Journée de commémoration de l’abolition du marché des esclaves

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La plupart des nations européennes ont été plus ou moins concernées par le phénomène négrier selon qu’elles ont armé des navires ou qu’elles ont borné leur rôle au financement ou à  la constitution des cargaisons et des équipages. Un pays comme la Suisse compensait son handicap géographique par la densité de son réseau commercial européen.

Pour le Neuchâtelois Arthur de Pury, « la fortune de la ville de Neuchâtel a un certain rapport avec la fortune faite sur les esclaves ».
Interview, 6 septembre 2005. JM. Illustration : MEG, Genève.

Par la résolution 61/19, l’Assemblée générale des Nations Unies a désigné le 25 mars 2007 Journée internationale de commémoration du 200ème anniversaire de l’abolition du marché transatlantique des esclaves. Elle reconnaît aussi que ce commerce est un crime contre l’humanité. La plupart des nations européennes ont été plus ou moins concernées par le phénomène négrier selon qu’elles ont armé des navires ou qu’elles ont borné leur rôle au financement ou à  la constitution des cargaisons et des équipages. Un pays comme la Suisse compensait son handicap géographique par la densité de son réseau commercial européen.

C’est en 1807 que le Parlement britannique abolit la traite des esclaves et la France suivit en 1848 avec l’abolition de l’esclavage dans les colonies.
La traite négrière fut reconnue en 2001 comme crime contre l’humanité à  la Conférence mondiale de Durban contre le racisme. Pour les Nations unies, cela a “permis à  l’humanité de se livrer à  son devoir de mémoire, mais aussi contribuer lutter contre toutes les formes d’esclavage et de racisme dans le monde d’aujourd’hui”.

Dans son Dictionnaire Universel de Commerce publié en 1730, Jacques Savary des Bruslons définissait ainsi la “traite des nègres” : “Les Européens font depuis des siècles commerce de ces malheureux esclaves, qu’ils tirent de Guinée et des autres côtes d’Afrique, pour soutenir les Colonies qu’ils ont établies dans plusieurs endroits de l’Amérique et dans les Antilles”. La plupart des nations européennes ont été plus ou moins concernées par le phénomène négrier selon qu’elles ont armé des navires ou qu’elles ont borné leur rôle au financement ou à  la constitution des cargaisons et des équipages. Considérant la seule traite par l’Atlantique, trois pays se détachent nettement : l’Angleterre vient largement en tête, suivie du Portugal, de la France et de la Hollande. L’accumulation des capitaux issus de la traite et de l’exploitation des esclaves dans les colonies a favorisé la croissance économique de pays européens. Près de 3 millions de Noirs auraient traversé l’Atlantique dans les bateaux britanniques entre 1700 et le début du XIXe siècle.

Un pays comme la Suisse compensait son handicap géographique par la densité de son réseau commercial européen. De grandes sociétés implantées à  Neuchâtel, Genève ou Bâle avaient des filiales dans les grands ports comme Nantes et Bordeaux et elles entretenaient des relations étroites avec les firmes et les banques d’origine protestante. Quand les négociants suisses n’armaient pas eux-mêmes, ils investissaient ou fournissaient des textiles appropriés à  la traite.

Pour le Neuchâtelois Arthur de Pury, « la fortune de la ville de Neuchâtel a un certain rapport avec la fortune faite sur les esclaves ». (Lors de l’émission Cité Culture, Radio Cité, 2 septembre 2005; producteur : Jacques Magnol.)

;Montesquieu lui-même reconnaît dans “L’Esprit des Lois” que le commerce avec les colonies était profitable à  la métropole et que “la navigation avec l’Afrique [était] nécessaire ; elle fournissait des hommes pour le travail des mines et des terres de l’Amérique”. Voir le site de l’AIDH.

