La diversité de l’offre culturelle genevoise est-elle en danger?

bar grü

Le 11 avril, un «Collectif d’artistes pour la diversité culturelle à  Genève » a remis une lettre ouverte à  Patrice Mugny, Conseiller administratif en charge de la culture en Ville de Genève, pour lui faire part de ses craintes de voir la diversité culturelle de Genève mise à  mal.
Ce n’est en rien la nomination du nouveau directeur de ce théâtre qui est en cause mais « ce choix nous questionne (le collectif) surtout sur votre vision de la Genève artistique de demain même si vous ne serez plus le magistrat en charge de la culture ; désormais, quelles sont les perspectives que le Département de la Culture peut proposer aux arts vivants contemporains?  Les dernières nominations à  la tête des théâtres genevois annoncent une uniformisation esthétique du paysage culturel et une plus grande marginalisation de certaines pratiques artistiques; sans lieu pour créer et développer, certains artistes seront sans doute contraints de quitter Genève. Cela nous semble en totale contradiction avec la politique culturelle de la Ville qui avait jusque là  accompagné ce mouvement d’ouverture par la création de plusieurs outils de soutien.»
Le collectif d’artistes demande un débat public au magistrat sortant. La lettre ouverte est signée par nombre de compagnies indépendantes qui se sont produites au Grü, manquent à  ce jour les plus grandes institutions comme la Comédie, Saint-Gervais, ADC, Loup, Galpon, Grütli, Carouge, Poche, Forum-Meyrin, HEAD, Arsenic, etc.

Commentaire
geneveactive.ch et les médias régionaux n’ont pas attendu un collectif pour souligner depuis des années la position originale du Grü sur la scène du théâtre contemporain. Faut-il rappeler que la nomination de Maya Boesch et Michèle Pralong avait suscité d’autres interpellations du magistrat: une institution théâtrale confiée à  “deux femmes”, quelle hérésie disaient alors les tenants d’un lieu ouvert à  tous les metteurs en scène locaux dans l’ordre de leur inscription! C’est le milieu théâtral lui-même qui est resté muet: point ou très peu de tribunes d’opinion, d’adresses au public, malgré les sollicitations des divers médias. Le public est le grand oublié du mouvement de protestation.
Comment conquérir de nouveaux publics sans alimenter le débat et la réflexion dans les médias? Rares sont les acteurs responsables qui, comme Gilles Jobin lors d’un forum GenèveActive* en décembre 2009, organisé en collaboration avec le Grü, sont venus s’exprimer sur leur vision du théâtre et de la danse de demain. Si la rumeur dont parle Karelle Ménine, porte-parole du collectif, s’est déchaînée durant le processus de nomination des directions de la Comédie et du Grü, le débat public n’a pas eu lieu, pas plus qu’il n’a lieu pour la Bâtie et les autres enjeux culturels.
Pourquoi le Collectif a-t-il attendu que les jeux soient faits, et le ministre sur le départ, pour se constituer et s’exprimer? Pour que les candidats recalés obtiennent un lot de consolation? La transparence d’intention exigée de la part du magistrat devrait également s’appliquer aux autres acteurs culturels. Les renouvellement des directions à  la Comédie et au Grü, tout comme le changement de magistrat à  la culture, vont provoquer un bouleversement des réseaux en place et de nouvelles luttes pour le pouvoir. Peut-on préjuger des nouvelles orientations qui se dessinent?

Jacques Magnol

Lire à  propos du Grü sur GenèveActive.com: Une ébauche de cluster culturel se dessine à  Genève sous l’impulsion du Théâtre du Grütli. février 2010.
* Rappelons les forums GenèveActive sur la transdisciplinarité; le rayonnement de la scène culturelle; la diversité culturelle comme atout de l’attractivité de la ville, etc.

 

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Publié dans scènes
8 commentaires pour “La diversité de l’offre culturelle genevoise est-elle en danger?
  1. alex dit :

    Eternelle tempête locale dans un verre d’eau avec des indépendants instrumentalisés, réseau quand tu nous tiens!

