Louis Soutter, border-line et moderne avant l’heure

Glace d’argent, miroir d’ébène, 1938, Peinture au doigt, 44 x 58.1 cm, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Acquisition, 1955, Inv. 413

L’oeuvre prolifique de Louis Soutter (né à Morges en 1871) porte en elle les signes précurseurs de la modernité. En 1942, Louis Soutter décède à l’asile de vieillards de Ballaigues, dans le canton de Vaud, il laisse derrière lui une oeuvre singulière, dont on ne perçoit que depuis peu la profonde modernité.

En se refusant d’être rétrospective, l’exposition du morgien Louis Soutter désire insister sur la modernité de l’oeuvre. Le parcours qu’elle propose se décline en plus de 200 dessins choisis parmi les 3000 qui constituent l’intégralité du corpus. Plus précisément, elle met en perspective l’évolution historique de l’artiste pour aboutir à cette période de maturité qu’incarnent les dessins aux doigts. Ajoutons à cela que toute une partie de l’oeuvre de Soutter a été dessinée sur des pages de cahiers d’écolier. Mais ces derniers ont été démantelés, dispersés, voire dépouillés.

L’intérêt qu’il suscita chez des artistes majeurs comme Roberto Matta (1911-2002), ainsi que l’incidence de son oeuvre sur les productions d’Arnulf Rainer (1929), Julian Schnabel (1951), A.R. Penck (1939) ou encore Elmar Trenkwalder (1959) confirment son inscription dans l’art du XXe siècle et la pertinence de son oeuvre dans les réflexions des artistes contemporains.

Un pionnier dont l’oeuvre  a été majoritairement détruite

Comme le rappelle Arnulf Rainer, qui s’est depuis le début des années 60 penché sur son travail et a acquis un ensemble de peintures : « il apparaît clairement aujourd’hui que Louis Soutter ne fut pas un peintre marginal, mais un pionnier par rapport à la génération dont je fais partie. C’est pourquoi il ne fut pas accepté avant aujourd’hui et c’est pourquoi il appartient à notre culture actuelle. » (Conversation entre Fridhelm Mennekes et Arnulf Rainer, catalogue de l’exposition Les doigts peignent, Arnulf Rainer, Louis Soutter, Musée Cantonal de Lausanne, 1986).

À travers sa recherche plastique profondément novatrice pour son époque, cet homme d’une culture étonnante, violoniste, notamment dans les orchestres symphoniques de Lausanne et de Genève, explore de multiples pistes : l’ornementation, l’illustration de livres, le dessin d’architecture ou de mobilier, la copie et sa réinterprétation, le dessin d’après nature, le nu…

Michel Thévoz raconte que Louis Soutter “est le frère du lieutenant Giovanni Drogo protagoniste et victime du Désert des Tartares – le roman de Dino Buzzati. Chassé par une famille avare qui refuse l’originalité sans copie d’un homme élégant. La Faculté et la rage bureaucratique détruiront les trois quarts d’une œuvre intime, discrète, minuscule, mais colossale (sept à huit mille dessins). La gloire posthume et la soif des collectionneurs feront le reste, dispersant la cohérence des cahiers, l’intelligence du travail régulier, ordonné.

Louis Soutter est un artiste célèbre. Au même titre qu’Auberjonois ou Le Corbusier, il fait partie de l’histoire de l’art du pays, et du monde. Cependant l’équivoque est au cœur de son existence. Vrai malade ou faux marginal ? Artiste maudit ou psychotique brut ? Déjà border-line à son époque, il a certainement flirté avec la conscience d’un destin et l’insouciance de la folie. Il est mort sans voix à l’écart de la sympathie humaine qui semblait se dérober.”

Louis Soutter, le tremblement de la modernité
Commissaire de l’exposition: Julie Borgeaud
du 21 juin au 23 septembre 2012, à la maison rouge, Paris 4e.

La suissesse Julie Borgeaud, la commissaire d’exposition indépendante et historienne d’art, organise des projets culturels et des expositions pour des collectivités publiques et privées, parmi lesquelles Le Corbusier et Louis Soutter.

 

Louis Soutter est également à l’honneur à Rodez avec l’exposition Les primitifs sont petits. Cahiers de 1923-1930.

 Musée Fenaille, du 16 juin au 14 octobre 2012

 “À Rodez, le Musée Fenaille doit sa renommée à son exceptionnelle collection de statues-menhirs sculptées il y a près de 5000 ans. Il propose un dialogue prometteur entre ces pièces pré-historiques et près de 80 dessins de Soutter, à la plume, à l’encre de Chine et au crayon : «Soutter tient une place à part dans l’art moderne, à la fois généreux et radical, réel et évanescent. Sa destinée exprime la déchéance d’un milieu bourgeois, protestant et rigoriste, et aussi une transcendance, une libération par le dessin. Non pas folie mais retranchement dans un univers intérieur. Les primitifs sont petits, le titre de l’exposition, fait retour sur une remarque inscrite au verso d’un dessin tiré d’un Cahier de Soutter appartenant au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Cette remarque exprime la taille réduite du feuillet souvent quadrillé, sa préciosité, et son immersion dans des mythes anciens. Les pages des Cahiers de Soutter présentes à Rodez sont les fragments de cet univers onirique, rêve ou cauchemar, permettant à Soutter d’échapper à sa condition.”

Ill. :
Louis Soutter, Les primitifs sont petits, 1923-1930. © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

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