De Paris, puis Taipei.
Le Taipei Performing Arts Center (TPAC) de la star de l’architecture Rem Koolhaas va doter la capitale de Taiwan d’un outil polyvalent de production et de représentation unique au monde. Son directeur Austin Wang a l’ambition de faire de Taipei le hub des arts performatifs en Asie. Entretien.
Taipei Performing Arts Center vu depuis le marché de Shilin. Photo Jacques Magnol.
Austin Wang, quel objectif visez-vous avec le Taipei Performing Arts Center sur la scène asiatique des arts performatifs qui attire déjà l’attention internationale grâce à son dynamisme et à sa créativité ?
Dans un premier temps, nous allons travailler à devenir le hub des arts performatifs, le premier centre en Asie de ce type, puis nous inscrire sur la scène mondiale. Pour le moment, il n’existe pas de véritable hub, nous devons donc d’abord créer le réseau en Asie. Regardez la carte, nous sommes vraiment au centre de l’Asie, pas loin de la Corée, du Japon et des pays du Pacifique Sud – Viet-Nam, Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, etc. Nous devons nous connecter avec ces pays voisins dont nous ne savons presque rien. Actuellement, nous ne connaissons que l’Occident et c’est une situation qu’il faut faire évoluer.
De plus, nous avons l’ambition de devenir un lieu de ressources. Cela signifie que nous souhaitons nous concentrer sur l’action et vraiment travailler dans des rapports de coproduction avec différentes structures artistiques aussi bien de Taïwan que de l’extérieur. Ce n’est que le début, nous avons besoin de lieux, nous avons besoin d’une plate-forme pour générer de l’énergie et celle-ci sera bientôt opérationnelle avec le TPAC.
Quelle est la situation des arts performatifs à Taiwan ?
De nombreux nouveaux lieux ont surgi, l’un au centre de Taïwan à Taichung, l’autre au sud, à Kaohsiung. Ils ont chacun des tâches différentes à accomplir. À Kaohsiung, par exemple, où les arts performatifs sont encore embryonnaires, l’institution doit faire en sorte que davantage de personnes participent. Leur stratégie doit être différence de celle que nous mettons en œuvre à Taipei où nous sommes beaucoup plus mûrs en ce qui concerne les arts performatifs. Nous avons une mission à remplir qui est facilitée par le fait que plusieurs théâtres sont orientés vers les arts de la scène traditionnels, ce qui nous dispense de nous concentrer sur ce type de production.
Il nous faut inviter les grandes compagnies à venir à Taipei et nous concentrer sur la performance contemporaine et aborder les questions sociétales actuelles. La venue de compagnies reconnues et provenant de différents pays constitue un atout supplémentaire pour sensibiliser les citoyens de Taipei à des problématiques liées par exemple aux réfugiés, aux homosexuels et d’autres questions de société.
Les artistes émergents joueront-ils un rôle dans ce dispositif ?
Les artistes émergents sont déjà associés. Par exemple, l’année dernière, nous avons développé le projet « Asia Discovers Asia Meeting » (ADAM). Lancé en 2017, ADAM est un réseau qui met en avant le développement artistique, facilite les échanges artistiques entre praticiens de différentes disciplines et crée une interface libre entre les artistes et les marchés des arts. En somme, c’est l’Asie à la découverte de l’Asie dans le domaine des arts de la scène contemporains. Pour ce projet, nous invitons et nous créons avec de jeunes artistes du Pacifique Sud et du Pacifique Nord qui viennent non seulement des arts performatifs et d’autres pluridisciplinaires. Cette plate-forme accorde une attention particulière aux jeunes artistes qui se trouvent ainsi au centre de l’attention et non seulement les agents ou les sociétés de production.
L’année dernière, nous avons invité 12 artistes d’Indonésie, du Myanmar, du Vietnam à passer environ 12 jours avant d’obtenir une autre résidence à Taiwan. Après cette période, ils ont vécu et travaillé ensemble sans avoir nécessairement à produire quelque chose mais, au bout de ces 12 jours quelques propositions d’une qualité suffisante sont apparues et ont permis d’en réinviter deux pour continuer de travailler. Il est certain que quelque chose en sortira dans un proche avenir.
Parallèlement, durant quatre jours, nous avons présenté des travaux en cours d’élaboration, des expositions et des conférences à destination des conservateurs et des dirigeants d’institutions qui ont pu prendre connaissance de ce qui se passe à Taiwan en général, et plus précisément du domaine dans les arts de la scène.