En 1997, le Musée d’ethnographie de Genève organisa l’exposition Mémoires d’esclaves et Claude Savary y relevait que l’histoire de l’esclavage est aussi vieille que celle des plus anciennes civilisations connues. Dans sa communication, Sylvie Streickeisen rappelait la place importante du réseau commercial genevois qui s’étendait au monde entier :

“Par sa position géographique au coeur de l’Europe, Genève constituait au XVIIe siècle déjà  une place commerciale importante. La cité de Calvin étendait son réseau commecial au monde entier. La cité genevoise, véritable « Rome protestante» de l’Occident sous la Réforme, était connue à  cette époque comme lieu de refuge. Elle devint rapidement le centre spirituel des protestants disséminés dans toute l’Europe. Nombre de ces réfugiés venus principalement d’Italie et de France apportaient avec eux des techniques et des capitaux, mais aussi un réseau commercial et bancaire très dense.
Ce réseau, l’historien Herbert Lüthy l’a nommé «l’Internationale protestante»: il s’agit d’un milieu à  la fois fermé sur lui-même, dans lequel on ne pénétrait que très difficilement, mais qui était en même temps extraordinairement ouvert sur le monde. Ses membres restaient constamment en relation et solidaires entre eux, grâce à  des liens familiaux et amicaux très forts. Il est indéniable que c’est ce même réseau issu du milieu protestant qui dominait alors la banque, et par là  une grande partie du commerce international du XVIe au XIXe siècle. Or, le grand commerce qui servait de moteur à  l’économie du XVIIe et du XVIIIe siècles n’était autre que le «commerce triangulaire», celui de la traite des esclaves, qui avait pour corollaire le commerce des marchandises tropicales produites par cette main-d’oeuvre servile. Comme tous les pays européens pratiquant le commerce international, Genève y eut sa part. S’il est très difficile de trouver aujourd’hui des documents attestant de la participation de commerçants ou de banquiers genevois à  la traite des Noirs, il s’avère par contre indéniable que nombre d’entre eux possédaient et exploitaient ”soit eux-mêmes, soit par l’intermédiaire d’administrateurs” des plantations aux Antilles et aux Amériques.

Les historiens se sont très peu, voire pas du tout penchés sur cette partie de notre histoire, du moins en ce qui concerne d’éventuels Genevois impliqués dans la traite négrière. Pour ma part, au début de mes recherches, je n’ai guère trouvé de documents permettant de certifier que certains d’entre eux avaient été mêlés à  ce type de commerce. Et lorsqu’il s’est agi de poser des questions à  des personnes susceptibles de détenir des renseignements, les réponses ont été très variables. Pour l’une d’entre elles, il paraîtrait que certaines familles, soucieuses de leur image, aient préféré escamoter la part des archives familiales concernant la traite négrière. Telle autre ”qui souhaitait expressément garder l’anonymat ” désirait ne pas se brouiller avec les familles concernées. Plusieurs, par contre, affirmaient connaître le cas de Genevois ayant possédé et exploité des plantations aux Amériques…

Remarquons que ce dernier aspect du sujet qui nous préoccupe semble moins frappé de tabou, quoiqu’il soit encore très peu étudié. Sujet d’autant plus difficile à  aborder que plusieurs des familles impliquées dans le commerce international durant la période concernée tiennent encore le haut du pavé dans la vie économique de la cité. Précisons d’emblée qu’il n’est pas question de pointer un index accusateur, mais seulement de replacer les faits dans un contexte historique précis: le commerce durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Genève ne vivait alors pas hors de son temps et, très active dans les affaires commerciales internationales, elle avait forcément des liens avec la traite et l’exploitation des esclaves. Enfin, et c’est tout à  leur honneur, de nombreux Genevois vont se battre dès la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe siècle pour imposer l’abolition de la traite et la suppression définitive de l’esclavage.

Ainsi, au XVIIe siècle, les Genevois étaient-ils présents dans toutes les grandes villes d’Europe, d’où ils pratiquaient le négoce et les affaires bancaires’. Pour réaliser des affaires commerciales sur le plan international, le négociant faisait forcément appel au commerce de change, donc à  la banque. Au cours du XVIIIe siècle, de la Méditerranée à  l’Atlantique, des commerçants suisses et genevois s’étaient installés dans les régions côtières et faisaient négoce avec les Indes orientales, les Amériques et notamment les Antilles. Leur présence est attestée, entre autres, à  Marseille3, Gênes ou Livourne, pour la côte méditerranéenne, à  Lorient, Nantes, Amsterdam ou Cadix, pour la côte atlantique.

