La Nouvelle Comédie rêvée de Gabriel Alvarez

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Projet de Nouvelle Comédie. Image LUXIGON.

Je vois qu’un attroupement de candidats commence à se former pour entrer à la Nouvelle Comédie, mais nous ne savons rien de leurs intentions pour cette grande maison genevoise  des arts vivants.
Les enjeux sont énormes quant à la diversité et la particularité culturelles d’une ville comme Genève. Les prendront-ils en compte ou feront-ils un déni de réalité poussés par leur égo et leur ambition ?
Ouvrons le débat : voici ma Nouvelle Comédie rêvée !

Vivant depuis 20 ans dans la ville de Genève, côtoyant son histoire artistique et théâtrale de ces dernières trente années ; après avoir vécu et travaillé le théâtre en diverses villes suisses :
– Zurich en tant que pédagogue théâtral à l’école Vorbhune,
– Berne où a été fondée la compagnie le Studio d’Action théâtrale dont je suis le directeur depuis trente années déjà,
– Lausanne au théâtre de l’Arsenic avec son créateur Jacques Gardel.
Mais aussi travaillant et vivant dans des pays comme l’Italie, l’ancienne Yougoslavie, la Pologne, l’Espagne ou la France, je me sens en capacité de soutenir que Genève est, artistiquement parlant, une ville unique, non seulement dans le contexte suisse, mais aussi dans le contexte européen. Le réseau considérable et réactif que j’ai constitué m’oblige à cette constatation.

La particularité artistique de Genève pourrait s’illustrer avec deux métaphores, l’eau et la lumière : Genève est une ville placée au bord de l’eau, le long d’une rivière et un fleuve; l’Arve et le Rhône dans la fluidité. En effet, la vie des habitants de Genève s’écoule le long de ses rives, il en est de même au bord du lac. Sa diversité culturelle se mélange au moment où les deux fleuves s’unissent, à leur Jonction !
Historiquement, la vie créative à Genève est aussi à contre-courant, notamment à St Gervais d’abord dans les années 1970 avec son théâtre et Rochaix son metteur en scène, puis à Champel avec le théâtre universitaire “La Cité bleue”, sans oublier le théâtre de Carouge avec la famille Simon. De même, à la fin du siècle passé et au début de ce siècle, le courant remonte de la Jonction pour s’imposer à la cité, pour proposer aux habitants et aux pouvoirs politiques des initiatives et des projets qui ont donné, qui donnent et qui pourront doter la Ville d’une nouvelle identité.

En ce sens, la Nouvelle Comédie en construction sur l’esplanade de ce qui deviendra la deuxième plus grande gare de Genève, située aux Eaux-vives, prolonge cette fluidité non comme une espace phare pour vendre la ville (l’exemple du Ballet Béjart a été catastrophique pour le développement de la danse à Lausanne), mais comme l’astre que par sa force gravitationnelle peut soutenir et faire bouger encore les autres astres qui composent et composeront le milieu des arts de la scène genevoise. C’est un soleil qui « éclaire » et réchauffe les êtres humains en les invitant à y prendre place, à prendre contact avec la production locale et internationale.
La volonté de celles et ceux qui ont porté sur les fonts baptismaux ce projet d’atelier théâtral qu’ils ont appelé « Nouvelle comédie » pourrait être soutenu et amplifié en pérennisant les efforts des très nombreux théâtres genevois qui remontent le courant. Ce nouveau bâtiment pourrait mettre en valeur cette multiplicité. Ainsi la lumière projetée par le soleil de la Nouvelle Comédie, possible centre de la galaxie de la culture genevoise, réfléchira, illuminant les productions locales et la multitude des théâtres de l’agglomération le nourriront de leurs énergies créatives.

