Chassés-croisés entre amour et cruauté

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Deux couples s’aiment, se quittent, nouant un pacte de conjurés au service de désirs inassouvis au fil de Closer. Intelligemment portée à la scène par François Courvoisier, la pièce signée Patrick Marber est présentée en tournée dans le cadre du Festival Avignon off. Dévoilant à quel point on voit souvent les lieux et les désirs à la taille démesurée, erratique et démiurgique de l’enfance, la pièce mêle souffrance féroce dans les scènes de rupture et perversité tour à tour coupante et enjouée dans le quotidien conjugal.

Au gré d’une fable privilégiant les moments clés d’une relation conjugale (rencontre, crise, rupture), l’amour n’est pas une destination ouvrant sur la félicité. Mais un tortueux travail mené chaque jour, et un enjeu majeur pour l’écriture de sa vie. La mise en scène due à Françoise Courvoisier réussit à saisir la singulière « harmonie discordante » propre à ce tragique amoureux qui est aussi une comédie des erreurs. Chaque personnage semble ne pouvoir vivre avec et sans l’autre. L’auteur, Patrick Marber, est aussi comédien et marionnettiste. Ce qui se ressent au plan de la mécanique à jouer et de la dimension manipulateur-manipulé travaillant ses retorses intrigues. Les protagonistes de Closer semblent ainsi n’être souvent que les jouets serviles de leurs pulsions amoureuses autant qu’ils sont pris dans un champ magnétique d’attraction-répulsion les dépassant. Mais la pièce n’en reste pas à une galerie de personnages aussi perdus que pathétiques On peut reconnaître ainsi au dramaturge anglais de savoir assurer un retour inattendu du sentimental à la faveur de plusieurs scènes charnières de rupture.

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Liaisons et déliaisons dangereuses

Chaque nouvelle combinaison amoureuse garde son lot d’étonnement, d’innocence perdue que la mise en scène relaie en faisant coexister les deux couples dans une forme d’écran partagé, passant de l’un à l’autre en figeant l’action. On découvre Alice (Patricia Mollet-Mercier, cinglante de désarroi), qui rompt avec une désarmante soudaineté sa relation alors que son compagnon Dan (Vincent Bonillo, tour à tour ondoyant et franc) s’en va chercher des cigarettes. En effet, entre « amis érotiques » ou sex friends, nul ne peut prétendre à « aucun droit sur la vie et la liberté » de l’autre.

Dan est un préposé aux écritures nécrologiques au sein d’un journal londonien, un écrivain en rade que la vie laisse frustré. Sa spécialité ? Les obituaires filant sur des personnalités, qui sont stockés au « frigo », banque de données que le journaliste se contente de ramifier d’ironiques euphémismes sur la vie intime et les orientations sexuelles du défunt dès son décès connu. Le séduisant jeune homme rencontre fortuitement une juvénile citoyenne américaine, lolita délurée qui s’est faite renversée sous ses yeux. C’est la variante romantique du coup de foudre. L’effeuilleuse puis serveuse fait montre d’un caractère à la fois joueur, agressivement candide et fragile.

Pour la couverture du roman de Dan, la photographe retenue est Anna dont il s’éprend. Anna est incarnée par Sophie Lukasik, vibrante beauté distanciée façon héroïne dramatique naviguant en eaux glacées couvrant un feu vibratile émotionnel dans les parages d’Eva Maria Saint chez Hitchcock (La Mort aux trousses) ou Scarlett Johansson dans Match Point griffé Woody Allen. Elle semble offerte en pâture, prête à être vampirisée. Ici, tout apparaît comme chez le cinéaste new-yorkais dans la simplicité quotidienne des jours. Ailleurs l’herbe est plus verte, mais une fois passé de l’autre côté, on ne trouve que du même. Anna est séduisante, mais profondément « dépressive, qui souhaite secrètement être malheureuse pour se complaire dans sa dépression ».

La triste ironie de la valse des identités sur internet et un engrenage manipulateur – que l’on croiserait volontiers chez les dramaturges Neil LaBute ou David Mamet – fera que Dan favorisera la rencontre d’Anna avec Larry (excellent Juan Antonio Crespillo), un dermatologue frustre d’origine ouvrière, obsédé par sa virilité. On a ainsi l’impression d’être confronté à des « adulescents » capricieux qui se complaisent à se lamenter sur leur sort amoureux et s’enferment dans leur ego, éprouvant les stratégies d’une sorte de partie de poker sentimental existentiel.

Ruptures, maux d’emploi

Closer présente douze scènes en staccato émaillées de non dits, de courtes répliques au rythme véloce, de dialogues succincts et aux nombreux changements de ton dans la météo intime des personnages. Le récit file sur quatre ans et des lieux multiples. Le scénographe Jean-Marc Humm fait le choix pertinent de l’épure. Quelques pouffes carrés en cuir noir pour un espace reconfigurable. Au plan formel, les ellipses narratives, temporelles sont nombreuses. Elles imposent des obscurités successives au plateau. Qui ne s’accommodent pas toujours aisément avec le dynamisme des échanges. Il faut néanmoins reconnaitre à l’auteur un vrai talent pour ausculter au scalpel les épisodes de rupture sous une lumière crue non dénuée de noire et pétillante ironie.

Chez les hommes de Closer, le désir d’appropriation, de possession de l’autre jusque dans ses moindres retranchements intimes, ce besoin totalitaire de transparence, ne parvient guère à masquer le fait que les personnages semblent autant craindre de rater leur vie que de la vivre en s’engageant réellement. On se console de ce quatuor capricieux, en se disant que le seul amour authentique de l’intrique semble être celui qui traverse Anna et Dan. L’emprise et la force des sentiments effarouchent chaque protagoniste qui ne semble néanmoins pas se résoudre à une vision désabusée, routinière de l’amour.

 

Bertrand Tappolet

Closer. Théâtre des Halles. Rue du Roi René. Avignon. Rés. : 0033 4 32 76 24 51. Jusqu’au 28 juillet 2013.

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