La rencontre entre artistes et scientifiques est un antidote au raisonnement circulaire

Pièce de Christian Gonzenbach

© 2009 Christian Gonzenbach

Depuis mars et jusqu’en novembre 2009, quatre artistes vont travailler sur leur projet dans un laboratoire de recherche dans le cadre du programme Swiss artists-in-labs, un projet de la “Zürcher Hochschule der Künste” financé par l’Office fédéral de la culture. Le programme est une interface innovante entre l’art et la science.

Faire sauter les carcans

Swiss artists-in-labs, élaboré par Irène Hediger et Jill Scott, jette des ponts entre les artistes et les scientifiques et ouvre de nouvelles portes aux échanges et  la créativité. Artistes et scientifiques partagent les mêmes motivations : “montrer que ce que l’on sous les yeux peut être vu différemment” (Christian Gonzenbach, sculpteur), “faire sauter les carcans, voir différemment et aborder de nouveaux champs d’exploration et d’expérimentation”(Luca Forcucci, musicien), trouver une “antidote au raisonnement circulaire” (Pierre Magistretti, professeur de Neurosciences, co-directeur du Brain Mind Institute de l’EPFL).

Claudia Tolusso

Pour Martin Pohl, physicien, professeur à  l’université de Genève et qui accueille Christian Gonzenbach au CERN, la “motivation principale est d’élargir le champ de notre travail, et notre travail est de s’interroger:  qu’est ce que la nature? sommes-nous en mesure de poser la question et d’y répondre, et peut-on trouver de l’aide ailleurs? Alors il est évident que l’on va chercher de l’aide chez les philosophes, mais pourquoi pas aussi chez les artistes? Peut-être que les artistes vont nous enseigner comment poser de telles questions qui sont en dehors de nos modes de fonctionnement, mais il est hors de question de se laisser limiter. C’est pourquoi nous avons immédiatement accepté la proposition (de la  ZHdK). Ce qui va en sortir nous n’en avons aucune idée. Christian Gonzenbach fait le tour du labo, on lui montre ce que l’on fait, il discute avec nous et l’un de nous lui sert de guide. Moi j’étudie ce qu’il a fait avant, je regarde ce qu’il faut et j’essaie de trouver la synergie, ce qui aisé car il s’intéresse aux mêmes choses que moi, par exemple au vide qui est un de mes dadas, je n’ai toujours pas compris comment fonctionne le vide. Dans la physique du XIXe, on pensait que le vide ne faisait pas partie du système, dans la physique du XXe nous avons appris que ce n’était pas vrai avec l’apparition spontanée de phénomènes à  l’intérieur même d’un espace vide. Alors cela devient une sorte d’acteur dans la physique et je me demande toujours s’il est possible que le vide soit le metteur en scène de ce que l’on voit, quelle est l’action du vide sur les phénomènes.”

Christian Gonzenbach, sculpteur, trouvait que l’idée de mettre un artiste dans un labo semblait extrêmement  séduisante, “je pensais aller me baigner dans le lac et je me retrouve dans la faille de l’océan pacifique car ce que j’y découvre dépasse largement ce que je pensais y trouver. Mon projet est de sculpter la matière sombre qui représente 25 à  30% de l’univers et l’on ne sait pas ce que c’est. Je suis en train de découvrir ce qui se passe dans la physique contemporaine.
Ce qui relie fortement mon intérêt pour la science c’est que mon approche artistique est une relation à  la réalité et en permanence en dialogue avec la réalité, et les scientifiques ont en permanence ce dialogue. Je n’invente rien je montre simplement ce qui est sous nos yeux et que l’on a jamais vu ainsi. C’est une approche très concrète.
Le but n’est pas de continuer de faire ce que je sais faire mais que de faire qq chose d’autre, donc j’essaie de comprendre le langage des physiciens, de discuter avec eux pour voir comment effectuer cette rencontre entre l’art et la science, non pas pour faire de l’art dans un contexte scientifique mais qu’il y ait vraiment une interaction et peut-être arriver à  trouver des réponses ou des questionnements”.

