La réalité recomposée et augmentée de David Claerbout

travel1
David Claerbout. “Travel”.  1996 – 2013, (capture d’image) 12 min, animation HD en couleur, son stéréo. ©Claerbout.

L’artiste belge David Claerbout (1969) présente onze projections ainsi qu’une série de dessins préparatoires et des photographies au deuxième étage du Musée d’art moderne et contemporain de Genève. Les travaux réalisés entre 1996 et 2015 illustrent les recherches focalisées sur le temps et l’espace.

David Claerbout utilise le temps comme un matériau malléable afin de le façonner pour proposer une expérience à vivre au rythme d’un mouvement extrêmement lent sans que l’on puisse parler de ralenti. Aussi réaliste que semblent ces projections, elles ne relèvent pas du montage de scènes filmées mais d’innombrables images utilisées comme matériau de base avant d’être entièrement recréées à l’aide de techniques digitales. “J’appartiens, dit David Claerbout, à une génération d’artistes qui a du mal avec le culte de l’objet d’art. C’est la raison pour laquelle j’ai opté pour un média historiquement lié à la culture de masse, en l’occurrence la vidéo numérique.” Ses projections captivantes à plus d’un titre lancent le regardeur dans une interrogation sur la perception du temps. Le rythme du défilement de l’image, de la vie, change et le monde se perçoit autrement.

La réalisation de l’œuvre la plus récente Travel s’est déroulée entre 1996 et 2015, c’est un lent déplacement dans une forêt au son d’une musique new age. Le voyage commence près d’un banc, à la lisière d’une forêt, avant de s’enfoncer progressivement entre les arbres. L’atmosphère évolue du charme champêtre au dramatique selon la densité de l’environnement et de la lumière alors que nous passons d’une sombre forêt européenne à la végétation luxuriante de la jungle amazonienne. L’angle de vision s’élargit ensuite à l’horizon dégagé de la campagne avant de prendre littéralement de la hauteur et laisser le spectateur troublé par la multiplicité des émotions ressenties. La musique relaxante composée par le musicien Eric Breton dans les années 80 amplifie cet hymne à la majesté de la nature dans sa banalité, entre méditation et romantisme.

travel2
David Claerbout. “Travel”.  1996 – 2013, (capture d’image). ©Claerbout.

 

travel32
David Claerbout. “Travel”.  1996 – 2013, (capture d’image). ©Claerbout.

D’autres projections intriguent par des détails improbables, ainsi cette photographie ancienne, Ruurlo, Bocurloscheweg, 1910 (1997), qui montre des villageois près d’un arbre dont les feuilles frémissent sous une faible brise. Comment cette photo d’un paysage hollandais en 1910 peut-elle être à la fois « animée » et authentique ?

ruurlo
Ruurlo, Bocurloscheweg, 1910, 1997. ©Claerbout.
Bordeaux Piece (2004), la projection la plus longue et la plus narrative, qu’aucun regardeur ne peut voir au cours d’une journée, dure 13h 43 sans parvenir à lasser. Dans le décor d’une maison de l’architecte Rem Koolhas, ce qui suffit à indiquer la catégorie sociale, trois personnages, un homme d’âge mûr, son fils et la compagne de ce dernier, qui est probablement la maîtresse aussi du père, sont engagés dans une situation tendue sans que l’on puisse découvrir comment ils en sont arrivés à ce point où leur ennui crève l’écran. La projection de près de 14 heures montre en fait 70 fois une même scène qui à chaque fois subit une très légère variation, des changements anodins mais suffisants pour exciter la curiosité au point d’inciter à voir les suivantes au son de la musique d’Arvo Pärt diffusée dans les écouteurs mis à disposition.

longgoodbye1
David Claerbout. Long Goodbye. 2007, (capture d’image). ©Claerbout.

La femme d’une grande beauté qui, dans Long Goodbye (2007) apparaît sur une terrasse pendant une coucher de soleil avant de saluer et quitter la scène, suscite tant un sentiment de proximité, d’intimité partagée que de temps suspendu. Il en va ainsi de chaque pièce de David Claerbout, où l’interrogation se nourrit de l’émotion et du trouble ainsi créés.

David Claerbout. Performed Pictures.
Musée d’art moderne et contemporain. Genève.
10 juin au 13 septembre 2015.

 

Tagués avec : ,
Publié dans art contemporain, expositions