C. L’ART DU SPECTATEUR
Prémisses et constat :
Les publics qui se rendent aujourd’hui au théâtre ne sont pas homogènes. Certains prétendent encore que le théâtre est un art élitaire. En quoi le public de théâtre serait-il une élite ? Par ailleurs nous traversons une époque marquée et formatée par la même culture télévisuelle, la même acculturation de la communication. Pourtant on doit admettre que le théâtre est un art minoritaire!
Les grands spectacles de masse sont maintenant, par exemple, les matchs de football où peuvent se réunir jusqu’à 80’0000 personnes. Ce qui fait la particularité du théâtre, sa force et son essence, c’est qu’il est déterminé par le rapport vivant entre les artistes et le public, par son intimité, par la finesse de sa perception, par la mise en jeux des corps.
Ainsi le théâtre doit rester à l’échelle de l’individu. Il sera toujours un court et petit instant de communauté, même quand les salles sont pleines. L’acte théâtral est un temps de partage nécessaire pour tous ceux qui veulent s’abstraire, se ressourcer, s’extraire du capharnaüm médiatique mondialisé et de la globalisation de la communication virtuelle.
Pour cela le théâtre doit être le lieu de la découverte et de la subversion, mais aussi celui de la transmission et de l’héritage. Un lieu où l’on tente de subvertir le présent pour tenter de le reconstruire autrement.
Il faut alors du « nous » pour que le théâtre existe. Le rôle d’un théâtre comme la Nouvelle Comédie face au public doit contribuer à transformer et former le goût du public. Pour cela ce théâtre en devenir ne doit renoncer à aucune initiative ou proposition pour iconoclaste qu’elle soit au premier abord.
Dans le courant de la saison, chaque fois que ce sera possible, le spectateur sera physique au centre de la représentation. La modularité de ses salles le permettant. C’est une chose que de bénéficier d’une formidable infrastructure, c’en est une autre de la faire vivre.
Il faudra avant tout susciter la curiosité des spectateurs. En fortifiant et renouant le dialogue entre ceux et celle qui font le théâtre et ceux et celles qui le regardent. Des rencontres public-artistes, avant et après le spectacle, mais aussi pendant les répétitions devront être organisées et animées.
La Nouvelle Comédie devra interroger le public de diverses façons: spectacles hors les murs, événements multiples qui cohabitent dans le même théâtre, spectacles avec rapport privilégié (5 acteurs, 10 spectateurs par exemple), dispositifs bifrontaux qui peuvent être présentés seulement en utilisant la scène du théâtre. Il faudra laisser la possibilité, dans la limite des places disponibles, à une personne de voir autant de fois qu’il le désir un spectacle qui l’a passionné et bouleversé.
Construire un projet pour créer le public de demain, en invitant des classes d’élèves de niveaux différents afin de suivre le travail de l’acteur en coulisse, le processus de préparation d’une pièce, de son écriture, le travail de la mise en scène ou la construction des décors, etc.
Il faut, dès l’inauguration du bâtiment, une stratégie et une ligne pédagogique afin que la pratique théâtrale soit connue depuis ses premiers pas, que l’œil du futur public soit formé. Partant du principe que nous ne voyons que ce qu’on nous a appris à voir, il nous faudra laisser une place à l’imagination, au regard de chacune et chacun.
Une des forces sociales du théâtre consiste dans la possibilité de nourrir notre regard sur le monde d’une manière différente, par exemple, à celle formatée par la TV.
En faisant référence à l’art du spectateur la Nouvelle Comédie devra implémenter et devenir le lieu de multiples propositions, parmi lesquelles les spectateurs seront invités à tracer leur propre chemin, à passer de spectacles en installations, de performances en expositions ou concerts. Le foyer et la cafétéria deviendront des lieux d’une rencontre privilégiés.
De longs moments à passer ensemble seront possibles en vue de créer une relation privilégiée avec le public. Des propositions multiples seront à disposition pour que ce théâtre soit vraiment un lieu de partage. Une maison ouverte, de jour comme de nuit, un espace de rencontres et d’échanges, un lieu de parole. En soutenant une série d’évènements pour produire une mixité des publics et surtout la rencontre et l’échange entre ces publics. Ainsi la Nouvelle comédie donnera la possibilité de rencontrer les « autres habitants de la ville », de partager des valeurs ou des émotions, avec eux.
Et avant de se réveiller, parlons programmation et fonctionnement !
La programmation
Je pense que ce nouveau théâtre doit être ouvert à la confrontation entre le « grand répertoire » (pièces classiques) celles de Molière, Shakespeare, Tchekhov, Jarry et les maîtres du vaudeville que sont Labiche et Feydeau comme les grandes figures du XXe siècle que sont Frank Wedekind, Rainer W. Fassbinder, Fernando Pessoa, Malcolm Lowry et Heiner Müller et les auteurs contemporains. Donner l’espace à des spectacles qui travaillent sur les formes, proposent de nouveaux modes de représentation du monde, font bouger les lignes du théâtre.