Je pense que c’est un bon début car, à partir de cette année, plusieurs entités provenant de plusieurs pays, Hong Kong, Singapour, le Japon, Australie et Nouvelle-Zélande, vont nous rejoindre dans cette entreprise et faire partie du groupe ADAM.
Allez-vous associer la présentation d’œuvres grand public et d’autres plus expérimentales afin d’assurer une bonne fréquentation et l’équilibre du budget ?
Notre tendance est plutôt aux projets pluridisciplinaires. En fait, beaucoup de performers traversent les frontières des disciplines, vous ne pouvez pas déterminer ce qui appartient au théâtre ou à une autre discipline, vous ne savez jamais et c’est très intéressant.
Taipei est une ville artistiquement très mature, il y a donc beaucoup de gens prêts à découvrir des performances de type expérimental. En outre, notre public est très jeune par rapport au public occidental, il est ouvert à toutes les propositions et ne recherche donc pas un type de performances traditionnelles, ce qui est une attitude très encourageante. En plus de se dérouler dans les théâtres du TPAC, les représentations se déroulent dans des lieux inattendus, notamment les rues, les galeries et les musées de Taipei, des lieux où les passants peuvent faire des rencontres inattendues avec des artistes.
Quelle attention le gouvernement qui vous subventionne accorde-t-il à l’audimat ?
Le box-office seul ne sera pas un critère majeur à prendre en considération. Le gouvernement désire que nous offrions de la qualité, et la configuration du TPAC nous ouvre de multiples possibilités pour varier la programmation. Le bâtiment abrite plusieurs salles de spectacle modulables qui permettent de présenter différentes sortes de production. Ainsi, la très grande salle et ses centaines de places peut accueillir des productions plus ou moins commerciales qui rapportent de l’argent, ce qui permet de soutenir des œuvres plus expérimentales dans les deux autres salles. Nous sommes donc très engagés avec le public et nous allons utiliser cet espace à sa pleine capacité pour créer des programmes particulièrement intéressants.
Quelles sont les qualités que vous appréciez dans le projet de Rem Koolhaas ?
En tant que théoricien et concepteur d’espaces, j’ai immédiatement été attiré par l’agencement spatial de ce théâtre. Rem Koolhaas est vraiment le concepteur du théâtre du XXIe siècle. La considération habituelle du spectateur assis d’un côté pour regarder un spectacle, c’est du passé. J’ai trouvé très astucieuse cette idée d’utiliser l’espace, nous avons des théâtres modulables qui peuvent être réunis en un seul si besoin, nous avons la possibilité de convertir le premier étage.
J’apprécie aussi la manière dont Rem Koolhaas organise l’espace, les différents niveaux des halls, des studios et autres. De multiples possibilités de faire toutes sortes de spectacles sont ouvertes, et nous avons même deux jardins sur le toit.
Habituellement, les coulisses d’un théâtre ne sont pas dévoilées; au mieux, parfois, nous pouvons juste apercevoir le haut de la machinerie. Ici, nous avons créé un cheminement spécial, The Loop, qui serpente l’édifice et permet de voir les différents aspects du théâtre comme les bureaux, les studios, et même les performances en cours. Je n’ai jamais vu ailleurs dans le monde cette possibilité d’accès qui permet au public de bénéficier d’une perspective très différente.
La situation près du marché nocturne et ses nombreuses distractions est-elle un avantage ?
La population de Taipei et de New Taipei City est d’environ 5 millions d’habitants et le théâtre est situé directement sur un circuit touristique des plus fréquentés, tout près du grand marché nocturne de Shilin qui est aussi très prisé par les habitants de la capitale. Cela signifie que lorsque les gens viennent ici, ils se trouvent dans un quartier extrêmement vivant, ils viennent pour de nombreuses raisons comme se divertir, faire le marché, se restaurer, etc. En sortant du métro ou autre, ce public va embrasser l’espace, voir ce bâtiment transparent, le traverser et découvrir ce qui s’y passe à l’intérieur. Notre défi est d’attirer les gens qui ne suivent pas les arts de la scène et de les encourager à les découvrir.
Propos recueillis par Jacques Magnol
Voir également: Rem Koolhaas crée le “premier théâtre du XXIe” siècle à Taipei.
