Un théâtre organique plus que vif

“Cinq jours en mars”, au premier plan Vincent Fontannaz. Photos Laurent Barlier.

Rencontre avec Yvan Rihs, metteur en scène de Cinq jours en mars, au Théâtre du Grütli, et la comédienne Olivia Csiky-Trnka.

Quelles sont les dimensions qui vous ont attirées dans cette pièce ?

Yvan Rihs : C’est précisément la langue dans ce phénomène étrange perceptible dès l’amorce du texte qui m’a immédiatement intriguée. Ainsi entend-on au début de la pièce : “Bon alors, euh, maintenant je vais vous présenter la pièce qui s’appelle Cinq jours en mars, alors le premier jour, enfin d’abord je vais vous situer le cadre, donc ça se passe au mois de mars de l’année dernière, et un matin, Minobe, euh oui, c’est l’histoire d’un mec qui s’appelle Minobe, alors bref, un matin, Minobe se réveille dans une chambre d’hôtel et il se dit : Non mais qu’est-ce que je fous ici ?” Cette entrée en matière est unique. J’ai toujours été fasciné par des auteurs, tel Valère Novarina, mettant en avant cette question de la parole qui est aussi mouvement.

La portée universelle de la fable tient au fait que chacun, peu ou prou, se bat journellement avec les mots, tente de s’adapter à des codes ou conventions de relations verbales, qu’ils soient officiels, officieux ou amicaux. Toute situation rapporte ainsi à une relation aux mots qui est variable. C’est l’un des enjeux de cette pièce d’interroger aussi le spectateur face au langage pour se dire et transmettre une réalité qui fictionne.

Ce que propose le théâtre de Valère Novarina, c’est une danse de la parole qui met en branle le corps de l’acteur. Qu’en est-il de Toshiki Okada ?

Y. R. : Dans la production des mots, et le fait de porter une parole, existe une relation physique intense, transcendantale, un lien au passé, à ses origines. Parler pour un acteur est bien davantage que le fait d’émettre des paroles articulées relativement à un texte appris par cœur. C’est une performance au présent notamment chez Toshiki Okada. La pièce met une parole théâtrale multiple sous tension. Comment ? En déployant une structure d’adresses en poupées russes : acteurs, personnages que représentent les comédiens entre eux, récits.

Cinq jours en mars propose des « personnages gigognes », des récits enchâssés.

Olivia Csiky-Trnka : Pour ce qui est de la partition écrite, les acteurs sont désignés avec des numéros (Acteur 1, Acteur 2 …). Il y a la passation entre l’acteur, le texte et le personnage. Est-ce l’on reprend alors, pour l’interprétation, des éléments du texte ou de l’acteur ou actrice qui l’a suscité. Il y a tout un jeu entre ces différentes réalités et qui se développent en direction du spectateur. Cet effet mille-feuilles, à plusieurs niveaux de textes se développe au-delà de nous, dans l’œil du spectateur. Loin de se réduire à dire pour transmettre, le théâtre serait cette tentative de former un objet qui a un sens dans l’instant présent. A nous acteurs de le remplir avec nos voix, corps,  inconscients, engagement et ce que l’on charrie avec nous. La parole n’est que trace de la puissance organique mise en avant qui peut être très subtile.

 “Cinq jours en mars”

Et le choc amoureux puis déceptif que vous incarnez physiquement ?

O.C.-T. : C’est le coup de foudre faisant suite à ces différentes couches de la pièce, où Actrice 1 parle à Acteur 2. Elle raconte ce personnage, tout en le devenant peu à peu. Ce coup de foudre, comment lui donner forme et sens, en rendre la sensation physique? Qu’il soit immédiatement saisissable. Miffy est un personnage relativement renfermé, bardé d’idées précises, mais hors du monde, comme elle l’avoue dans la scène suivante. Elle fait cadeau à l’être désiré d’un petit ballet où elle se sent belle, sublime. Et dans le même temps, elle se révèle disloquée, écrasée au sol, face à l’indifférence d’autrui, se prenant le mur du silence. Cela la détruit jusqu’à faire disparaître toute chorégraphie, car plus rien n’existe alors.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Lire l’article “La jeunesse perdue de Tokyo et d’ailleurs

Cinq jours en mars.

Théâtre du Grütli, Genève.

20 septembre au 5 octobre 2014.

Tagués avec : , ,
Publié dans scènes, théâtre