Pourtant la frontière entre théâtre d’art et « spectacle populaire » n’est pas toujours évidente, car le partage n’est pas si aisé. Aujourd’hui triomphent l’hétérogénéité, les métissages et les contaminations de toutes sortes. Il faut donc rester ouvert et vigilant à la frontière de cet inconnu !
Toute programmation doit être organisée entre l’envie légitime et omniprésente d’attirer le plus grand nombre des personnes et celle de présenter les diverses formes que la recherche de l’art théâtrale propose. Ces dernières parfois plus difficiles d’accès pour le public. Affronter cette contradiction c’est faire communiquer le plus étroitement possible ces formes avec des lieux ou des espaces plus adaptés à ces formes. En effet, s’allier avec d’autres lieux à l’intérieur d’une même saison est une très bonne pratique.
La nouvelle Comédie doit être la maison des arts vivants, donc du théâtre, de la danse mais aussi de la musique, qu’elle puisse devenir un référant scéniques ( le grand théâtre ne le fait pas) pour des spectacles avec du chant lyrique, le festival contrechamp et d’autres propositions qui puissent aboutir à des spectacles insolites. Par exemple, des spectacles de théâtre musical qui favorisent la circulation des publics cohabitant dans la Genève internationale. Par exemples des récitatifs, oratorio, opérettes et autres formes dramatiques qui malheureusement sont peu proposés et qui ont pourtant le soutien d’un large public.
Afin d’occuper avec le théâtre les espaces extérieurs à la Nouvelle Comédie, mélanger les publiques qui n’osent pas passer le seuils des ses portes, il serait parfait d’organiser, la « festivité » du théâtre ou le théâtre d’été, en investissant par exemple l’esplanade de la gare afin que le public découvre le théâtre de rue.
Mais une telle maison ne doit pas oublier la poésie ! Il faut que les poètes d’aujourd’hui et d’hier soient au rendez-vous au moins la durée d’une nuit. Afin de leur laisser la possibilité de chanter notre histoire et permettre au plus grand nombre de les entendre. La saison organisée aux Bains des Pâquis nous enseigne qu’un public existe en ce domaine. Quelle aubaine que nous puisons assister à des nuits de bohème où la parole soit reine, où la poésie, chantée, dite, lue, accompagnée ou pas par de la musique aura toute une nuit pour elle.
Transmission, héritage, pédagogie
Attachée à proposer des ateliers exigeant tant pour les acteurs que pour les metteurs en scène, la Nouvelle Comédie devra être exemplaire. En effet, qui dit théâtre dit répétition, création, transmission. Ainsi un théâtre ne doit pas seulement se consacrer à la programmation de spectacles, mais s’il veut rester vivant et créatif à l’intérieur de son art, il doit aussi nourrir la recherche et la formation.
Le travail d’un acteur, sa formation, commence, mais ne finit jamais. Il faut créer et entretenir alors une sorte de « friche », où tout serait à inventer, à semer, où tout pourrait naître… et renaître… Cette mission pédagogique tentera de faire éprouver aux acteurs qui le désirent des techniques de jeu différentes, aux jeunes acteurs de se mesurer à d’autres horizons artistiques.
Un théâtre comme la Nouvelle Comédie, au service de la création théâtrale, ne doit pas tomber dans cet impératif catégorique, très présent dans l’air du temps, de bouger avec ce qui bouge sans distinction ni perspective : faire de plus en plus et de plus en plus vite. Cette boulimie dévorant peu à peu le temps de la création et de la recherche artistiques.
Il faut qu’elle nous propose des plages sereines où la pensée théâtrale puisse s’épanouir et le corps se déployer.
Le fonctionnement
Le projet de la Nouvelle Comédie se fabrique avec les artistes, avec un équipe qui voudra adhérer au projet artistique.
Le statut de première institution théâtrale de la Nouvelle comédie, y compris en termes de subventions, demande une transparence administrative totale.
Nous demandons donc une transparence total sur l’utilisation de l’argent, être informés sur les coûts divers de production. Cette transparence servira d’exemple afin que le public ait une idée concrète, notamment de la structure matérielle de la vie des créateurs.
Le budget de fonctionnement ne devra pas dépasser le 16% du budget global. L’argent ainsi devra être distribué aux artistes pour leur création et non au fonctionnement de la maison. De plus, en termes de fonctionnement, la Nouvelle Comédie ne doit pas enlever un centime à la riche et précaire scène genevoise !
Genève a besoin d’un lieu, d’un théâtre qui soit le réceptacle pour les autres pays, les autres peuples, pour faire découvrir son dynamisme artistique et culturel. Notre communauté multiculturelle a besoin d’un lieu qui contribue à concrétiser l’énorme potentiel artistique que cette ville possède, mais qui très souvent à de la peine à faire rejaillir. La Nouvelle Comédie doit valoriser ce qui existe, ce qui somnole à l’intérieur de ces murs, sur ses rivages, dans le cœur de ses artistes.
La Nouvelle Comédie et les arts scéniques doivent être des forces de renforcement du lien social. Dans des contextes socioculturels différents; certains habitants ont peu accès au théâtre, par ignorance, par manque de recours, or le partagé d’un spectacle théâtral de très haute qualité est source de vie.
Que le rêve devient une réalité !
Gabriel Alvarez metteur en scène