 Utiliser l’électricité du cerveau pour créer une composition musicale

Pourquoi un artiste au Brain Mind Institute ? La réponse de Pierre Magistretti, son co-directeur, rejoint celle de Martin Pohl “Personnellement, j’ai été enthousiasmé par l’idée et ce ne fut pas difficile de transmettre cet enthousiasme à  mes collègues parce que, d’une part, il me semble que les liens entre le fonctionnement cérébral et la production artistique sont très proches. Une manière d’expression de l’activité cérébrale est la production artistique mais c’est un coté qui n’est pas exploré, je pense donc qu’il y a là  un domaine expérimental, une possibilité d’échange de réflexion qui pourrait vraiment nous ouvrir l’esprit pour imaginer des explorations neurobiologiques de l’art. Le deuxième point, c’est de créer un pont avec les non spécialistes comme le public. Nous faisons des choses compliquées qui intéressent tout le monde, comprendre comment marche le cerveau c’est aller au coeur de ce que nous sommes, et je pense que c’est important de partager cette passion, les avancées, les blocages que l’on rencontre, avec le plus grand nombre de personnes possible. Il est vrai que l’art m’a toujours semblé comme un vécu parfait pour cet échange car checheurs et public sont au même niveau, il n’y a pas quelqu’un qui sait et un autre qui ne sait pas, l’art ainsi est en quelque sorte démocratique. Donc, utiliser, dans le bon sens du terme, l’art comme véhicule d’échange avec le public m’a semblé très attractif.
Ce que je crains le plus,c’est l’enfermement dans une sorte de pensée unique que l’on applique à  quelque chose qui marche et qui s’auto-entretient et dans laquelle on se stérilise. Toutes les occasions de s’ouvrir l’esprit sont donc utiles, et si elles n’aboutissent pas à  des projets concrets, à  une compréhension concrète, le fait de déstabiliser un peu le système et les certitudes est un bon élément pour stimuler une certaine créativité, je crois que c’est ce que les chercheurs et les artistes partagent.”

Au Brain Mind Institute, Luca Forcucci compte, entre autres recherches, expérimenter les possibilités de capter l’electricité du cerveau pour créer une composition musicale.

Les artistes de la sélection 2009 ont commencé leur collaboration en mars dernier, nous reparlerons avec eux de l’avancée de leurs travaux en septembre prochain.

Jacques Magnol

 Propos recueillis le 22 avril 2009.

Les lauréats de la bourse Swiss artists in labs sont choisis par un jury d’experts. Le concours pour les bourses 2010 est ouvert jusqu’à  la fin de l’été.

 

Mise à  jour. 15 mars 2010:
EXPOSITION QUARC, section de Physique, Université de Genève / CERN, avec STEPHAN FREIVOGEL. Vernissage 17 mars 17h30 – 20h, exposition 18 mars – 30 juin 2010

 

Lauréats 2009:

  • Au CERN, l’artiste genevois Christian Gonzenbach essaie de donner forme à  la matière sombre afin de trouver un accès poétique à  la complexité de l’univers.
  • à€ Lugano, à  l‘Istituto dalle Molle di Studi sull’intelligenza Artificiale, l’artiste Alina Mnatsakanian de Cortaillod (NE) s’apprête à  faire danser les robots.
  •  Luca Forcucci, artiste sonore, compositeur et interprète, de La Chaux-de-Fonds, va au fond des sons qui composent nos émotions grâce aux mesures des ondes cérébrales au Brain Mind Institute de l’EPFL.
  • Claudia Tolusso de Lucerne se situe aux confins de l’écologie et de la culture et occupe l’Institut de recherche sur la forêt, la neige, le paysage et les espaces publics de Bellinzone.

Note: A Genève, le programme “Artists in Labs” avait fait l’objet d’une présentation par Jill Scott, vidéaste d’origine australienne et largement investie dans le programme, lors de Version bêta du Centre pour l’image contemporaine en décembre 2008.

 

Plus d’informations sur le site du programme.

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Un commentaire pour “La rencontre entre artistes et scientifiques est un antidote au raisonnement circulaire
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  1. Artistic Science or Scientific Art ? « Emma vie dit :

    […] les scientifiques et les artistes sont parfois très proches. Il n’est pas rare de voir un artiste s’inspirer de la science (Dali et son, inspire de […]