Ce projet de la Nouvelle Comédie est passionnant dans la mesure où tout nouveau théâtre ou lieu culturel donne la possibilité, tant aux artistes qu’au public, de tracer de nouvelles voies, d’ouvrir des nouveaux horizons, de réinventer les formes de notre art.
« La société a le théâtre qu’elle mérite », disait Jean Vilar, nous ne devons pas cesser de rêver à de nouveaux paysages pour réinventer notre lien à la société et les liens qui unissent les êtres humains entre eux.
Ce rêve prendra forme si le projet artistique de la Nouvelle Comédie est mis dans une perspective concrète d’amélioration du tissu théâtral de notre région en synthétisant, valorisant la diversité de production de notre agglomération de plus d’un million d’habitants. Sécularisant ainsi les liens revisités des êtres qui constituent cette communauté du bout du lac Léman.
La Nouvelle Comédie devra être un outil magnifique à la disposition des créateurs genevois. Cet atelier d’artisans créateurs va bouleverser les équilibres de la scène théâtrale genevoise et tous les milieux des arts vivants. La danse, le nouveau cirque et d’autres formes du spectacle vivant ne seront jamais plus comme avant. Ainsi la Nouvelle Comédie doit être la locomotive de la scène genevoise et, pour qu’elle joue ce rôle, il faut qu’elle fédère toutes celles et ceux qui porteront ce changement.

Comment ? En tenant compte des enjeux suivants :

A. LA CRÉATION GENEVOISE

Agir local et penser global !

Étant acquis que la Nouvelle Comédie se doit d’être le catalyseur de la création genevoise qui captera de nouveaux publics, elle doit donc s’ouvrir organiquement à la création locale.

1 – Co-productions locales
En proposant des coproductions avec d’autres théâtres, mais aussi en créant des dynamiques autour de sujets précis (thématiques socioculturelles ou simplement artistiques). Par exemple en construisant un spectacle qui se décline de manière progressive dans divers lieux ou théâtres de la ville, la Nouvelle Comédie devra guider, organiser, encadrer un tel projet.
La Nouvelle Comédie doit aussi et parallèlement sortir de ses “murs” afin de rechercher et d’habituer son public à d’autres formes artistiques, à d’autres rapports scène-salle, etc. La modularité de ses salles le permettra.
La Nouvelle Comédie a aussi la chance de profiter d’une esplanade où des milliers de voyageurs transiteront. Ainsi, s’il est invité à passer la porte, si sa curiosité est suscitée, le public pourra lui aussi être le témoin de cette élaboration théâtrale en observant l’aveuglement des premiers jours de la création, son tâtonnement créateur, et enfin la magie du spectacle comme aboutissement. Il faudra qu’elle transforme ces voyageurs en un flux de citoyens intéressés puis passionnés et surtout fidèles à sa programmation. Sans perdre évidemment son public actuel.
La Nouvelle Comédie doit devenir aussi un centre de références pour les compagnies indépendantes genevois, avec par exemple le prêt de matériau, un soutien administratif, des salles de répétitions mises à disposition qui font cruellement défaut, des coproductions avec d’autres lieux ou théâtres genevois.

2 – Création d’un collectif d’acteurs locaux
La création d’un collectif d’acteurs locaux avec un metteur en scène pouvant travailler durant toute une saison sur un projet de leurs choix comme projet structurant pour cet atelier théâtrale. Au terme d’une saison, ils devraient présenter leur spectacle. Ainsi une tradition serait instaurée: le spectacle qui clôt la saison deviendrait le produit de la recherche d’une année.

3 – Création des Olympiades théâtrales
La création des Olympiades théâtrales pour les jeunes compagnies devrait être un rendez-vous annuel. Durant 5 jours, les jeunes compagnies participeront à ces Olympiades (on l’imagine dans la Grèce ancienne). Le public et des professionnels seront amenés à départager les concurrents. Le lauréat couronné de ce succès recevra par la suite l’appui économique et logistique pour monter un nouveau projet.

4 – Biennale de Théâtre International
Une biennale de Théâtre International pour la Nouvelle comédie fondera l’activité de ce nouveau théâtre fédérateur. C’est un festival des arts scéniques contemporains qui donnera la possibilité au public genevois de voir et découvrir des créations uniques qui tournent internationalement.
Ce festival devra être financé par des fonds de provenances mixtes : privés et publics. Ce festival devra faire rayonner Genève comme place théâtrale internationale et en parallèle donner aux acteurs locaux la possibilité de se confronter avec ces poétiques et des techniques théâtrales nouvelles. Ainsi chaque metteur en scène ou chorégraphe invités devra donner un master class aux artistes de la région qui le désirent.