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Le TPAC compte sur la foule qui fréquente du marché nocturne de Shilin pour développer sa fréquentation. Photo courtoisie TPAC.
Le marché de Shilin face au TPAC. Photo Jacques Magnol.
Backstage Pool. Photo May Wen, Taipei Film Commission.
Backstage Pool. À Taiwan comme ailleurs, les équipes de production ont besoin d’utiliser des théâtres ou des salles de répétition pour développer leurs pratiques. En 2014, le délai de mise à disposition du TPAC étant continuellement repoussé, Austin Wang a repéré le lieu idéal qui n’était autre qu’une piscine que le département des travaux publics de la ville de Taipei pouvait mettre à disposition. En plus de fournir des espaces de bureaux, le complexe offrait une salle de 35 x 24 mètres et un plafond de 6,5 mètres de haut, sans piliers ni poutres, ce qui en faisait un lieu de répétition idéal. Transformé et mis à disposition en 2016, le Taipei Backstage Pool – géré par le TPAC – permet aux artistes de préparer leurs productions.
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Austin Wang a développé une passion pour la scénographie après avoir rejoint un club de théâtre à l’Université de Taipei où il se spécialisait en littérature anglaise. Il a ensuite étudié la scénographie et l’éclairage à la « School of Dramatic Arts » de l’Université de Californie du Sud. De retour à Taiwan, Austin Wang a enseigné les techniques théâtrales avant d’être nommé superviseur au Théâtre national de Taipei. Depuis ses débuts dans le design scénique, le scénographe a produit un nombre important d’oeuvres pour la danse, le théâtre et d’autres types de productions théâtrales, à la fois traditionnelles et modernes.
En 2014, Austin Wang a reçu le Prix national des arts – la plus haute distinction pour des réalisations artistiques et culturelles à Taiwan – en reconnaissance de son engagement durant trois décennies à créer des décors considérés exceptionnels. Le comité de sélection l’a également distingué pour avoir présenté les arts de la scène taïwanais au reste du monde grâce à sa participation à des organisations et à des conférences internationales. Selon le comité, c’est grâce aux efforts de Wang que des membres talentueux de la communauté artistique locale sont régulièrement invités à assister à des concours et à des expositions à travers le monde, y gagnant une reconnaissance importante. Au-delà de permettre aux artistes locaux de présenter leurs productions à l’étranger, Wang a contribué à placer Taiwan au coeur de la scène internationale des arts de la scène. Vice-président de la “Performance Design Commission de l’Organisation internationale des scénographes, architectes et techniciens de théâtre” (OISTAT), établie à Prague, il a œuvré pour le transfert de son siège à Taipei en 2006.
Nommé directeur général du Taipei Performing Arts Center en 2013, Austin Wang dirige à ce titre trois festivals et deux rencontres, aussi internationales aux caractères propres et dont la variété permet de s’adresser à l’ensemble du public, le Festival des arts de Taipei, le Taipei Festival Fringe et le Festival des arts pour la jeunesse, les rencontres Asia Discovers Asia Meeting ou ADAM, et, pour la première fois en 2019, Camping Asia en collaboration avec le Centre national de la danse (CN D) Paris.
Directeur charismatique, Austin Wang s’est entouré de jeunes personnalités ayant déjà fait leurs preuves et gagné une reconnaissance internationale; ainsi de River Lin, artiste, curateur et cocréateur de ADAM, et de Tang Fu Kuen, originaire de Singapour, qui travaille dans le domaine de la performance et des arts visuels contemporains et assure la direction artistique du Taipei Arts Festival depuis 2018.
- ADAM, Asia Discovers Asia Meeting est un des événements marquants du TPAC est ADAM. Il s’agit d’une réunion, avec au centre des artistes contemporains, qui vise à établir un nouveau réseau dans la région Asie-Pacifique (y compris la Nouvelle-Zélande et l’Australie) pour des contacts et des échanges mutuels. Plus précisément, il facilite le développement de collaborations internationales entre artistes, permettant aux jeunes artistes d’avoir une collaboration plus étendue et à plus long terme.
- Le Festival des arts de Taipei, vise l’insertion de l’art dans la vie quotidienne, l’encouragement à la création, la promotion de la diffusion de l’éducation artistique, l’ouverture de la possibilité d’une coopération transfrontalière et à faciliter le développement des industries culturelles et créatives en même temps que le tourisme.
