartes postales lui sont consacrés et qu’elle est illustrée dans tous les guides de voyage. Les télévisions étrangères ne manquent jamais son image, pas plus que celle du Jet d’eau. Broken Chair fait partie non seulement du paysage genevois mais elle est devenue un symbole universel qui appartient à tous, et ne peut, à ce titre, être altérée pour des raisons mercantiles.
Une place aussi symbolique que celle des Nations et une œuvre aussi renommée internationalement peuvent-elles être défigurées par la publicité ? Au nom du profit, l’association humanitaire semblent répondre par l’affirmative. Pour beaucoup les associations humanitaires évoquent l’entraide, le désintéressement, la vertu et l’absence d’esprit de lucre, il n’en reste pas moins que le commerce de la bienveillance et de la bonté est aussi un commerce tout court.
L’opposition de Daniel Berset à une opération publicitaire était déjà connue de Handicap International
Daniel Berset nous a fait parvenir une copie de son courrier adressé, le 28 août 2017, à l’association après l’organisation, dont il n’avait pas eu connaissance, d’un spectacle autour de Broken Chair. Extrait :
« Je reviens sur la manifestation que vous avez mise sur pied récemment sur la Place des Nations, qui a vu une star du football jongler avec des ballons sur la sculpture « Broken Chair ».
Cette sculpture, qui se voulait à l’origine la porte-parole des victimes des mines anti-personnel et qui se présente aujourd’hui comme le symbole du combat contre les violences faites aux civils lors des conflits armés, concrétise et perpétue le cri désespéré des populations civiles meurtries par la guerre.
Cette manifestation et son mode d’expression, qui s’apparentent à une opération de promotion commerciale et, précisément, du fait de la mise en perspective d’une star internationale du sport, brouillent et dénaturent le message, toujours d’actualité, que « Broken Chair » véhicule.
Permettez-moi, dès lors, de regretter que votre association, dont la présence aux côtés des personnes handicapées et vulnérables dans les pays les plus pauvres de la planète se veut la mission première, ait cru devoir se livrer à ce « mélange des genres », que pour ma part je considère comme totalement inconvenant.
Cette manière de concevoir les choses me paraît d’autant plus choquante que votre initiative a été prise et mise en oeuvre dans le plus grand secret, à mon corps défendant et sans que j’en sois préalablement nanti, qui plus est, au mépris des dispositions contractuelles qui nous lient.
A ce propos, vous n’ignorez pas que toute forme d’utilisation de « Broken Chair » nécessite mon assentiment exprès, obligation que vous n’avez pas cru devoir respecter, ce que je déplore vivement. »
En Ville de Genève, la réclame sur matière souple apposée sur un support propre est soumise à autorisation du Service des espaces verts et de l’environnement.
Ce dernier nous a précisé avoir délivré « à titre exceptionnel, l’autorisation requise car le requérant, Handicap International, est le propriétaire de la chaise de la place des Nations et que le contenu de la banderole a pour sujet un événement ponctuel qu’il organise, lequel événement est en rapport avec la symbolique représentée par la chaise. Cela étant dit, les prescriptions légales en la matière nous imposent de vérifier, notamment, qu’une requête visant l’installation d’un procédé de réclame soit accompagnée de l’accord écrit du propriétaire du bâtiment ou du support devant accueillir ledit procédé de réclame (cf. art. 10, F 3 20). C’est le cas présentement puisque le requérant est aussi le propriétaire du support (la chaise).
Dans ce cadre légal, le requérant n’a pas l’obligation de démontrer qu’il détient les droits d’auteur ou une éventuelle exclusivité découlant de la protection de la propriété intellectuelle. »
Rappelons qu’une œuvre d’art est protégée au titre du droit d’auteur : « Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, à savoir le droit de l’auteur de refuser toute modification de l’œuvre qui léserait sa personnalité. » Voir la loi fédérale sur les droits d’auteur.
Que symbolise Broken Chair ?
En décembre 1997 a été signé le premier Traité d’interdiction des mines antipersonnel à Ottawa. C’est le résultat d’un combat de longue haleine qui a débuté en 1992 grâce à Handicap International et six organisations co-fondatrices de la Campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel. Le Traité d’interdiction est donc le fruit de campagnes de sensibilisation publiques et politiques dans plusieurs dizaines de pays. Les organisations fondatrices de la Campagne internationale ont été récompensées de leurs efforts, en 1997, en même temps que la coordinatrice du mouvement Jody Williams, par le prix Nobel de la Paix.
Installée en août 2007 sur la place des Nations, puis déplacée lors du réaménagement du lieu, Broken Chair a été, suite à un vaste mouvement de mobilisation, réinstallée sur la place des Nations, à bien plaire, le 26 février 2007, dans l’axe de l’allée des drapeaux, dans le cadre du nouvel aménagement inauguré le 29 mars 2007.
Mise à jour, 21 février 2018 : l’article a été mis à jour avec la réponse du Service des espaces verts et de l’environnement de la Ville de Genève.
Épilogue, 5 mars : L’intervention de l’avocat Christian Ferrazino, défenseur de l’artiste Daniel Berset, a permis de faire respecter la loi suisse sur le droit d’auteur, la banderole publicitaire apposée sans l’accord de l’artiste a été retirée. Triste leçon : il est impossible pour un artiste de faire respecter ses droits les plus élémentaires sans engager une procédure qui peut se révéler coûteuse.
En savoir plus :
– Daniel Berset, Entre ombre et lumière. GenèveActive, 2016.
– L’histoire de Broken Chair avec le rapport de la commission des arts et de la culture relatant l’examen de chargée d’examiner la motion intitulée: «Une place digne pour Broken Chair».
– Site web de Daniel Berset.
Volià la différence entre les « créatifs » (gens de la communication, la publicité et le marketing)et les CRéATEURS, c’est à dire les artistes …
Navrant !!!