  2. ideal dit :

    Attendons le 18 avril tout va changer.

  3. filou dit :

    Vous ne dites pas qui a activé ce groupe comme manoeuvre de la dernière chance et n’oubliez pas que la bâtie peut faire partie des lots de consolation que vou évoquez.

  4. Gilles Jobin dit :

    Nominations culturelles : l’arbitraire règne
    LEMONDE | 12.04.11 | 16h57 • Mis à  jour le 12.04.11 | 18h30

    Il fut un temps où l’on déplorait que les nominations à  la tête des institutions théâtrales et chorégraphiques prissent l’allure de mouvements préfectoraux. Au moins une fois par an – et souvent devant la profession réunie au Festival d’Avignon -, le ou la ministre de la culture annonçait des changements à  la tête des théâtres nationaux, des centres dramatiques ou chorégraphiques, des scènes nationales selon un plan d’ensemble concocté depuis longtemps par son administration.

    Je fis moi-même plusieurs fois cet exercice jadis pour le compte de Jack Lang.

    Il semble que notre ministère de la culture ait perdu le goût d’une telle méthode, et surtout le soin d’observer ses propres critères. Le jeu s’apparente maintenant à  un bricolage fait d’opportunités et d’arbitraire.

    A une semaine de la cérémonie des Molières prévue à  Créteil, le ministre annonce, à  la surprise du principal intéressé comme il se doit, un changement à  la tête de l’Odéon. Avec effet immédiat. On ne sait pas les raisons de cette célérité. Pour le Festival d’automne, cela fait déjà  dix-huit mois qu’on attend une décision, quitte à  officialiser l’intérim. Pour le Festival d’Avignon, ce fut un renouvellement de la direction, mais pour un demi-mandat. Et pour l’Odéon, cela devient brusquement urgent.

    On a prié Georges Lavaudant de quitter la direction de ce théâtre national au titre de l’âge. On expliqua alors que le couperet de 65 ans, auquel sont assujettis fonctionnaires comme patrons d’établissements publics, s’applique avec une rigueur implacable et qu’il faut, bien sûr, s’assurer d’un renouvellement de générations. Olivier Py a tout juste le temps d’accomplir un premier mandat qu’on lui explique l’inverse. Ce n’est pas une question de longévité ni d’âge, mais d’opportunité. On aurait pu nommer déjà  depuis longtemps Luc Bondy, qui n’a jamais caché, depuis vingt ans, son désir de diriger l’Odéon, mais on attend qu’il ait, cet été, 63 ans pour le désigner.

    Je suppose donc que ce dernier bénéficiera d’un décret spécial lui permettant d’aller au-delà  de l’âge couperet, mais également qu’on ne pourra pas le maintenir pour un deuxième mandat. Autant dire qu’on va changer la direction de l’Odéon tous les quatre ans. Ce qui laisse à  penser que le ministère considère ce théâtre national moins comme une entreprise artistique que comme une récompense académique.

    Ces questions de longévité, de limite d’âge et de renouvellement de générations ne sont en fait que des prétextes, utilisables ou non selon les circonstances. Heureusement, le talent artistique ne dépend pas de l’état civil ; que Peter Brook ou Ariane Mnouchkine soient rassurés, Luc Bondy aussi, qui est le grand metteur en scène que l’on sait. Mais il vaudrait mieux reconnaître que ces nominations ne respectent pas les règles dont le ministère se veut le pédagogue. Surtout dès lors qu’il s’agit, et c’est le cas des centres dramatiques ou chorégraphiques nationaux, de discuter avec les partenaires de plus en plus importants que sont les collectivités territoriales.

