Lourds secrets de famille

Une fête de famille est organisée en l’honneur des 60 ans de Helge Klingfelt, père a priori bienveillant et sympathique de quatre enfants. Durant la soirée, Christian, son fils aîné, révèle à  l’assemblée que lui et sa sà“ur, qui s’est récemment suicidée, ont été violés par leur père durant toute leur enfance. S’ensuit alors une lutte entre le déni de la famille, et singulièrement de la mère Else, soutenue implicitement par les convives, et la volonté de Christian de faire admettre la vérité, soutenu par le personnel de maison et par Nassim, l’ami étranger de sa sà“ur.

Le film “Festen” de Thomas Vinterberg, Prix du Jury au Festival de Cannes en 1998, est aussi pièce de théâtre montée par Christian Denisart dans un dispositif de gradins enserrant la table de tous les aveux.

Entretien avec Christian Denisart:

Cruauté

Ce qui frappe, c’est le classicisme de la narration, à  la Hamlet, qui oppose la volonté — affirmée par une communauté familiale — de rejeter l’étranger au désir sans cesse réaffirmé de la famille de faire corps autour du père, de reformer le cercle quoi qu’il soit advenu, en refusant délibérément de voir le mal en son sein. Plus qu’une à“uvre sur l’inceste et le déni de réalité de violences commises, c’est une pièce d’équilibriste qui exige beaucoup de ses interprètes sur le fil des extrêmes et de l’imprévu, renforcé ici par la présence de quatre spectateurs devenus convives volontaires de ce festin cru. « La pièce met en lumière l’inertie de groupe propre à  la réunion de famille, l’absence de réactions face à  la violence qui se dévoile dans une partition qui évacue tout manichéisme, note le metteur en scène. De fait, la réalité n’en est que plus ardue à  percevoir, proche en cela de la vie. La barbarie peut se loger chez des personnes affables. L’auteur a voulu parler du secret de famille et de notre lâcheté naturelle face à  ce type d’abus qui, physiquement, nous répugne. La petite fille présente dans la mise en scène à  l’âge des enfants du père lors des faits. Elle a une fonction de rappel, de remémoration du drame. Le spectateur doit ainsi voir à  travers son regard, l’empêchant par là  même d’oublier la noirceur d’une enfance violée. »

“Festen” s’inscrit dans la lignée des drames psychologiques sur fond de névroses familiales qui hantent le théâtre nordique. Se dessine alors la filiation avec plusieurs dramaturges, au premier rang desquels Strindberg et son théâtre intime, qui n’exclut ni la satire ni le mélodrame. Cette à“uvre pose d’insupportables questions. Questions veinées de sang, incarnées dans des personnages où nous pouvons nous retrouver, qui souffrent ce que nous n’osons dire.

Bertrand Tappolet

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