5- Prendre une place dans le théâtre européen
La réalisation de coproductions européennes devra être un des axes de recherche de toute la maison. Ainsi les créations locales s’exporteront vers les institutions dramatiques importantes suisses et étrangères. Les coproductions doivent éviter d’être au service d’un ego, d’une tête d’affiche, mais soutenir un projet artistique singulier.
La Nouvelle Comédie doit être le levier pour que les acteurs ou compagnies suisses révèlent la qualité de leur travail à l’étranger. La force économique de Genève vis-à-vis de beaucoup de scènes nationales françaises notamment doit être utilisée comme un avantage et non comme un handicap s’agissant de négocier des échanges avec les autres lieux théâtraux européens.

6-La mise en voix des jeunes dramaturges
L’organisation périodique de lectures au profit de jeunes auteurs suisses, de la région ou étrangers doit être un autre axe de travail. Faire entendre des textes dramatiques nouveaux et inédits participe à la construction de l’avenir du théâtre de la cité. La création d’un événement avec le public et des experts afin de motiver les jeunes auteurs devra être une des règles de cet atelier de production théâtrale. Ainsi, tous les deux mois, des lectures de manuscrits seront organisées en tentant de repérer des auteurs en devenir dont le talent ne demande qu’à s’épanouir. Lors de ces lectures, il faudra laisser la possibilité de rencontre entre les jeunes comédiens et les jeunes auteurs afin que leur écriture se confronte à la pratique théâtrale et au plateau. Créer la mise en espace, la mise en voix, structurer le chantier d’une œuvre deviendra alors un tremplin pour les jeunes auteurs.

Mais le rêve ne finit là, comme nous l’avons affirmé, ce théâtre doit palpiter au milieu de la Cité. La Nouvelle Comédie doit devenir le cœur de l’activité culturelle et artistique de la ville.

B.- UN THEATRE DANS ET POUR LA CITE

1- L’échange
L’activité d’un théâtre ouvert doit reposer sur l’idée de mettre en relation les créateurs d’ici et d’ailleurs non seulement avec d’autres artistes, mais aussi avec le riche milieu associatif genevois, les habitants du quartier, les voyageurs, notamment. Ainsi le public pourra lui aussi être le témoin de cette élaboration théâtrale en observant son aveuglement initial, son tâtonnement, ses hésitations et la magie du spectacle comme aboutissement créatif.
Comment ?
En organisant des débats, rencontres, conférences sur des problématiques sociétales ouvertes sur la cité et leurs reflets au théâtre. En restituant l’action théâtrale dans le monde moderne, hétérogène et pluriel.
En proposant des Cycles thématiques autour de comment et pourquoi l’art théâtral et les arts de la scène se positionnent face aux problématiques de notre société contemporaine?
Durant ces cycles, plusieurs artistes pourront participer, les metteurs en scène bien sûr, mais aussi des plasticiens, des chorégraphes, danseurs, performers…

2 – La Rencontre des Métiers
La Nouvelle Comédie se positionnera comme un lieu de vie de traditions théâtrales et de transmission d’un savoir-faire spécifique, elle générera un échange entre les divers domaines artistiques et artisanaux.
Des conférences, des stages, des débats et des rencontres sur le son, la lumière, les costumes, les accessoires, le maquillage, etc., soutiendront cette démarche. Le public et pourquoi pas les artistes, découvriront l’importance dans l’élaboration d’un spectacle des tous ces corps de métier. Les spectateurs provenant de tous les horizons appréhenderont le théâtre comme une économie précaire et fragile, mais importante pour la vie créative des habitants de la cité.
En associant tous les corps de métier comme seule force créative, ce théâtre doit devenir ainsi un lieu, un pôle de rayonnement et de rassemblement des créateurs et du public. La générosité des espaces de déambulation entre les deux salles, le lieu de création des décors, la cafétéria et l’esplanade le permettent.

4 – L’interdisciplinarité
Qui dit échange dit circulation, porosité entre les formes artistiques. Une des missions pour la Nouvelle Comédie sera de promouvoir la diversité des approches. Ainsi elle s’ouvrira avec détermination à l’interdisciplinarité des nouvelles formes artistiques.
La Nouvelle Comédie grâce à ces deux salles et la générosité de leur espace, de son infrastructure, permettra au public de se familiariser avec le travail interdisciplinaire des peintres, architectes, sculpteurs, plasticiens, décorateurs, cinéastes, danseurs et acteurs lors de la construction d’un événement théâtral.

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