Ikarus est mort épuisé à  Goldau (Schwytz)

gypaète

Fin décembre 2009, en dépit de soins intensifs, le jeune Ikarus qui avait été trouvé épuisé au début novembre est décédé des suites de plusieurs maladies au zoo de Goldau dans le canton de Schwytz. Migrant du Tyrol autrichien où il avait été lâché en automne 2008, Ikarus était venu en Suisse centrale en juillet 2009. Ikarus était un Gypaète Barbu (Gypaetus barbatus, famille des accipitridés) qui aurait pu vivre 35 ans encore si la malédiction humaine qui pèse sur son espèce ne s’en était pas mêlée. Car malédiction il y a eu – en tout cas dans nos Alpes européennes.

gypaete

Ikarus. Photos: Fondation Pro Gypaète.

Délit de faciès

La mort d’Icare le gypaète n’a rien à  voir avec la légende grecque. Mais le destin de son espèce a beaucoup à  voir avec la réputation qui lui a été fabriquée, et qui tient du délit de faciès. Le gypaète est le plus grand vautour de la faune européenne. Bec de rapace bien crochu, des serres impressionnantes, une taille de 100 à  150 cm pour un poids de 5 à 7 kg, et surtout des ailes déployées dont l’envergure mesure de 2m50 à  2m80 – sinon 3 mètres selon certains. La cornée de leurs yeux est rouge vif, l’iris jaune brillant.  Merveilleux planeur qui survole à  très haute altitude ( dans l’Himalaya, il aurait été observé en vol plus haut que l’Everest ) les montagnes les plus escarpées.

Il y a là  de quoi en faire un redoutable prédateur, et sa réputation fut faite. Le Gypaète serait une sorte de super-aigle, un démon des airs capable d’enlever des enfants, attaquer les troupeaux et enlever des agneaux, pour aller les dévorer dans son aire inaccessible accrochée aux plus vertigineuses falaises.
Pour l’aire inaccessible : oui. Pour le reste : non.

Charognard et fait pour l’être

Ce n’est pas un hasard si le gypaète vit dans les zones de montagnes escarpées juste au-dessus de la limite de la forêt. En bon vautour qu’il est, il sait qu’il y trouvera les cadavres dont il se nourrit. Chamois et bouquetins, chèvres et moutons, y meurent de maladie, d’autres prédateurs, ou simplement en se cassant la gueule au bas d’un précipice.

Le gypaète se nourrit des os ( qui constituent jusqu’à  70% de son régime ), des tendons et des ligaments, des pattes. Il a un bec puissant fait pour les décortiquer. Il a un gosier et un oesophage d’une grande élasticité qui lui permettent d’avaler des morceaux – y compris d’os – de grande taille. Et dans son estomac, des sucs digestifs particulièrement puissants lui permettent de digérer tous les sels minéraux, graisses et protéines que contiennent ces déchets carnés. Nettoyeur des alpages, le gypaète barbu est aussi surnommé le ” casseur d’os ”. Incapable de briser de son bec les os les plus gros ( les os longs ) qu’il sait être remplis de délicieuse moelle, d’une hauteur de 50 à  100 mètres il les laisse tomber sur le flanc d’une falaise ou sur un pierrier pour qu’ils s’y brisent.

Mais comme d’habitude avec les grands animaux sauvages de notre biotope alpin, ce ne sont pas les faits qui gouvernent nos relations avec cette faune, mais nos superstitions et nos ignorances. Chez l’homme, l’intelligence est trop souvent bien plus courte que le canon du fusil.
gypaète en vol

Une enfance difficile

Si la femelle gypaète pond deux oeufs, entre décembre et mars, le couple ne peut nourrir qu’un seul oisillon. Ce survivant fera son premier vol en juillet ou août, pour entamer une période de 4 à  5 ans durant laquelle il apprendra simplement à… survivre. Outre les dangers des phénomènes naturels, il y a tous les risques imposés par l’homme avec ses tirs de fusils, les empoisonnements, plus les lignes électriques et les câbles de remontées mécaniques sur lesquels le gypaète apprenti se brise les ailes ou se fracture les pattes.

Ceux qui survivent à  cette enfance difficile se retrouvent adultes – sexuellement matures – vers l’âge de 6 ou 7 ans. Ils vont se sédentariser pour occuper un territoire de 300 à  400 km2, où ils règneront en couples après avoir bâti un nid (aire)  qui a bien ses deux mètres de diamètre et de préférence accroché à  une vire inaccessible sur une vertigineuse falaise.
Au total, on se dit que Gypaetus barbatus le casseur d’os mène une vie de tous les dangers. Quatre ou cinq ans d’apprentissage de la vie qui fait ses victimes, adulte à  seulement six ou sept ans, un seul rejeton par année quand tout va bien,  son espérance de vie est heureusement de plus de 30 ans (et même 44 ans en captivité ). Ils sont relativement nombreux dans les massifs montagneux aux reliefs accidentés de type alpin, de l’Himylaya à  l’Atlas, et même plus au sud en Ethiopie. En Europe, les gypaètes n’ont jamais totalement disparu. Il y a toujours eu environ 130 couples, dont 110 dans les Pyrénées, 10 en Corse et 4 en Crète.

territoire d'Ikarus

La zone de vie d’Ikarus

Disparu des Alpes, puis timide retour

La dernière observation d’un gypaète en liberté remontait à  1935, dans le massif franco-italien du Mercantour (Alpes méridionales) . En 1930 toutefois, l’autrichien Carl Stemmler lança l’idée de ré-introduire le gypaète dans les Alpes du Tyrol; il fallut plus de 40 ans  (une vie de gypaète …) pour enfin concrétiser le projet, qui se solda par un échec. Ce n’est qu’en 1986 que les premiers oiseaux issus d’élevage furent lâchés avec succès dans le parc autrichien de Hohe Tauern.

C’est l’aboutissement d’un processus long et délicat. Il faut d’abord maintenir en captivité un couple reproducteur qui, avec un peu de chance, donnera vie à  un oisillon par année. Dès que le jeune sera capable de voler suffisamment bien – vers l’âge de 3 mois – il sera relâché dans la nature afin de faire son apprentissage de vie dans son réel biotope. Et ce n’est que 7 ans plus tard qu’il sera adulte et donc capable de se reproduire à  son tour.

S’il est lent et relativement hasardeux pour le gypaète, le processus fonctionne assez bien.  De 1986 à  2004, 129 oiseaux de 3 mois ont été lâchés à  partir de 6 sites de réintroduction sélectionnés en Autriche, en France, Italie et Suisse. Résultat : première naissance dans la nature observée en 1997 dans les Alpes de Haute-Savoie, alors qu’en 2004 on avait recensé 8 couples se reproduisant en ayant donné vie à  20 jeunes depuis 1997.

En Suisse, les observations vont bon train selon l’Association Birdline Suisse et son site web qui enregistre les témoignages. Depuis le 10 février 1999, 166 observations de gypaètes barbus dans les cantons de Vaud, Valais, Fribourg et les Grisons, dont une le 3 janvier 2010 !
L’été 2010, de jeunes gypaètes barbus seront introduits dans le Calfeisental (SG). La Fondation Pro Gypaète veut ainsi étendre son projet de réintroduction du rapace à  la partie nord des Alpes

On en profite pour souhaiter une bonne année et longue vie à  tous les gypaètes barbus.

Jean-Jacques Kurz

Site de la Fondation Pro Gypaète

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