Quitter le nid parental c’est se confronter au diable

La fable musicale initiatique mise en scène par Guy Jutard, aux Marionnettes de Genève, mêle marionnettes, conteur et musiciens dans un univers fabuleux entre ciel et terre rendu accessible aux jeunes (dès 7 ans) et tout aussi passionnant pour les ados et les adultes.

L’histoire se déroule au coeur d’un labyrinthe où un jeune homme rêve d’envolée. Dans ce dédale, le pantin fait de corde tressée et nouée, tente de découvrir le fil d’un destin à venir. Pour trouver l’issue, il pactise avec le diable, guide facétieux qui l’entraîne dans des lieux improbables souvent habités de créatures irréelles.
Rouge volcanique, le Diable, dit “le Cornu”, croise la route du jeune héros qui s’endette pour longtemps auprès de cette figure méphistophélique ventrue avec sabots de bouc et cornes de faune. Son “échappée belle” l’est aussi au prix d’un pacte singulier. La Mort – autrement appelée “l’Avaleuse” – dispute au Diable la destinée du garçon. Elle est trop pressée et se chamaille littéralement avec le Malin. Querelle éternelle entre la Faucheuse et le Tentateur.

Rouge volcanique, le Diable, dit “le Cornu”, croise la route du jeune héros qui s’endette pour longtemps auprès de cette figure méphistophélique ventrue avec sabots de bouc et cornes de faune.

Entretien avec Guy Jutard

“Il s’agit d’abord de mettre en 
lumière un genre théâtral lié à une grande
 partie de l’histoire du Théâtre des 
Marionnettes de Genève, la marionnette à 
fils. Ce type de manipulation s’associe plus à
une forme de danse qu’à des gestes du 
quotidien, tel que prendre ou poser un objet.
 La technique de ce type de marionnettes est
 complexe. C’est un choix qui fut celui de la 
création jadis d’une fable musicale, Mr. Renart, portée par la figure du conteur. C’est ainsi un récitant qui domine L’Echappée belle.

Une part musicale importante de ce spectacle permet de travailler toute la “musicalité” liée au fil. Ces espaces sonores permettent d’annoncer les scènes et d’en accentuer certains moments. Que l’on songe dans Mr. Renart à l’arrivée d’un protagoniste, à une poursuite ou aux personnages qui stipendient Renart enfermé, occasion pour un ballet de se déployer. Ce dispositif permet de donner, en manipulation, des éléments éloignés du vérisme, d’un certain naturalisme. Il favorise aussi le caractère expressionniste de l’œuvre. Ainsi un sentiment dévoilé et joué sur scène va-t-il prendre une ampleur formelle considérable, en alliant le geste à la musique.”

Sur le titre en forme de ligne de fuite.

“Loin d’être uniquement contraignante, la vision du labyrinthe est aussi libératoire. On retrouve dans le mythe d’origine ce joli conseil de Dédale à son fils, Icare. Au moment où ce dernier commence à se faire des ailes, le père l’exhorte de demeurer dans un entre-deux spatial, et de ne point aller trop haut lorsqu’il évolue. Cet entre-deux est un espace qui permet d’avoir le survol surplombant les réalisations terrestres, sans se brûler les ailes en haute altitude.

Il s’agit d’une approche médiane des événements et réalités. Mais aussi d’une philosophie de la vie qu’il est intéressant de développer dans ce spectacle, dont les marionnettes sont réalisées en cordes. Ce vêtement cordé est une double allusion : au fil légendaire d’Ariane et au cours de toute destinée dans une histoire qui n’est pas d’une époque ou culture spécifiques, et partant, archétypale, atemporelle. Si des “échappées belles” existent, encore faut-il savoir les saisir.”

Il s’agit d’une sorte de récit d’initiation.

“En puisant dans le fond immémorial des contes et légendes, c’est l’histoire d’une forme de roman d’apprentissage, où il s’agit de quitter le nid parental, les voies tracées d’avance afin de courir le vaste monde et d’y faire l’expérience de l’épreuve, des cycles de la vie et de la mort. Le Mère et le Père sont représentés uniquement sous la forme de grands masques évoquant à la fois la tragédie grecque ou la comédie-ballet chère à Molière. Leur réalisation se coule dans l’esthétique de l’ensemble faite de cordes tressées et collées.

Des personnages archétypaux comme la Mort facétieuse et plaintive et le Diable ventripotent, manipulateur et paresseux sont aussi représentés dans certains épisodes sous forme de têtes animées intervenant au fil d’intermèdes, tout en ayant, ailleurs dans la création, d’autres incarnations marionnettiques. Soit en corps complets de marionnettes à fils ou de marionnettes à tiges articulées. Le Diable et la Mort se disputent, un temps, le destin du jeune héros. Et leurs figures sont donc manipulées de différentes manières au fil du spectacle.

Ici, les manipulateurs sont à vue, permettant au spectateur de voir leur rythme de travail, comme dans le théâtre bunraku japonais. Même si le focus se fait sur l’image des marionnettes. La croix circulaire qui tient les fils de chaque marionnette permet aux manipulateurs de pouvoir travailler de manière plus proche et immédiate.”

Qu’en est-il du conteur et narrateur ?

“Il s’agit bien d’un poète qui dit, par exemple, ces premiers mots, en s’adressant à la fois au public ou directement aux marionnettes alors que le personnage principal du jeune homme est assis en surplomb : “Cet oiseau aux larges ailes qui sommeillait en toi/Tu rêvais depuis toujours à son envol.” Il fait aussi les voix personnages, excepté celle du héros, dont on entend plutôt l’écho intérieur dans ce que dit le poète rhapsode. Ce conteur est un peu le pivot autour duquel les scènes se déploient et fonctionnent. Il est également une sorte de technicien de scène passant ici un élément à un manipulateur, là refermant les parois sur l’image de scène. Dans cette fable musicale, il tient ainsi le rôle traditionnel du récitant racontant et intervenant.”

Il y a du fil à retordre dans ce conte initiatique. Les marionnettes sont faites de fils, cordes, que le sculpteur a collés, noués assemblés.

 

L’Echappée belle.
Création du Théâtre des Marionnettes de Genève.
Texte scénographie et mise en scène: Guy Jutard. Marionnettes Pierre Monnerat.
Du 2 au 26 mars.

Publié dans scènes, théâtre