- Le Taipei Festival Fringe en est à sa 12e édition. En 2019, durant deux semaines, le festival a accueilli 131 groupes locaux et internationaux de théâtre, musique, comédie, danse, drame musical et des performances transdisciplinaires. Face à l’orientation commerciale prise par des festivals marginaux Austin Wang tient à ce que Taipei «offre toujours la liberté artistique et une plate-forme où les propositions ne sont ni jugées ni rejetées». Les 537 représentations ont eu lieu dans toute la ville, y compris dans des lieux peu orthodoxes, tels que des temples et des yachts. (Le concept de Fringe festival, festival marginal, est né en 1947, lorsque huit troupes de théâtre qui n’étaient pas invitées à se produire au Festival international d’Édimbourg ont décidé de créer leur propre événement pour rivaliser avec le festival.)
- Le Festival des arts pour la jeunesse soutient la création d’œuvres pour enfants qui sont « non moins élaborées et artistiques que des pièces de théâtre pour adultes ». Il s’agit de créer des moments de partage d’expériences mémorables et émotionnelles qui facilitent le rapprochement entre les parents et les enfants.
- Camping Asia propose durant deux semaines et dans différents lieux de la ville de Taipei un programme de workshops, spectacles, rencontres, projections et fêtes. La rencontre s’adresse à tous les acteurs de la danse, du théâtre, de la performance, des arts visuels, ainsi qu’à un large public d’amateurs et de spectateurs. Du 18 au 29 novembre 2019. (A noter que le CN D reste bien franchouillard en précisant à son public que l’Asie… « n’est pas seulement des sushis, des dim sum, de la noodle soup».)
Les artistes suisses sont présents au Festival des arts de Taipei
Depuis 2018 Pro Helvetia soutient le développement de partenariats à long terme entre festivals, organisations et institutions suisses et européennes dans le domaine des arts performatifs avec pour objectif de développer « de nouveaux réseaux et formes de coopération artistiques autant que d’échanges de savoir et de ressources.» Après Singapour en 2017, Pro Helvetia a inauguré l’année suivante le «Seminar in Taipei», en collaboration avec le Taipei Arts Festival.
Comme pour le Séminaire en Avignon, il permet à douze jeunes artistes de visionner des spectacles, d’en débattre sous la modération d’un ou d’une spécialiste, de rencontrer les professionnels invités au Festival et d’échanger autour des thématiques proposées. Grâce au partenariat, entre autres, des bureaux de liaison de Pro Helvetia ainsi que de plusieurs institutions culturelles asiatiques, des artistes de tous les continents participent à ce séminaire dans la capitale taïwanaise. Alan Alpenfelt, Philippe Diener, Christine Milz, Alessandro Schiattarella, Sarah Simili, Teresa Vittucci, sont les artistes suisses soutenus jusqu’à présent par Pro Helvetia (à Taipei et, précédemment, à Singapour).
Ces deux dernières années, Pro Helvetia a également soutenu trois projets :
- Projet spécifique au site : Stefan Kaegi / Rimini Protokoll: «Remote Taipei», Taipei Culture Foundation / Taipei Arts Festival, août/septembre 2017; «Remote Taipei» a été programmé à nouveau en raison du grand succès rencontré au Taipei Arts Festival 2018.
- Tournée du Schauspielhaus de Zürich, «Wer hat Angst vor Hugo Wolf?» de Herbert Fritsch au National Theater & Concert Hall Taipei, mars 2017
- Tournée de danse en collaboration avec PH Shanghai: Cie zeitSprung, «Komplizen RELOADED», tournée asiatique, entre autres à Taipei, Kuandu Arts Festival, octobre 2017
River Lin, artiste, co-créateur et curateur des rencontres ADAM, avec l’artiste Wen-Chung Lin avant sa performance au CN D en juin 2018. Photo Jacques Magnol.
Yi-hua WU (près de l’affiche) professeure à la National Taiwan University of the Arts a accompagné une quinzaine de ses étudiants à Camping 2018 au Centre National Danse Paris.
À Taipei, des petits théâtres subventionnés avec parcimonie permettent à de jeunes artistes de présenter leurs productions.
Des cafés arty accueillent des performances artistiques qui réunissent un public jeune. Photo Jacques Magnol.
Jacques Magnol. De Paris et de Taipei.
Voir également avec GenèveActive :
– Rem Koolhaas crée le “premier théâtre du XXIe” siècle à Taipei.