A quel type d’affaires s’adonnaient les commerçants genevois? Un négociant avisé diversifiait toujours ses opérations. Le commerce en général, et avec les Amériques en particulier, pouvait rapporter très gros, mais comportait de nombreux risques. Aussi les marchands s’associaient-ils souvent pour éviter les dangers de banqueroute, car risques il y avait. Tout d’abord, les mises de fond au départ étaient élevées, les taxes perçues par les Espagnols conséquentes, et les variations de change pouvaient signifier de grandes pertes sur l’ensemble de la marchandise. Mais plus aléatoire encore, le navire risquait de sombrer corps et biens dans une tempête, d’être pris et dévalisé par des pirates de toutes nationalités, ou voir ses marchandises «confisquées» comme prise de guerre par un pays ennemi. Il n’était pas rare qu’il s’écoule ainsi plusieurs années avant que l’investisseur retrouve son bien, augmenté ou non des bénéfices escomptés. C’est pourquoi le marchand-banquier prenait des parts seulement dans l’expédition de marchandises au-delà  des mers, soit dans l’assurance du chargement et du navire, soit dans les prêts d’argent avec « risques de mer», appelés « prêts à  la grosse aventure ».

Lire : Mémoires d’esclaves, Musée d’ethnographie, Genève, 1997.

 

L’esclavage contemporain est moins visible

Myriam Cottias, chargée de recherche, CNRS/université Antilles-Guyane : L’esclavage est aujourd’hui officiellement aboli dans tous les États du monde. Mais persistent encore des formes d’exploitation que certains qualifient d’« esclavage contemporain » et qui montrent que cette pratique millénaire n’a pas disparu. Il y aurait actuellement 200 à  250 millions d’esclaves dans le monde. En Europe, des réseaux mafieux de traite d’êtres humains exploitent des femmes ou même parfois des enfants originaires des pays de l’Est ou d’Afrique. Ramenés illégalement, ils sont « utilisés » à  des fins de prostitution. Il y aurait ainsi 200 000 femmes en Europe qui chaque année seraient prises au piège. La servitude pour dettes, la prostitution forcée, le trafic d’êtres humains, le travail des enfants, l’exploitation de main-d’oeuvre, le tourisme sexuel, les enfants-soldats sont autant de formes d’esclavage contemporain qui trouvent notamment leur origine dans les disparités de richesse entre les pays, les guerres et le blanchiment d’argent. Commémorer des pratiques esclavagistes passées permet aussi de rappeler que des formes d’esclavage existent encore aujourd’hui.

L’esclavage contemporain gagne sournoisement le coeur de l’Europe, où des hommes, des femmes, des enfants sont traités comme des objets qu’on jette après usage : exploitation, séquestration, violences physiques, et fréquemment sexuelles, confiscation des papiers et conditions de vie indignes.
A l’heure actuelle, le terme “esclavage” recouvre diverses violations des droits de l’homme. A l’esclavage traditionnel et au commerce des esclaves s’ajoutent la vente d’enfants, la prostitution enfantine, la pornographie impliquant des enfants, l’exploitation de la main-d’oeuvre enfantine, la mutilation sexuelle des enfants de sexe féminin, l’utilisation des enfants dans les conflits armés, la servitude pour dettes, le trafic des personnes et la vente d’organes humains, l’exploitation de la prostitution et certaines pratiques des régimes d’apartheid et coloniaux.

Les pratiques esclavagistes peuvent être clandestines. Il est donc difficile de se faire une idée claire de l’ampleur de l’esclavage contemporain et plus encore de le découvrir, de le punir ou de l’éliminer. La situation est compliquée par le fait que les victimes des abus esclavagistes appartiennent en général aux groupes sociaux les plus pauvres et les plus vulnérables. La peur et la nécessité d’assurer leur survie ne les encouragent pas à  parler.
En Suisse, des travailleurs membres du personnel administratif, technique et de service des missions diplomatiques et du personnel de service des fonctionnaires internationaux témoignent régulièrement afin d’obliger les diplomates à  respecter les Droits de l’Homme et les Conventions signées par les pays qu’ils représentent.
“Syndicat sans Frontières” demande : Accepteriez-vous de travailler 12 à  18 heures par jour et cela sans salaire, sans bénéficier de l’A.V.S., d’un 2ème pilier; d’une assurance maladie et accidents, d’une assurance perte de gain, d’une assurance chômage, des allocations familiales ?

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