Le théâtre des représentants de commerce

La grande et fabuleuse histoire du commerce. De g. à dr. : Marc Maycraz, Elidan Arzoni, Pietro Musillo, Thierry Roland, Anthony Candellier. Théâtre du Grütli. Photo Carole Parodi.

Avec La grande et fabuleuse histoire du commerce, le Genevois Elidan Arzoni réalise une fresque du quotidien des vendeurs en porte à porte dont la survie économique dépend de leur capacité à convaincre des gens d’acheter des produits totalement superflus; et peu importe que leurs clients soient déjà au bord du gouffre financier. A la fois metteur en scène et acteur, Elidan Arzoni démontre que vendre du vent dans les immeubles pauvres des banlieues demande de grandes aptitudes théâtrales. Les développer passe par la tenue de jeux de rôles en tous points semblables aux répétitions d’un spectacle, bonimenteurs et comédiens sont ainsi en terrain connu.

Le texte de Joël Pommerat n’épargne rien des tiraillements quotidiens entre les bonimenteurs soumis à l’obligation écrasante de faire du chiffre. Gens du voyage, d’un hôtel à l’autre, ils partagent tout, des larmes aux fous rires. On ne choisit pas sa famille et les échecs persistants de ces cinq combattants mettent à mal les promesses de solidarité si facilement exprimées dans les moments où tout va bien. Dans une société dédiée à la productivité et la consommation de masse, le rejet social guette, dans le cadre professionnel, amoureux ou personnel, les travailleurs victimes de politiques d’austérité ou sacrifiés pour le bénéfice d’actionnaires.
Transposée à l’autre extrême de l’échelle économique, par exemple dans l’industrie du luxe, ses ressorts seraient identiques. Le licenciement brutal frappe avec la même froideur le vendeur en porte à porte à porte que le CEO d’une grande entreprise du luxe à l’heure où le volume des ventes n’est pas conforme aux attentes.

Elidan Arzoni note que “l’emploi, de par sa raréfaction, ne se résume pour beaucoup de gens souvent plus qu’en un malheureux gagne-pain qui nie les aspirations légitimes vers une réalisation de soi et un épanouissement personnel à travers l’activité professionnelle, qui fait l’impasse sur les besoins de l’humain transformé en être jetable et corvéable au profit d’une société mercantile qui ne connaît plus qu’un seul mot d’ordre: le profit.”
Un sujet fort, chaque jour plus grave, difficile à développer sans éviter la leçon. Dans quelle mesure sommes-nous disposés à rejeter les priorités technocratiques, en faveur d’une simplification de la vie, d’un rythme social ralenti, de loisirs accrus ? La question est posée depuis les années soixante par les théoriciens d’une contre-culture désormais “récupérée” et “digérée” (mots d’Herbert Marcuse) par le système dominant.

La grande et fabuleuse histoire du commerce
Mise en scène : Elidan Arzoni. Interprétation : Anthony Candellier, Marc Mayoraz, Pietro Musillo, Thierry Roland, Elidan Arzoni. Scénographie : Yann Becker
Théâtre du Grütli, 2e étage.
Du 9 au 28 janvier 2018. usqu’au 28 janvier.

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Publié dans scènes, théâtre