Le dessin contient le sens dans l’écriture d’Irma Blank

Irma Blank, Eigenschriften, Untitled 9, 1970, pastel sur papier, 48×66 cm. Photo © Carlo Favero.

Les rôles du geste et du signe dans le travail d’Irma Blank font l’objet d’une importante exposition au MAMCO de Genève. Les travaux sur papier montrent des textes en écriture serrée qui, de plus près, se révèlent illisibles, mais il est question de dessin, pas d’écriture.

L’artiste d’origine allemande passionnée par le langage et la lecture faisait de la peinture avant de rencontrer le Sicilien qui allait devenir son mari et l’emmener dans son île du Sud de l’Italie. Mais là, en Sicile où, selon Goethe, « se trouve la clé de tout », Irma Blank se sent isolée derrière la barrière dressée par une langue qu’elle ne comprend pas et une culture aux codes si éloignés des siens germaniques.
« Ce fut un choc, relate la commissaire de l’exposition Johana Carrier, Irma Blank réalise alors que non seulement la traduction littérale de la nouvelle langue est impossible, mais qu’elle dévoile des vérités différentes. Elle découvre alors que, même dans sa propre langue maternelle, il n’existe pas de « mot juste ». Dès lors, Irma Blank commence à élaborer un travail plastique sur les mots, sur le langage, sans chercher à véhiculer du sens. Elle crée des séries avec les outils du dessin, les Eigenschriften que l’on peut traduire par écriture pour soi-même ou auto-écriture. »  Son travail fusionne avec sa vie au point de rendre la séparation indiscernable. Par la suite, ce travail répétitif va suivre un rituel très codifié où le dessin prendra des formes apparemment très différentes au fil de séries que l’on peut considérer comme des cycles, bien que pour l’artiste elles « parlent de la même chose ».

Une bande sonore inhabituelle enveloppe l’exposition sans qu’il s’agisse d’un geste supplémentaire d’accompagnement musical. Alors qu’elle enseignait le dessin, Irma Blank oeuvrait la nuit dans l’état de grande concentration imposé par son rituel de travail. Dans des conditions parfaites de calme et de silence, sous la lumière électrique, le bruit du crayon pendant qu’elle dessinait au pastel sur le papier lui révéla une autre dimension du dessin, celle du son qu’elle décida d’enregistrer. La diffusion de ces documents sonores dans les salles de son exposition permet aujourd’hui de partager l’atmosphère de travail d’Irma Blank.

Irma Blank, Eigenschriften, Pagina M-1, 1970, pastel sur papier, 70×50 cm. Photo © C.Favero.

Déstabilisée par l’impossibilité de communiquer , Irma Blank a ressenti un manque qui a déterminé l’évolution de sa carrière : “J’ai commencé à remplir cet écart en couvrant des pages et des pages de petits signes, des microsignes, des fragments d’alphabets imaginaires. À l’époque je n’étais pas pleinement consciente que je créais un monde parallèle, en remplissant un grand vide de ce décalage linguistique. Un regard vers l’intérieur (…) une sorte de journal, écrit par moi et pour moi. Je les ai appelés Eigenschriften (1968-1974). In : Alfredo Camerotti, Sur le rituel, cinq questions à Irma Blank. Roven, revue critique, no 12, 2016.

Irma Blank, Trascrizioni, Hommage à Grillparzer II, 1975, encre de Chine sur parchemin plié en 42 pages, 90×63 cm. Photo © C.Favero.

Irma Blank s’ouvre au monde à Milan en 1973. Elle crée alors à partir de journaux, romans, 2 typologies d’œuvres selon la source – journaux ou romans. “Je vais de plus en plus en plus vers une simplification du signe, vers un seul signe qui se dénouerait dans le rythme de la répétition, dans sa progression horizontale : le signe manuscrit des Trascrizioni (1973-1979). Je connaissais les préoccupations des maisons d’édition quant au désintérêt du public pour la lecture. Je décidai d’exagérer cette tendance en transcrivant les livres d’un seul regard, en fixant les pages au mur, en tournant le signe du négatif au positif, (…) à la construction d’un texte alternatif, d’un texte ouvert et élargi, un texte “autre” qui va au-delà des limites linguistiques.” (Sur le rituel, cinq questions à Irma Blank.)

I. Blank, Trascrizioni, Großes Poem mit Erklärung (Grand poème avec explication), 1975, 285 feuilles cm 19×12,5 cm, cad, cm. 220 x 350 cm. Photo © C.Favero.

 

Johana Carrier et Johanna P. R. Neves ont élaboré un projet sur le travail d’Irma Blank qui se développe entre sept institutions. L’exposition au Mamco porte sur la ligne de l’écriture de ses premiers travaux, les Eigenschriften (1968-1973) , aux derniers les Global Writings (2000-2016).

Irma Blank
Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO)
1o, rue des Vieux-Grenadiers, Genève.
Du 9 octobre 2019 au 2 février 2020.

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