Callas Forever et intime

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L’énigme de La Callas tient à  cette capacité à  métamorphoser en musique le personnage qu’elle interprète. Cette mise en scène d’un personnage se délie au détour de Callas, pièce de Jean-Yves Picq. Un récit à découvrir au sein de la programmation du Festival Avignon off et qui puise dans les entretiens que la cantatrice accorda de 1957 à 1970 avant de se réfugier dans son appartement parisien, la voix éteinte à tout jamais.

Autofriction

La Callas, un nom qui évoque un mythe avec une voix inégalable. Mais derrière cette voix il y a une femme avec ses peines, ses échecs, ses joies, ses erreurs et ses histoires minuscules flirtant parfois avec le régime alimentaire et les petits bobos. Une longue table effilée d’un plexiglas aux transparences rougeoyantes. Possible autel sacrificiel. Deux rangées de micros, comme autant de banderilles fichées dans le corps et l’intime. Nous sommes à une conférence de presse. Maria Callas répond aux interrogations de journalistes. La diva a les traits de Noémie Bianco, robe fourreau, gants longs, chignon, le tout déclinant le noir satin et sépulcral, la cantatrice se confie avec sincérité tout en parcourant  le jeu des masques qu’imposent vie publique et vie intime. Mais aussi une forme de mise en abyme de soi, réfléchissant sur les personnages à  incarner, ses propres rôles. Autant que sur la note tenue d’un désir d’amour et de bonheur si souvent contrarié. Ce paradoxe qui veut que l’on se pose en l’amour sans jamais s’y reposer. « J’interprète. Je suis venue au monde pour cela. Je donne vie à ce que le compositeur a créé avant moi. Quelques fois je me dis: il ne voulait peut être pas cela mais je vais le faire pour le bien de l’opéra. Une interprète s’empare du personnage qu’elle doit interpréter. Ce n’est pas le mien. La presse confond les deux. A la ville, je ne suis pas la Tosca. Mon personnage de tous les jours n’est pas assez excitant pour les journalistes, alors ils inventent souvent », entend-on.

Défilent alors le rapport à une enfance tôt interrompue par une mère impresario et un père absent. La quête de petits bonheurs simples, éphémères, comme savourer une glace. L’exigence absolue chez l’artiste lyrique d’une forme de perfection dans le souffle, le rythme, la colorature. Une exigence transmuée en source d’angoisse qui stimule dans le même temps où elle effondre l’être dans un tract infini. Monologue dialogué d’une femme souvent en auto-analyse de soi qui se teinte parfois d’une authentique anamnèse comme en ce concert fatidique de Rome alors que la guerre fait rage au Liban et que la voix se brise et se perd définitivement dans les méandres d’un travail acharné, au développement anarchique, troublé par les excès de café, thé et psychotropes.

« Que l’authentique personnage de théâtre nommé Maria Callas qui émerge du travail de Jean-Yves Picq puisse séduire une actrice, quoi de plus normal ? De plus évident ? Non pas dans le désir mégalomaniaque de ressembler au modèle, mais dans la prise en compte, la revendication et l’incarnation d’une telle personnalité. L’artiste lyrique s’élève au-dessus de sa propre spécialité pour accéder à la dimension d’Artiste, tout simplement. Une artiste dont Franco Zeffirelli (qui l’a mise en scène dans plusieurs opéras) a dit qu’elle était à la mesure d’un Nijinsky, d’un Michel-Ange », détaille le metteur en scène Jean-Marc Avocat.

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Conversation avec un mythe

La mise en jeu de la comédienne semble suivre le cœur secret  l’artiste qui maîtrisait le bel canto à  la perfection. Soit cette possibilité de transférer sur le plan musical le personnage dont elle interprète les souffrances, la douleur nostalgique du bonheur perdu, les fluctuations entre espoir et désespoir, orgueil et supplique, ironie et générosité. Mais aussi cette sonorité du drame psychologique qui est l’une des dimensions de l’opéra. Le ton mélodramatique, l’auto apitoiement merveilleusement combattu, les volutes tragiques blessées, l’accent grec évitant certaines liaisons et respectant les fautes de français que la partition de Jean-Yves Picq a gardé de l’oralité de la diva marquent en profondeur dans l’interprétation de Noémie Bianco.

L’opéra chanté par une femme raconte souvent son asservissement, sa défaite. Il est aussi question de cette chute annoncée dans Callas. Callas intime, agenouillée évoquant son désir d’en finir avec soi pour enfin se libérer. Avant d’embrayer sur l’imaginaire du mythe dans une pose iconique de martyre, une main serrant son cœur (elle est morte d’une faiblesse cardiaque), l’autre légèrement écartée de ses lignes de corps et renfermant une rose blanche, celle qui, à l’orée de cet aveu de soi, palpitait sous la lumière. Plus que jamais, la mise en scène se dérobe à une dialectique sommaire du verbe et de la chair, de l’être et du paraître : l’être est dans le paraître, et c’est au bout de l’artifice, de l’évanouissement, de la disparition qu’il peut ressusciter.

Bertrand Tappolet

Callas. Théâtre des Halles. Rue du Roi René. Avignon. Rés. : 0033 4 32 76 24 51. Jusqu’au 28 juillet 2013.

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