Ill.: mise en scène d’un texte d’Edouard Levé par Guillaume Béguin au Grütli en 2010
Le débat esthétique qui a animé le microcosme théâtral genevois au gré des nominations à la direction de plusieurs théâtres (Comédie, Grütli, Orangerie) s’est limité à l’opposition de quelques acteurs culturels à des projections imaginaires de programmation qu’ils jugeaient d’avance obsolètes. Engagé au nom de la contemporanéité, dans sa version qui relève d’une théologie de l’exclusion par son refus total de la représentation, le débat a souffert d’avoir été lancé de manière passionnelle et juste amorcé dans les couloirs, il fut finalement peu suivi, guère plus que le discours de Pius Knüsel sur la fermeture nécessaire des théâtres qui eut la malchance de tomber en période de vacances pascales.
Durant la tourmente, du coté du Grütli, Frédéric Polier n’a rien laissé percer de ses intentions mais la réflexion était engagée. Ce sont quelques lignes du communiqué du Conseil d’Etat du 21 août à propos du renouvellement du soutien du canton de Genève au Théâtre du Grütli qui soulignent que la question de l’ouverture aux diverses formes des arts de la scène faisait déjà l’objet de l’attention soutenue de la nouvelle équipe : « Cette aide permettra à l’association ainsi qu’à son nouveau directeur, M. Frédéric Polier, de proposer au public genevois une programmation théâtrale et des performances de qualité pour la saison 2012-2013, dans la perspective du décloisonnement entre les genres scéniques voulu par le Grütli. »
Le Canton interviendrait-il dans le contenu des théâtres subventionnés ? Ce n’est pas sa volonté nous répond Dominique Perruchoud, responsable du secteur au DIP, pour qui l’aide correspond au soutien accordé au théâtre de la Maison des Arts depuis les années 90. C’est donc Frédéric Polier et Lionel Chiuch qui nous précisent leurs intentions à propos de ce décloisonnement annoncé :
Le décloisonnement c’est ce qui n’exclut rien
Il est vrai que, depuis le début de cette aventure, Fredéric Polier et moi avons repris à notre compte la fameuse formule de Laurent Terzieff: “Le théâtre n’est pas ceci OU cela. Il est ceci ET cela”. Alors je crois que le décloisonnement, c’est avant tout ce “ET” qui n’exclut rien.
Dès lors, il est clair que nous nous inscrivons dans cette perspective, qui est celle de la plus grande ouverture possible, dans le refus de toute chapelle.
On a toutefois tort de croire que le “décloisonnement” est exclusivement une affaire de discipline. Que la danse s’accouple avec le théâtre, que la performance étreigne le texte, que la vidéo et la poésie sonore forniquent sur scène, c’est une assez bonne nouvelle – qui n’est d’ailleurs pas nouvelle ! – et nous nous en réjouissons. Mais si seuls les laborantins assistent à ces ébats, s’il faut des arcanes maîtriser toutes les subtilités, c’est que quelque chose a échoué.
Il est donc nécessaire de penser également à “décloisonner” les publics. D’ouvrir d’autres portes à côté de celle que chaque spectateur s’apprête à franchir. De ne pas se refermer sur une « manière » particulière que viendraient cautionner les regards dociles (même si curieux) d’un public finalement acquis à la cause.
La saison 2012-2013 relève de cette démarche. Peut-être trop timidement, c’est à chacun d’en juger. Il y a là des artistes aux sensibilités différentes, qui manient différents objets avec des pratiques différentes. Quoi de commun entre le travail de Guillaume Béguin et celui de la Cie Pasquier-Rossier ? Entre l’errance à laquelle nous convient Cosima Weiter et Alexandre Simon au travers de leur Highway et l’humour desprogien revisité par la Cie un Air de Rien ?
La réponse, c’est « la scène » (et qu’on ne nous en veuille pas de faire encore usage du terme « théâtre », qui accepte volontiers et humblement de verser sa contribution au club des « arts de la scène »). Et le public, toujours, parce qu’on n’est pas obligé de tomber dans la démagogie pour considérer que ce partage là est possible et surtout nécessaire.
La « perspective de décloisonnement annoncée » doit donc également se jouer dans les esprits et pas seulement sur la scène.
Propos recueillis le 23 août 2012.
Les débats sur le cloisonnement des genres mais aussi les questions de médiation, de soutien aux compagnies, du rayonenemnt, etc. sont ouverts depuis le mois de mai sur Geneveactive, via la possibilité de poster des commentaires, et la collaboration du public est aussi précieuse que celle des acteurs culturels. Les débats se poursuivront lors des Rencontres théâtrales, organisées à l’initiative du magistrat chargé de la culture, Sami Kanaan. Les thèmes de l’ouverture et de la programmation des théâtres “publics” seront plus particulièrement abordés le mardi 2 octobre à l’occasion de la rencontre Missions des théâtres “publics” qui se tiendra au Grütli à 19h et, le vendredi 30 novembre, lors de la rencontre qui portera sur les enjeux liés à l’établissement du cahier des charges de la nouvelle Comédie, à la Comédie de Genève à 19h.
Jacques Magnol
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