    De fait, le ministère de la culture n’a jamais su mettre en place ses responsabilités en termes d’évaluation. Il y avait jadis une Inspection du théâtre qui, sous ce terme désuet, renseignait le pouvoir décisionnaire sur tous les aspects d’une direction artistique : la croissance du public, la qualité de la gestion, l’opinion des professionnels, l’avis des critiques, l’adhésion du personnel, etc. On a l’impression d’une époque révolue maintenant que la conversation de couloirs, les titres d’un journal, la relation d’amitié ou d’inimitié personnelle ont remplacé la vision à  long terme dont a besoin le paysage théâtral français. Plus l’institution (festival réputé, théâtre national, grand centre dramatique) est importante, moins l’évaluation est faite et plus l’arbitraire est manifeste.

    Les conseils d’administration ne semblent pas servir à  grand-chose et n’ont finalement pas à  débattre d’alternatives. Il n’y a pas de discussion sur des projets, pas de projection sur l’avenir. La pertinence du choix de Luc Bondy n’est pas en cause, mais la méthode l’est. Elle conduira ensuite le ministre à  proposer au directeur sortant un autre poste qui conduira un autre directeur à  être à  son tour débarqué, et ainsi de suite. On en vient à  regretter que le jeu de dominos ait remplacé les mouvements préfectoraux.
    Bernard Faivre d’Arcier, ancien directeur du théâtre et des spectacles

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/12/nominations-culturelles-l-arbitraire-regne_1506456_3232.html

  5. Gabriel Alvarez dit :

    Je vous envoi cette histoire à  propos du débat sur les arts dites contemporaines, elle donne à  réfléchir !!

    L’HISTOIRE DU THE

    En des temps très anciens on ne connaissait pas le thé en dehors de la Chine. Des rumeurs quant à  son existence étaient parvenues aux oreilles des sages et des moins sages des autres pays, et chacun essayait de découvrir ce que c’était en fonction de ses désirs et de l’idée qu’il s’en faisait.
    Le roi d’Inja (« ici ») envoya des ambassadeurs en Chine et l’Empereur de la Chine leur offrit du thé. Mais comme ils voyaient des paysans en boire aussi, ils en conclurent que ce n’était pas une boisson digne de leur Maître royal ou, pire encore, que l’Empereur essayait de les tromper en faisant passer une substance quelconque pour le breuvage céleste dont ils avaient entendu parler.

    Le plus grand philosophe d’Anja (« là  ») réunit toutes les informations qu’il put recueillir sur le thé et en conclut qu’il s’agissait d’une substance qui existait bien, mais en très petite quantité, et qu’elle était d’une autre nature que tout ce qu’on avait connu jusque-là . N’en parlait-on pas en effet comme d’une herbe, comme d’un liquide, tantôt noir, tantôt vert, amer parfois et parfois doux ?

    Dans le pays de Bebinem, les gens, pendant des siècles, essayèrent toutes les herbes qu’ils purent découvrir. Beaucoup s’empoisonnèrent et tous furent déçus. Car personne n’avait introduit le thé dans leur pays et ils ne pouvaient donc le trouver.

    Dans le territoire de Mazhab (« sectarisme ») un petit sac de thé était porté en procession devant le peuple lorsqu’il se rendait en procession aux lieux de culte. Personne ne pensa jamais à  y goûter. Et pour cause : personne, en fait, ne savait comment s’y prendre. Tous étaient convaincus que le thé avait par lui-même une qualité magique.
    Un sage leur dit : « versez de l’eau bouillante dessus, ignorants ! » Ils le pendirent et le clouèrent au pilori puisque ce qu’il leur disait de faire impliquait, croyaient-ils, la destruction du thé. Cela prouvait assez qu’il était un ennemi de leur religion.
    Avant de mourir il avait pu transmettre son secret à  quelques-uns, et ceux-ci réussirent à  obtenir du thé et à  le boire en secret. Lorsqu’on leur demandait : « que faites-vous ? », ils répondaient : « ce n’est qu’un médicament que nous prenons pour une certaine maladie. »
    Et il en était ainsi partout dans le monde. Certains avaient vu du thé pousser mais ne l’avaient pas reconnu. D’autres s’en étaient vu offrir mais ils avaient pensé que c’était là  une boisson pour les gens du commun. D’autres encore en avaient en leur possession mais ils l’avaient idolâtré. En dehors de la Chine très peu de gens en buvaient et encore le faisaient-ils en secret.

    Alors vint un homme de connaissance qui déclara aux marchands de thé, aux buveurs de thé et à  tous les autres : « Celui qui goûte connaît. Celui qui ne goûte pas ne connaît pas. Au lieu de parler de breuvage céleste, ne dites rien mais offrez-le dans vos banquets. Ceux qui l’aiment en redemanderont. Ceux qui ne l’aiment pas montreront par là  même qu’ils ne sont pas fait pour être des buveurs de thé. Fermez la boutique des palabres et du mystère. Ouvrez la maison de thé de l’expérience. »
    Lorsque la vérité fut connue et que le thé fut apporté pour tous ceux qui voulaient le goûter, les rôles furent renversés et les seuls à  redire ce qu’avaient proféré les grands et les savants furent les idiots complets. Et il en est ainsi encore aujourd’hui.

    Idries Shah – Contes derviches
    Edition « Le courrier du livre »

  6. Gilles Jobin dit :

    http://www.mouvement.net/critiques-8367ab580eed1957-de-mal-en-py

    UN article de mouvement sur les manoeuvres pour virer Olivier Py. Intéressant de voir que l’on fait de l’investigation journalisitique au sujet de cette nomination. Peut être que ce serait à  nos journalistes de prendre des positions un peu plus nettes et relayer l’opinion, poser des questions sur les modesd e nominations, la politique culturelle, le future…

  7. Lionel Chiuch dit :

    Difficile de s’immiscer dans le débat quand on est juge et partie. Toutefois, si les journalistes relayaient effectivement l’opinion (et je pense que le terme est à  entendre dans son sens “opinion majoritaire”), comme le réclame Gilles, certains seraient confrontés à  de grandes désillusions…
    Par ailleurs, l’article de Mouvement est moins un travail de journaliste que le développement d’une hypothèse. “Il est possible que…” semble dire l’auteur tout en tricotant son procès d’intention. Certes, on se laisse volontiers séduire par la supposition, tant on sait quel est le type de fonctionnement de l’actuel locataire de l’Elysée. Reste néanmoins qu’aucun recoupement de sources n’a été effectué.

  8. Jacques Magnol dit :

    Les questions sont régulièrement posées aux politiques pour tenter de saisir ce que peut être la politique culturelle en cours, elles le sont autant lors d’interviews que de débats, et il me semble que la politique culturelle a pour principal objectif de préserver l’emploi local et de privilégier une forme d’institutionnel-alternatif selon des critères de sélection flous. Les débats qui ont eu lieu récemment, dans le cadre des élections au conseil municipal et la mairie, ont surtout été organisés pour permettre à  des collectifs de gagner une certaine visibilité en vue de négociations futures, mais les questions concernant la définition d’une politique culturelle n’ont pas été abordées. Il s’agit trop souvent de la défense de revendications micro-catégorielles et trop peu de l’intérêt général.
    J’ai déjà  salué l’intervention de Gilles Jobin qui, dès le moment où s’esquissait la Nouvelle Comédie, est venu questionner la place de la danse (en termes d’espace conçu à  cet effet et de programmation) dans ce nouvel espace. C’est le seul, ou presque, a être venu défendre l’intérêt général d’une discipline. Ces questions de politique culturelle, de transparence des processus de décision, de vocation des lieux, sont posées par les journalistes, pas seulement aux politiques, mais aussi aux responsables d’institutions dont la plupart hésite à  s’exprimer, probablement plus par manque de vision que par peur d’hypothétiques représailles toujours évoquées. C’est la volonté de débattre en public, le courage de sortir du off qui manquent, mais aussi le respect du public à  qui le débat est dû car, outre qu’il manifeste son intérêt par sa présence, c’est lui qui finance l’édifice. Quand les politiques découvriront que ces questions suscitent un réel intérêt de la part du public et des acteurs culturels, la nécessité de penser et débattre d’une réelle politique culturelle s’imposera d’elle-même.